Faut-il avoir peur des sénateurs ?
Emus par l'affaire Quemener, fin 2006, les sénateurs voulaient en savoir plus sur le monde des tribunes. Le Palais du Luxembourg a donc vu défiler ces derniers mois sociologues, supporters encartés, ex-hooligan, journalistes, responsables ès choses-du-football, etc. Mercredi 3 octobre, les parlementaires étaient au rapport.
A la question qui donne son titre au rapport « Faut-il avoir peur des supporters ? » , la réponse sénatoriale ne ménage aucun suspense : « Non » . De fait, le rapport est loin d’être alarmiste et fait état d’un paysage nuancé où « la violence réelle dans les stades [semble] finalement moins forte que celle ressentie » . « Ce rapport dresse un bilan assez juste de la situation du supportérisme français et remet bien en cause certaines idées reçues » , commente Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole Centrale de Lyon et spécialiste des tribunes. Si ce collaborateur de So Foot retrouve dans un premier temps ses petits dans le rapport sénatorial, c’est en partie parce que sa classification des tribunes a été retenue. Pour Nicolas Hourcade, ces dernières sont, schématiquement, composées :
1 – de supporters isolés et généralement pacifiques ;
2 – de supporters adhérents d’associations traditionnelles intégrées au club ;
3 – d’ultras ;
4 – de hooligans. Tout naturellement, le rapport s’attarde sur les catégories semblant poser problème : ultras et hooligans.
De l’utilité sociale des ultras
Sans surprise, les sénateurs notent à propos des hooligans : « [Leur] attachement au club, probablement réel au début, a dévié vers un soutien violent qui est devenu l’objet de leur venue au stade » . Sur les ultras, Bernard Murat, le rapporteur, se lâche un peu : « On a découvert des associations, je ne dirais pas militaires, mais très structurées » . En termes plus diplomatiques, le rapport note que les associations ultras ont « l’avantage de pouvoir exercer un contrôle social sur leurs membres et éviter ainsi des débordements violents » . Reconnaître l’utilité sociale des ultras, voilà une grande première de la part d’une autorité de l’Etat. Le rapport enchaîne : « Les associations de supporters sont dans le monde du football des acteurs sociaux incontournables avec lesquels les pouvoirs publics peuvent et doivent négocier » . « Ce que je trouve positif, remarque Nicolas Hourcade, c’est l’affirmation que la politique de gestion des supporters ne doit pas être que répressive. Il faut aussi de la prévention, de l’information, du dialogue, de l’accompagnement social » . On se prend alors à rêver que la jeunesse et la vieillesse de notre pays se sont enfin comprises, que certains aspects de la culture ultra trouveront meilleure presse dans l’avenir. Et là, gros tacle par derrière.
De la subtilité des sénateurs
Les préconisations des sénateurs, – intitulées avec une ironie involontaire « subtil panachage de prévention et de répression » – ne font en effet qu’alourdir le dispositif répressif en place. Si « le renforcement du dialogue avec l’ensemble des associations de supporters » et « la valorisation des bonnes pratiques de supporters (sic) » ne mangent pas de pain, et si « l’interdiction des grilles dans les stades » est une vraie mesure de bon sens, les autres recommandations relèvent d’une volonté de répression accrue.
Comment qualifier autrement « la mise en place de policiers référents dans tous les clubs à risque (re-sic) » et l’incitation à un renforcement par les RG de leurs réseaux d’indics – rémunérés ? – au sein des groupes de supporters qui en découle ? « Alors que le rapport prône un dialogue ouvert et constructif avec les supporters, il y a là comme une marque de défiance » , constate Nicolas Hourcade.
Comment qualifier autrement « l’instauration de peines planchers d’interdictions judiciaires de stade de trois ans » et « la possibilité de porter les interdictions administratives de stade à une année entière » ? « Le rapport souligne qu’il faut privilégier les interdictions de stade judiciaires pour préserver les droits de la défense, souligne Nicolas Hourcade. Ça me paraît une bonne chose. Mais cet avis s’accompagne d’une volonté de porter les interdictions administratives de six mois à un an. Le risque est que cela conduise à des abus. De même, je suis sceptique sur l’idée de peines planchers de trois ans pour les interdictions judiciaires de stade. Je trouve logique de punir les faits graves par des peines sévères. Mais la réaffirmation conjointe de la prohibition des fumigènes et de peines planchers de trois ans me semble ouvrir la voie à des sanctions fortes pour des délits mineurs » .
Des effets de la sieste sur les travaux parlementaires
Justement, sur l’épineuse question des fumigènes – « point de crispation » , selon eux –, les sénateurs ne sont pas plus ouverts. Tout en mentionnant – à l’oral uniquement – l’existence d’une utilisation raisonnable des fumis, les rapporteurs réaffirment leur volonté de « maintenir l’interdiction » . « Alors que les acteurs du football commencent à se pencher sur les conditions d’un allumage encadré des fumigènes, le fait que les sénateurs n’ouvrent même pas le débat est décevant. Dans un rapport qui prône par ailleurs le dialogue, il y a là une contradiction de fond » , déplore Nicolas Hourcade qui conclut : « Actuellement, certains groupes ultras se battent ‘contre la répression’. De mon point de vue, c’est un discours qui ne tient pas. La répression est tout à fait nécessaire si elle est juste. Ce qui est critiquable, c’est une répression abusive. Et là le rapport n’est pas clair : dans les principes, il rejette une répression disproportionnée, mais les mesures concrètes qu’il propose peuvent y conduire » .
Heureusement, ce programme n’est pas pour demain. L’expression « train de sénateur » n’est pas vaine et les titulaires du balcon du Muppets Show n’ont pour l’heure prévu aucune prolongation normative à leur rapport. Ils attendent d’éventuels relais médiatiques pour porter leurs propositions. Alors, faut-il avoir peur des sénateurs ? Tant qu’ils roupillent, non !
Jean Damien LESAY
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