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Le jour où Robin Williams a joué la Coupe du monde au bingo

Par Théo Denmat
Le jour où Robin Williams a joué la Coupe du monde au bingo

Il y a un an, le Monde pleurait Robin Williams. Fondu le cyclisme, le football était de son propre aveu « un sport étrange pratiqué par des gens déséquilibrés ». Pourtant, il avait participé au tirage au sort des poules du Mondial 1994 aux États-Unis. La cérémonie, chapeautée, déjà à l'époque, par Sepp Blatter, se déroulait bien. Et puis Robin est monté sur scène, et a mis le feu.

Robin Williams aime le vélo. Le plaisir de se lever tôt et de boire son café sans sucre, de remplir son bidon au robinet avant de le plaquer contre le ventre de sa machine. La jubilation au contact des pédales, du premier tour de roue qui propulse le vent sur le visage encore humide et le maillot encore chaud. La délectation à la hume de la neige piétinée et des pins tombants, de l’asphalte vallonnée et du béton luisant. Mais plus qu’une expérience sensorielle de plein hiver, Robin aime surtout la liberté et l’individualité d’un sport qui lui permet de retrouver quelqu’un dont il n’a que trop peu le temps de s’occuper : lui-même. Pas que cela n’aille pas bien, non ! 1993 est une belle année et décembre s’annonce radieux, il est même invité ce soir au tirage au sort des poules de la Coupe du monde de football censée se dérouler l’année suivante aux États-Unis.

Mais comme de temps en temps, il ressent un léger spleen. De ces envies de fermer les yeux, de s’isoler du monde et de compter les verres au lustre du plafond de la chambre d’hôtel qu’il vient de louer à Las Vegas. Alors, comme à chaque fois que cela lui prend, Robin fait tout l’inverse. Il grimpe sur son vélo, va faire de l’exercice et adopte la posture de celui pour qui tout va bien. En conséquence, là, il a besoin de rire. Il doit justement tirer en ce soir du 19 décembre les dernières boules de la cérémonie organisée au grand Caesars Palace par la FIFA. Le football, cela n’est pas trop son truc, et l’affaire a l’air sérieuse. Parfait, le choc des cultures, c’est justement ce qui le fait marrer.

« Heureux de vous rencontrer après vous avoir senti pendant tant d’années »

Dans les coulisses avant de rentrer sur scène, sur les coups de 21h30, l’acteur est surexcité. Alan Rothenberg, président de l’époque de la Fédération de Football des États-Unis, avait accordé en 2014 une interview à ESPN quelques semaines après la mort du Captain : « On devait valoriser cette compétition aux yeux des Américains. On savait que l’on avait une forte audience de la part de certaines ethnies qui avaient immigré en Amérique et apporté leur amour du jeu…mais l’on devait accentuer le côté festif de l’évènement pour toucher les non-initiés. » De fait là-bas, le public est soccer-phobique. L’Oncle Sam a surtout été choisi par la FIFA pour le potentiel économique qu’il représente, comme le résumait en 1988 George Vecsey, éditorialiste du New York Times : « Notre pays vient d’être loué en qualité de stade, hôtel et studio de télévision géant pour 31 jours. » Pire, un sondage réalisé trois semaines avant la compétition dévoile que 71% des Américains ne sont pas au courant de l’organisation du Mondial sur leurs terres.

Alors, pour « toucher les non-initiés » , Alan Rothenberg et Sepp Blatter choisissent de convier le gratin auquel est sensible la ménagère de moins de 50 ans. Le premier invite Julio Iglesias, Faye Dunaway, Dirk Clark ou encore Robin Williams à la cérémonie de tirage au sort des poules finales du tableau, tandis que le second, directeur exécutif de la FIFA depuis quatre ans, se chargera de la présentation. D’où la présence du bon Robin derrière l’estrade : « Tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir présenté Robin Williams aux dignitaires des différents pays dans les coulisses, et qu’il a commencé à leur parler sans aucune hésitation, raconte Rothenberg. Il était à l’aise dans leur langue natale ! Une minute il parlait Serbe, la suivante c’était une langue baltique et puis bolivienne. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi speed. » Lorsqu’il monte sur scène, le gredin se révèle plus que cela : il a préparé son entrée et joue les proctologues, surfant sur un jeu de mot imaginé à partir du nom de famille de Sepp. Dans l’anglais survitaminé qui lui est propre, il lance trois phrases à la suite : « Mister Bladder ! (Bladder signifiant « vessie » en vo) Content de vous rencontrer après vous avoir senti pendant tant d’années. Vous êtes plein, je suppose. » L’audience est surprise, conquise, et morte de rire.

Le parolier du peuple

David Lacey, journaliste du Guardian, était présent dans la salle au moment du coup de folie : « Williams blaguait et se moquait, il a juste tout foutu en l’air ! » . Alors que Blatter tente de reprendre la parole, l’acteur lui coupe la parole : « Regardez, la plus grande planche de Keno au monde ! » crie-t-il aux quelque 2000 personnes présentes dans la salle. Le jeu est impeccable, le timing habile, le contre-pied parfait. Le vrai coup de maître réalisé ici par Robin Williams est finalement de mettre dans sa poche un Sepp Blatter inconscient d’être la victime des moqueries auxquelles il participe. Son sourire est pincé, comme si le dirigeant était légèrement dépassé par ce pingouin bicolore enfilant un gant de plastique devant les caméras de télévision de la planète. Tout le génie du héros de Jumanji. Comme un dessin animé Pixar, ses sketchs présentent plusieurs niveaux de lecture : les uns affirmeront que la farce était grasse, évidente. D’autres y verront une tentative de porter la lumière sur une compétition que le public accueille sur la défensive. Les derniers, enfin, se reconnaîtront dans un combat du peuple face aux institutions toutes puissantes : les États-Unis ne connaissent pas le football, certes, mais le monde du football ne connaît pas encore les États-Unis. Et Robin Williams hurlant « Bingo ! » à l’ouverture de l’une des boules en est le parfait parolier.

Il est l’idiot, le non-initié. Celui qui tend la corde et permet de faire le lien avec le peuple. La cible et en même temps l’archer. Bill Dwyre, du Los Angeles Times, racontait l’année passée au Washington Post combien cet épisode l’avait marqué : « Blatter n’en avait pas conscience, mais il était génial. Quand Williams mélange les boules dans le bocal et lui demande :« Tournez la tête et toussez », il est brillant parce qu’il rentre dans son jeu. » Toujours est-il que la vidéo de la rencontre, exhumée des archives de YouTube en juillet 2015, est aujourd’hui disponible en intégralité sur internet, pour le plus grand plaisir de Sepp Blatter. Au moment de la mort du comédien, le 12 août 2014, le Suisse avait tweeté en se rappelant au bon souvenir de cette salsa verbale qu’ils avaient partagé, juste le temps d’une soirée. Le dernier stand-up de Mr.Williams, joué en 2002, est d’ailleurs inspiré de ses observations de l’époque. « Le football est un sport étrange pratiqué par des personnes déséquilibrées » , y tonnait-il. Concernant le vélo, c’était tout l’inverse : « Ils (les pros) peuvent pisser tout en roulant ! Je leur tire mon chapeau… mais pas de trop près. » L’art de la chute, encore une fois.

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