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Le pari d’Aulas : les joueurs de l’OL actionnaire de leur club
La crise actuelle étant particulièrement douloureuse pour l’économie du football, la plupart des clubs de Ligue 1 tentent de mettre en place des plans de baisse des salaires afin de réduire la voilure. Certains ont réussi, d’autres non. Quant à l’OL, la parade a été trouvée : faire des joueurs des actionnaires. Mais il n’est pas certain que cette technique fonctionne.
Depuis le mois de mars 2020, les pertes des clubs français se cumulent à plus de 800 millions d’euros. Un rapport récent de la DNCG, dévoilé par la presse, parle d’une chute de 1,3 milliard d’euros sur toute l’année civile 2020. L’épidémie de coronavirus a été catastrophique pour le football professionnel français. Ajoutez à cela l’échec de Téléfoot la chaîne et le ralentissement de l’économie, et vous obtenez un véritable cataclysme en Ligue 1. Il faut donc trouver des solutions, et vite.
Il faut sauver le soldat Ligue 1
D’un côté, la Ligue réfléchit à une modification des compétitions, avec, pourquoi pas, un championnat à 18 clubs, afin de « favoriser un partage du gâteau avec moins de participants », et à la création d’une société commerciale chargée de redynamiser la valorisation des droits TV, en baisse de 41% depuis février dernier. Du côté des clubs, les solutions ne sont pas nombreuses. La principale reste l’outil salarial : pour réduire les dépenses, il faut baisser la part principale, la masse salariale. En moyenne, elle représente 55% des dépenses des équipes professionnelles, selon le dernier rapport de la DNCG, sur la saison 2018-2019. Et il n’est pas dit que cette part ait augmentée l’année dernière, avec l’espérance de gains supplémentaires grâce au mirage Mediapro.
Depuis, plus de revenus billetterie, des revenus commerciaux en chute libre, tant du côté des sponsors que du merchandising et du marketing, et des recettes droits TV fondues comme neige au soleil. En revanche, les salaires restent les mêmes, avec un salaire médian estimé à 34 000 euros par mois en Ligue 1. L’UNFP, le syndicat des joueurs, en janvier dernier, avait proposé la mise en place de négociation individuelle, intra-clubs, et d’assurer un suivi et une négociation équilibrée. Des accords de branches ou des accords-cadres* étant malheureusement restés impossibles.
Les joueurs de l’OL, les nouveaux traders de la City ?
À cette proposition, seuls Reims, Angers et Montpellier, en Ligue 1, ont officialisé une baisse unilatérale des salaires, acceptée et consentie par les joueurs, « conscients des difficultés liées à la crise actuelle ». Un autre club, néanmoins, vient se rajouter à la courte liste des rigoristes, mais avec une technique sensiblement différente. L’Olympique lyonnais a en effet acté une « baisse de 5 à 25% des salaires » d’une partie des effectifs de l’équipe masculine et de l’équipe féminine compensée, et c’est là toute la spécificité, par une donation en actions OL Groupe. Autrement dit, en échange d’une diminution de tant d’euros de leur salaire, les joueurs se sont vus recevoir le montant équivalent en actions et en titres boursiers OL. Les joueurs sont ainsi devenus actionnaires de leur club.
Il s’agit là d’une première en France, et elle n’est pas sans poser quelques questions. Alors que du côté de Reims ou d’Angers, l’effectif a accepté, sans broncher, une baisse provisoire de ses émoluments, les coéquipiers de Memphis Depay et d’Amandine Henry ont récupéré des parts sur une entreprise dont ils sont les acteurs. D’ailleurs, selon un certain nombre d’études en économie financière, les cotations des clubs de foot sont très volatiles, très dépendantes des performances et des résultats sportifs, une simple défaite ou victoire peut faire varier en une seule journée le cours de plus de 2%, très loin des moyennes observées habituellement sur les places boursières. Et ces performances sont précisément contrôlées, dirigées par les joueurs eux-mêmes, ces nouveaux actionnaires. Ce sont eux qui jouent, qui passent, qui marquent, qui gagnent, qui perdent. Clairement, il va y avoir un problème de conflit d’intérêt.
Juges et parties ?
La charte d’éthique et de déontologie de la Fédération française de football admet que « toute situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts doit être évitée. Il y a conflit d’intérêts lorsque les personnes ont des intérêts directs ou indirects susceptibles de les empêcher d’accomplir leurs obligations avec intégrité, indépendance et détermination ». L’article 124 des règlements généraux de la FFF rajoute qu’il « est interdit à toute personne d’agir de façon à influencer le déroulement et/ou le résultat normal et équitable d’un match ou d’une compétition en vue d’obtenir un avantage pour lui-même ou pour un tiers ». C’est à ce titre qu’on interdit aux joueurs et à leurs proches de parier sur les matchs et même, bientôt, de jouer à des jeux de fantasy-football, comme l’application Mon Petit Gazon.
Quid, alors, des placements boursiers ? À première vue, pas d’inquiétude si les Lyonnais sont actionnaires, ils ne vont pas jouer contre leurs intérêts et considérer que plus leurs performances s’améliorent, plus l’action grimpe. Ils sont gagnants-gagnants. Seulement, la loi concernant l’actionnariat salarié et les actions gratuites est très précise en France. Elle impose une période d’acquisition et une période de conservation au moins égales à deux ans. En d’autres termes, un salarié actionnaire doit, au minimum, conserver son action quatre ans, avant de pouvoir la revendre et la traduire en captation monétaire. L’idée est de favoriser la fidélité salariale. Et cette règle s’applique aussi aux joueurs.
Mais si, la saison prochaine, Lyon se sépare d’Aouar ou de Memphis ou de n’importe quel autre joueur ? S’ils signent dans un club européen affrontant l’OL en Ligue des champions au moins une fois lors des quatre prochaines saisons ? Les joueurs se retrouveront en plein conflit d’intérêt : gagner sportivement avec leur club ou gagner économiquement contre leur club. On peut néanmoins imaginer que les dirigeants de l’OL aient trouvé un moyen de contourner ces problématiques, d’assurer le bon fonctionnement d’un tel outil, sans que l’autorité des marchés financiers, voire la FFF ou l’UNFP, ne s’inquiète de cette nouvelle forme d’actionnariat. Comme, par exemple, une garantie contractuelle de rachat des actions en cas de départ ou une non-conversion en faveur des joueurs susceptibles de partir. Il sera en tout cas très intéressant de voir comment les instances se comporteront face à une telle technique.
Par Pierre Rondeau
* Un accord de branche est un accord conclu entre un ou plusieurs groupements d'entreprises appartenant à un même secteur d'activité et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.
Un accord-cadre est, lui, un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une période donnée.