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Foot et Covid-19 : le prix du vide

Par Adrien Candau
Foot et Covid-19 : le prix du vide

Mis à l’arrêt complet à cause de la crise du Covid-19, le football européen ronge son frein, et panique légèrement à l'idée que les championnats en cours ne puissent plus aller à leur terme. Une éventualité qui pourrait faire perdre plusieurs centaines de millions d'euros aux formations du Big Five. De quoi permettre de dégager quelques scénarios et mesures potentiels, qui pourraient conditionner l'avenir économique du foot continental.

Bernard Caïazzo est un homme inquiet. La Ligue 1, suspendue depuis le 13 mars en raison de la crise sanitaire du coronavirus, devrait reprendre « au mieux le 15 juin » , selon le président du syndicat Première Ligue. Pendant ce temps-là, le football professionnel français sombre dans un gouffre financier d’une profondeur encore insondable. Caïazzo, lui, envisage déjà des pertes de « 500 à 600 millions d’euros pour le championnat français » avant de conclure que « sans aides de l’État, d’ici six mois, c’est la moitié des clubs pros qui dépose le bilan » . Même musique en Allemagne, où le président de la Ligue, Christian Seifert, craint que « certains clubs, sans public, sans droits télé et sans revenus de sponsoring, soient menacés dans leur existence même, et, avec eux, des milliers d’emplois. » Seul remède à prescrire selon lui : finir, même à huis clos, la saison en cours, dans les temps impartis. Un scénario encore hypothétique, alors que la catastrophe sanitaire actuelle pourrait induire un confinement prolongé.

Covid moi les poches

Pour se préparer au pire, c’est le cabinet d’audit KPMG qui a décidé de jouer les oracles de mauvais augure, en tentant de modéliser les conséquences de ce qui constituerait le scénario le plus désastreux pour les grandes ligues de football européennes : l’arrêt définitif des championnats en cours. À en croire les estimations les plus pessimistes du cabinet, la Premier League pourrait perdre jusqu’à 1,2 milliard d’euros, la Liga 950 millions, la Bundesliga 750, la Serie A 650 et enfin, la Ligue 1, 400 millions.

En valeur relative, la Premier League ne serait néanmoins pas la plus affectée. Si l’on effectue une comparaison avec l’ensemble des recettes du championnat anglais en 2017-2018, ce dernier accuserait une perte d’environ 22% de ses revenus totaux. Cette perte serait en revanche de 32% en Espagne, ou 31% en Italie par exemple, si l’on se livre à une comparaison avec les chiffres d’affaires de la Liga et de la Serie A, toujours lors de l’exercice 2017-2018. L’Allemagne et la Ligue 1 s’en sortiraient en revanche mieux, avec des chutes de revenus, si l’on se fie aux chiffres publiés par KPMG, à 23% chacun environ. Comment expliquer de telles disparités ? D’abord, parce que les droits TV, qui constituent la principale source de revenus des clubs du Big 5, n’ont pas une contribution financière équivalente dans tous les grands championnats européens. « Évidemment, certaines ligues sont notoirement plus télé-dépendantes. Elles accuseront encore plus le coût que d’autres, si aucun match n’est plus joué cette saison, confirme l’économiste du sport et maître de conférences à l’université de Reims Jérémie Bastien. On peut d’abord penser à l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre. » Autant de championnats où les revenus issus des ayants-droits télévisuels représentaient respectivement 52%, 58% et 59% des recettes perçues par les clubs des ligues en question, en 2017-2018.

L’Angleterre, néanmoins, verra en valeur relative ses recettes totales diminuer dans de moindres mesures, du fait de son calendrier favorable : 29 rencontres ont déjà été disputées en Premier League, contre 26 ou 25 (en fonction des clubs) en Serie A et 27 en Espagne. La Ligue 1, elle, s’en sortirait aussi un peu mieux que ses homologues espagnols et italiens, notamment du fait de sa dépendance moins affirmée aux droits TV. « Seulement » 47% des revenus des clubs de l’élite provenaient en effet de la diffusion télévisuelle en 2017-2018. Par ailleurs, 28 journées de Ligue 1 ont déjà été jouées, un planning plus avantageux au regard des circonstances actuelles que les calendriers plus tardifs de la Liga et de la Serie A.

Et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne ?

La Bundesliga pourrait, elle, tirer avantage de son astucieuse stratégie de diversification des revenus, pour limiter les dégâts : seuls 39% des recettes des clubs allemands étaient en effet issus des droits TV en 2017-2018. A contrario, environ 44% des revenus de la Bundesliga provenaient de sponsoring d’entreprises, ventes de maillots et produits dérivés en tous genres, un chiffre qui tombe à 27% pour l’Angleterre et autour de 30% pour l’Espagne et l’Italie. Si on met en parallèle les estimations de KMPG avec les recettes observées lors de la saison 2017-2018, la Bundesliga devrait par ailleurs voir ses revenus commerciaux diminuer d’environ 18% et ferait ainsi mieux que la Premier League, la Liga, la Serie A et la Ligue 1, dont la baisse, en fonction des ligues, graviterait entre 20% et 22%.

« On peut envisager que les clubs allemands soient plus solides pour affronter cette crise, analyse Jérémie Bastien. Ils ont un endettement plus léger, des actifs forts. Surtout, leur structure d’actionnariat est beaucoup plus atomisée, fidélisée et régionalisée que ce qu’on voit en Angleterre, Espagne ou Italie. Par exemple, Abramovitch, lors de la crise des subprimes en 2008, il perd des milliards d’euros en bourse et, l’année suivante, en 2009, il gèle les transferts à Chelsea. À terme, les gros propriétaires étrangers de clubs verront leurs activités extra footballistiques affectées par la crise du Covid-19 et ça aura éventuellement des répercussions sur le budget des équipes. Dans le cas des clubs allemands, si un actionnaire ou un sponsor se retire ou diminue sa contribution, des tas d’autres contributeurs peuvent prendre le relais, car leur structure de revenus est nettement plus diversifiée. »

Jouer n’est pas gagner

Les projections de KPMG envisagent néanmoins le scénario du pire, alors que voir la saison se terminer en juin-juillet relève peut-être encore du domaine du possible. Les ligues devraient alors toucher l’intégralité des droits TV prévus pour les rencontres domestiques : « Le cas échéant, je ne pense pas que les ayants-droits pourront demander des compensations, même si des matchs sont disputés à huis clos, ce qui n’est évidemment pas très attractif. Car, la Ligue, elle, remplirait ses obligations contractuelles en faisant jouer les matchs » , estime l’ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique Pierre Maes, notamment auteur du Business des droits TV du foot.

Les droits TV relatifs à la Ligue des champions et la Ligue Europa sont potentiellement plus problématiques, alors que l’UEFA envisagerait entres autres choses de raccourcir le format actuel de la C1, dont les confrontations ne se disputeraient plus en match aller-retour, mais en une seule manche. Une modification majeure du format qui pourrait avoir un coût : « Dans ce cas-là, il y a moins de matchs et moins de possibilités de rentabiliser, reprend Pierre Maes. On pourrait diminuer le nombre de matchs, supprimer certaines des meilleures rencontres et ça ouvre le champ à une demande d’indemnisation des diffuseurs. » Même si les championnats vont à leur terme, d’autres conséquences économiques sont par ailleurs à prévoir : « Le marché des transferts va se contracter en valeur l’année prochaine, estime Jérémie Bastien. Il y aura moins de clubs acheteurs et les prix du marché seront en dessous de ce qu’on a pu connaître par le passé. Les championnats vendeurs, intermédiaires, comme la France, le Portugal et tant d’autres, vont devoir encaisser le coup. »

L’État d’urgence

Il semblerait néanmoins encore catastrophiste de pronostiquer la faillite de la majorité des clubs européens. Un club de football reste, de facto, une entreprise un peu à part. « En règle générale, on observe qu’en cas de coup dur, les gros clubs sont soutenus par les autorités publiques, explique Jérémie Bastien.Cette exception sportive, elle existe. Par exemple, dans quasiment toutes les ligues nationales, les clubs ont des arriérés fiscaux importants, ce qu’on ne voit pas dans d’autres secteurs d’activités. On peut aussi imaginer qu’il soit accordé aux clubs de foot un décalage dans le temps du paiement d’un certain nombre de charges sociales. » Parmi tant d’illustrations de cette exception sportive, on peut notamment citer le décret Salva Calcio instauré en août 2003 par le gouvernement italien. Ce dernier avait permis aux clubs de Serie A d’allonger les durées d’amortissement de leurs indemnités de transfert, ce qui avait diminué leurs charges annuelles.

Enfin, un allègement, voire une suspension temporaire des mesures de régulation budgétaire instaurées aussi bien par les ligues que l’UEFA est à envisager : « On peut penser que la DNCG va mettre en place des mesures qui permettront aux clubs de présenter une situation financière particulière la saison prochaine, notamment avec un niveau d’endettement et de déficit plus important, poursuit Jérémie Bastien. L’UEFA va aussi probablement alléger ou geler pendant un certain temps le fair-play financier. On le voit déjà en dehors du foot : la Banque centrale européenne a décidé de suspendre certaines de ses modalités de régulation, notamment celle sur l’interdiction de dépasser les 3% de déficit. » Une plus grande souplesse nécessaire, pour tenter d’endiguer les effets d’une crise qui fera, quoi qu’il arrive, beaucoup de casse au sein du football continental.

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Par Adrien Candau

Propos de Jérémie Bastien et Pierre Maes recueillis par AC

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