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Les CAN de quartiers passent en Prime

Par Adrien Hémard-Dohain et Florian Porta
Les CAN de quartiers passent en Prime

Chaque été, elles déchaînent les passions dans les quartiers, et leurs plus beaux gestes sont capturés dans des vidéos Snapchat mal cadrées, pixelisées qui tournent en boucle sur les réseaux. Mais cette année, les CAN de quartiers ont franchi un cap spectaculaire. Changements de noms, sponsors, et même diffusion sur Amazon : bienvenue dans des tournois où ça ne rigole plus vraiment.

Construit en 1973, le stade Dominique-Duvauchelle n’a jamais connu de soirée fiévreuse comme celle qui s’annonce ce samedi 2 juillet à partir de 18 heures. Pas même le soir de son record d’affluence le 9 février 2005, lors d’un Cameroun-Sénégal qui avait réuni 12 000 personnes dans l’antre de l’US Créteil-Lusitanos. Record qui pourrait tomber ce soir. L’affiche du jour ? Un Mali-Congo officieux, finale de la Coupe nationale des quartiers, nouveau nom de la CAN de Créteil. Le tout diffusé sur Prime Video sur son compte TikTok, avec des partenaires à faire pâlir la FFF (qui n’a toujours pas trouvé de diffuseur pour la Coupe de France) : Nike et Heetch. Un événement qui résume à lui seul l’ampleur prise par ces tournois de quartier, devenus des institutions locales, voire nationales.

Festival des CAN

À Créteil, la CAN est née en 2019, alors que des tournois inter-quartiers existaient depuis de nombreuses années. « Le climat devenait anxiogène, les embrouilles entre quartiers se réglaient autour du terrain, parfois même dessus, raconte Moussa Sow, créateur de la CAN de Créteil. « On voulait rassembler. Or, en réunissant les équipes par ethnies, confessions, origines, plutôt que par quartiers, on a bâti des groupes avec des types de tous les quartiers. » Et comme par hasard, plus aucun problème ou presque depuis. « Les gens ont cru que c’était communautaire, mais pas du tout. On est français avant tout, et fiers de nos origines. Par exemple moi, je suis 100% français, et 100% sénégalais », balaie l’organisateur de ce qui est devenu la Coupe nationale des quartiers cet été. Et pour cause : « On avait beaucoup de demandes. On a donc élargi à de nouvelles équipes, et sur 16 joueurs, 8 peuvent venir d’autres villes d’Île-de-France que Créteil », détaille Moussa Sow, qui n’a rien à voir avec l’ancien attaquant lillois. C’est ainsi que cet été la France, l’Italie, les Antilles, le Portugal et l’Asie ont rejoint la compétition. Pourtant le plus grand renfort n’est pas une sélection, mais Amazon, qui diffuse la finale.

On n’a pas hésité à aller toquer chez Amazon. On a osé, on a discuté, et ça les a séduits.

Comment un tournoi de quartiers a-t-il pu taper dans l’œil du géant américain ? Approchée, la plateforme n’a pas souhaité communiquer à ce sujet. On se contentera donc de la version de Moussa Sow : « On n’a pas hésité à aller toquer chez eux. On a osé, on a discuté, et ça les a séduits. Ce sera accompagné d’un reportage. » Du genre prompte à sauter sur ce genre d’événements accessibles, La Chaîne L’Équipe n’a pas été approchée, concède Nicolas Manissier, directeur des acquisitions de la chaîne, et pas au courant de la CAN à l’autre bout du fil : « Je ne savais pas que ça existait, je n’ai pas été approché. Après, nous, notre politique autour du foot, c’est quel foot ? C’est le niveau mondial. Ce qu’on cherche, c’est ne pas être dans une position de ramasse-miettes », justifie-t-il. Relancé sur les courses de caisses à savon diffusées par la chaîne, il coupe : « Ce n’est pas du sport ça, c’est pour remplir nos grilles. Dans tous les sports, on vise l’équipe nationale ou les grandes compétitions mondiales ou européennes. La seule exception en foot, c’est le match de l’Unicef, un match de charité, parce que c’est pour une bonne œuvre » Alors qu’est-ce qui a bien pu séduire Amazon dans cette histoire. ?

Le foot est un sport qui décuple les liens en faisant vivre des moments extraordinaires. Dans cette logique, Amazon vient accompagner ce tournoi pour donner l’idée qu’ils sont partenaires du foot, de tous les foots.

Expert en marketing sportif, Gary Tribou s’est penché sur le sujet : « Que Nike, Heetch et Amazon sponsorisent cet événement, c’est hyper intéressant. Et évident. Ces tournois sont au croisement de plein de phénomènes. Ce n’est pas étonnant de voir Nike ici, parce que c’est son fond de commerce culturel entre le hip hop, le sport transgressif. On n’est pas sur le foot de la FIFA, là, ce qui explique l’intérêt aussi, parce qu’on est sur le foot barbecue, sans magouilles. Adidas est aussi positionné », affirme le spécialiste. De son côté, Amazon en profite pour cocher une case, confirme Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora : « Dans le marketing, on voit une tendance de fond à être beaucoup engagé, à jouer un rôle dans la société. En plus de cela, le foot est un sport qui décuple les liens en faisant vivre des moments extraordinaires. Dans cette logique, Amazon vient accompagner ce tournoi pour donner l’idée qu’ils sont partenaires du foot, de tous les foots. Après les histoires avec Mediapro, c’est assez malin. Ce n’est pas du mécénat, mais presque un peu pour eux. » Le but étant, in fine, d’attirer de nouveaux abonnés. Mais l’experte met en garde : « Attention, il ne faut pas que cet évènement perde l’ADN qui a fait son succès. Il faut trouver le bon équilibre. »

« Casser les frontières  »

Moussa Sow le confirme : malgré l’ampleur médiatique prise, sa Coupe nationale des quartiers reste associative et indépendante : « Les CAN, celles que je connais, elles n’engendrent pas d’argent, elles en dépensent surtout. L’entrée n’est pas payante, donc il y a très peu de rentrées d’argent. » Dans ce contexte, la manne des sponsors a donc été la bienvenue, même si à Créteil, on affirme choisir des partenariats qui ont du sens. « Nike, on consomme beaucoup ici, leurs produits, c’est nous qui les portons. Et Heetch, ils sont très présents en banlieue. Moi même, j’y ai bossé », résume Moussa Sow. Et l’organisateur n’a aucun tabou sur la destination de l’argent issu de ce sponsoring : « Il subventionne l’association pour mieux organiser et structurer l’événement. Avec des moyens, on peut avoir un DJ, une sonorisation, des arbitres officiels rémunérés, une boîte de sécurité privée… » Et surtout la vie de son association de quartier le reste de l’année : « On fait du soutien scolaire, des sensibilisations contre les drogues, on paie des fournitures scolaires, des sorties culturelles. Avec cet argent, on va aussi les emmener à Clairefontaine et au Parc des Princes », promet l’éducateur. Du point de vue des autres CAN, on observe attentivement l’exemple de Créteil. Keba Sylla joue aujourd’hui à Raon-l’Étape en N3, mais en 2019, il portait les couleurs du Sénégal à la CAN d’Aulnay-sous-Bois : « Ça se professionnalise, ça prend de plus en plus d’ampleur et pas que chez eux. Avant, on jouait sur du béton, maintenant sur un synthé. Je trouve que c’est une bonne chose, toutes ces améliorations, on est contents que ça donne de la visibilité à tout le monde. »

Photographe de la CAN des 3000, Marvin Bonheur n’est pas surpris, ni jaloux : « C’est une suite logique. On sentait que ça allait devenir plus gros, un peu moins privé, un peu moins amateur, un peu moins indépendant en fait. » Même son de cloche au pied des volcans auvergnats, où Ava et Boucif organisent la Coupe du monde des quartiers : « On est contents pour Créteil, maintenant on espère avoir le même soutien, ça nous simplifierait la vie. » À Clermont, tout est encore amateur, et les joueurs se paient leur maillot. Le seul sponsor est une enseigne locale de restauration. Quant au stade Gabriel-Montpied, il est prêté par la mairie. Encore faut-il y assurer la sécurité : « Pour le match d’ouverture, il y avait 8000 personnes. Et la société de sécurité nous a lâchés deux heures avant le match. On a rameuté des petits et anciens du quartier pour faire les stadiers, et on n’a eu aucun souci », raconte Boucif. En attendant de toucher le pactole comme à Créteil, les quatre organisateurs s’appuient sur les associations de la ville : « On a dix jeunes d’une association qui nous aident, ça aide à financer une partie aussi avec la mairie. Sinon, les 60 autres personnes mobilisées, c’est du pur bénévolat », précise Ava.

On va perdre ce soccer brut et authentique, mais c’est comme toutes les mouvances.

À croire que tout se passe pour le mieux dans un monde de rêve. Mais l’arrivée de sponsors de ce poids n’est pas sans critiques : « Dès qu’on bouge les lignes, on est rarement épargnés. J’essaye de ne pas prêter d’attention à cela », philosophe Moussa Sow. Le principal angle d’attaque : cette professionnalisation dénaturerait l’évènement. « Évidemment, c’est la crainte », avoue Marvin Bonheur qui vient de voir la CAN des 3000 quitter son emblématique city stade en béton pour un synthétique : « C’est une page qui se tourne, l’identité du béton, c’était un truc vraiment amateur, street football. Je pense qu’on peut y perdre parce que ça sera moins amateur, mais ce qui va être intéressant, c’est que les marques, elles vont vouloir s’intéresser un peu plus à des jeunes joueurs. Des clubs peuvent venir détecter des jeunes. En fait, il faut que ça devienne une opportunité pour les jeunes. Les sponsors, les marques, les médias, ça fait rentrer de l’argent dans ces tournois-là. Il y a à perdre, mais aussi beaucoup à gagner. Alors c’est sûr, on va perdre ce soccer brut et authentique, mais c’est comme toutes les mouvances. Le hip-hop c’était pareil. » Sur le terrain, Keba Sylla tempère : « On n’a pas forcément cette mentalité de se faire voir à tout prix. Si un recruteur s’intéresse à nous, ça se fait naturellement, on ne va pas gâcher cette fête pour se montrer, pour jouer individuellement. Ça reste sur des bases où on joue en équipe. »

La finalité restera toujours la même : jouer au foot et montrer que les quartiers populaires sont loin des caricatures qui en sont faites. Unis derrière cet objectif commun, les organisateurs partagent même un groupe WhatsApp pour « se donner de la force, casser les frontières », explique Moussa Sow, qui rêve d’une finale nationale en septembre à Paris : « C’est peut-être un peu politique, mais on montre qu’on est tous français. Macron ne parle jamais de nous, son programme n’évoque pas la banlieue. On a vraiment le sentiment d’habiter une autre France, d’être délaissés de l’autre côté du périphérique. » Les CAN de quartiers ont au moins le mérite de remettre ces périphéries au centre du jeu, pour de bonnes raisons. Et aussi de permettre à certains de rebondir dans le milieu. À Aulnay, ça a été le cas de Keba Sylla, qui a pu quitter la R1 locale pour la N3. Pareil pour Boucif à Clermont, repéré par le FC Côte Bleue (N2) de Marseille, ou pour son pote Aboubakar Sidibé, qui a signé à Virton en D2 belge. Plusieurs scouts ont d’ailleurs confirmé suivre de près ces compétitions, souvent depuis les tribunes. L’un d’entre eux confie en off : « En Île-de-France, il y a tellement de joueurs et de clubs que ça peut être compliqué de se mettre en valeur. Un événement comme ça, pour ce genre de joueurs, c’est presque plus intéressant qu’un 32e de Coupe de France. » Voilà pourquoi le stade Dominique-Duvauchelle sera plein ce samedi. Sans compter les personnes qui suivront la finale devant leur écran.

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