Le football comme alibi
A l’heure des triomphes lyonnais et autres sacres aulassiens, la nostalgie verte, aussi désuète fût-elle, éclaire notre regard d’une nostalgie bienveillante, d’un rêve de football dont on ne sait jamais s’il ne faut le mettre sur la même étagère que ce Royaume-Uni fantasmé, chapeau melon et bottes de cuir.
Pour Simon, héros du roman de Laurent Sagalovitsch intitulé « loin de quoi »[1], si, dans la nuit du 12 mai 1976, « Bathenay Dominique et Santini Jacques n’avaient pas délibérément visé les poteaux carrés des cages de Sepp Maier et si Rocheteau n’avait pas été blessé » sa vie aurait suivi un autre chemin. Au lieu de cela, Saint-Etienne a perdu et Simon erre.
Il s’est déclaré en cavale et a annoncé à ses parents, à la fin du repas de Pessah, qu’il partait pour le Canada, à Vancouver pour être précis.
Simon est donc en fuite. Simon se plaint. Simon en a assez. Assez de cette France « étriquée, mesquine, calculée, exsangue, triste »dont « le championnat de foot ressemble de plus en plus à l’hôpital des enfants malades ». Fuir, là est la question. Fuir cette famille, cette religion. Fuir ses propres névroses, son désarroi existentiel, son inadaptabilité au monde. Profiter d’une parenthèse canadienne. Quitter Léa pour se réfugier dans les bras de Monika. Ah ! Monika. Une fumeuse « gargantuesque » de marijuana. Une hollandaise ayant pour particularité physique de laisser voir un tatouage des lunettes de John Lennon « judicieusement réparties sur le haut de ses fesses » .
Une Monika insensible dans un premier temps à Simon. Une fille « perfide comme un italien dans la surface de réparation de San Siro » . Une batave affichant la « même morgue que Cruijf écoutant l’hymne allemand », « maligne comme un footballeur hollandais dans la surface de réparation ». Une folle pour tout dire, qui souhaitera se convertir à la religion juive.
Une conversion que lui déniera Simon, parce que « autant croire qu’un numéro dix puisse devenir arrière droit ». Autant croire qu’une femme puisse « imaginer Janvion en tête à tête avec Sepp Maier » .
Simon s’imagine que sa vie ne débutera que lorsque les verts seront champions d’Europe. En attendant, Simon pense à son âge. Simon ressasse l’idée d’avoir 31 ans. Simon s’angoisse de cet âge qui ne veut rien dire, comme le numéro 3 d’une équipe de foot. « Arrière gauche tu seras. En touche tu dégageras » .
Simon pense aussi à son père. Un père tantôt accablé par un match de football, un « affrontement entre des marseillais bégueules et des monégasques monoparentaux », tantôt poursuivi par les bouffées d’angoisse de son épouse.
Simon subit sa mère, écoute parfois son frère, reste attentif à cette sœur dépressive qui le ramènera à Paris, par la force des choses.
Simon n’oubliera jamais sa dose, ses doses quotidiennes de Témesta, ses verres de whisky. Simon évoquera cet oncle cultivé, médecin de son état, qui, outre sa formidable collection de la pléiade, lui léguera la photo de Rocheteau dans les bras de Revelli après son but salvateur contre le Dynamo de Kiev.
Si le rire emporte les malaises, les angoisses, les idées noires, la vie, elle, ne peut se résumer aux verts éternels, à l’épanouissement de la littérature française entre les deux guerres, aux déambulations du chanteur Travis dans le désert, au zapping de cent chaînes en moins de deux minutes.
L’éditeur du roman de Laurent Sagalovitsch nous apprend en quatrième de couverture que loin de quoi est une blague juive, car pour un apatride, rien n’est vraiment proche, rien n’est vraiment loin.
En quatre vingt dix minutes raisonnées, on se sera senti proche de Simon, on aura ri. Ce ne sont pas les joueurs qui doivent courir mais la balle. Les phrases de Laurent Sagalovitsch sont comme une balle. Elles courent dans nos têtes sans jamais être repoussées par les poteaux carrés de notre conscience…
Saint-Etienne le lieu de naissance du chanteur BARTONE (son nom de scène est la contraction de ses nom et prénom).
C’est le 10 mai dernier que BARTONE a sorti son album « Cador ». A première écoute, ce disque semble être le résumé du programme commun des BENABAR (même maison de disques) DELERM et consorts, soit la complainte du trentenaire ado aussi sûr de lui qu’une défense rennaise en plein mois d’août 2005.
C’est en costard cravate, mobylette à la main, avec pour toile de fond une plage déserte, pas vraiment tropicale, que pose l’ex membre des Raoul Volfoni (groupe de rock admirateur du film « les tontons flingueurs » ) sur la pochette de son disque.
Mais c’est en duo avec la chanteuse Clarika que le stéphanois expose son France/Allemagne 82. De ce match, BARTONE en fait l’histoire d’une rupture bien moins douloureuse que la rancœur et la tristesse éprouvées par les bleus un soir de demi-finale en Espagne.
Les mauvaises langues trouveront ça nul et qu’il serait temps que cesse cette exploitation marcantilo-humoristique de la planète foot. Les autres remarqueront qu’un homme qui utilise l’arrangeur de Miossec n’est pas tout à fait mauvais. La majorité s’en remettra. Un groupe ultra minoritaire tentera de télécharger le morceau sur un site payant de musique en ligne, parce qu’il faut défendre les auteurs. Un dernier groupe encore plus marginal que le précédent se demandera s’il ne serait pas temps de lancer une grande opération caritative, avec une chanson à la clé, pour lutter contre l’absence endémique de buts lors d’une journée de Ligue 1. Pour ceux là, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était…
Jean-François BORNE
[1] Actes Sud – Août 2005
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