Faire taire les commentaires
Suivre un match de football à la télévision est peut-être la chose la plus simple et la plus facile qu’il soit donné de faire sur cette planète. Avachi dans le canapé et hautement concentré sur le jeu qui se déroule devant ses yeux, le téléspectateur lambda doit néanmoins supporter les commentaires pathétiques des journalistes, qui comme lui, regardent le match.
Sur fond d’émotion à fleur de peau et de verbe travaillé, les commentateurs du ballon rond ont largement contribué à la pérennité des stéréotypes qui veulent qu’un footballeur soit totalement idiot. Ils sont devenus au fil des années les bandes originales du spectacle sportif et footbalistique. N’échappant pas à la caricature et aux passions partisanes et chauvinistes, le niveau intellectuel a rarement atteint des sommets. Souvent hors propos ou sorties de leurs contextes, les analyses de matchs se rapprocheraient plus des brèves de comptoir du bistrot du coin que du café littéraire. Mais peut-il en être autrement ? Sport populaire par excellence, le football a toujours été considéré comme une activité ringarde, et érigé, souvent à tort, en royaume de la bêtise. Depuis la victoire des Bleus en coupe du monde, cette tendance s’est quelque peu dissipée il est vrai, mais les imbécilités perdurent.
Le constat est là : les joueurs débitent un nombre incalculabe d’âneries certes, mais que peuvent-ils donc répondre aux questions idiotes et récurrentes posées par des journalistes-robots aussi impertinents qu’un Corbier millésime Récré A2. Loin d’élever le niveau, les différents chroniqueurs sportifs n’ont pas forcément contribué à le faire évoluer. La tendance serait même à la stagnation. Les questions bateaux amènent ainsi des réponses crétines : « Vous êtes content de la victoire ? » Pourquoi serait-il malheureux ? « Vous pouvez nous raconter votre match ? » . ‘Bah, il y avait une balle et on courait beaucoup…,’, « Vous êtes venus dans l’intention de faire un bon résultat » . Non ils sont peut-être venus pour se manger une raclée car c’est bien connu, un joueur rentre sur le terrain avant tout pour perdre…
Souvent d’ailleurs le footballeur n’attend pas qu’on lui en donne l’occasion pour montrer la pertinence de ses propos. Enfermé dans un carcan médiatique et dans l’univers des stratégies marketing et publicitaires, il se tire souvent une balle dans le pied, sorte d’auto-flagellation passionnée. Il existe ainsi un véritable argot du footballeur. Loin d’être fleuri, il se rapprocherait plus de celui dont usent les politiques pour amadouer les électeurs. Langue de bois, autocensure, gueule froide, et phrases toutes faites sont progressivement devenues le pain quotidien de ceux qui pratiquent un métier que beaucoup envient. « Je suis très heureux d’avoir signé ici, c’est un rêve de gosse. » Une réthorique autant utilisée au Real Madrid qu’à Auxerre. Le discours s’est institutionnalisé, les joueurs ne rient plus, le football est devenu une affaire d’état, une addition ennuyeuse de commentaires qui ne passeront jamais à la postérité. On nous parle de « magie du football », on nous rabâche que « le football est ainsi fait » et « qu’il n’y a plus de petites équipes. »
Au fil du temps, le footballeur est devenu une playmate, tout dans la forme et rien dans le fond. Heureusement quelques grands penseurs subsistent, et crient leur différence, échappant ainsi à un schéma bridant la matière grise. Cantona, Maradona, Valdano, Socrates, Eto’o et Mourinho ont souvent accaparé l’attention des médias. D’abord par leur talent, mais surtout par leur gouaille ou la désinvolture de leurs propos. Valdano affirmait du reste que les footballeurs n’étaient plus que de vulgaires fonctionnaires. Et il a malheureusement raison. Employés fragiles et éphémères des sponsors, des clubs et des fédérations, leur discours s’est sérieusement formaté depuis l’apparition des millions dans le football. Le jeu est devenu déséspéremment sérieux et les commentateurs n’ont rien fait pour l’égayer.
Longtemps Thierry Rolland et Jean Michel Larqué ont contribué à faire du football une fête gâchée par des remarques aussi stupides qu’inutiles. Le téléspectateur avait ainsi droit à des ‘private jokes’ incompréhensibles ou à des dédicaces qui auraient plus trouvé leur place dans les petites annonces d’Elie qu’à l’antenne de la première chaîne nationale. « Une pensée pour le petit Anthony qui est dans le coma et qui nous regarde peut-être de l’hôpital… »
Même les annonces des buts sont aussi austères qu’un dimanche pluvieux en Bretagne. A Canal Plus, on tient plutôt à donner du spectacle aux gens. Le laconique « et but !… » de Tf1 contraste franchement avec les envolées lyriques d’un Denis Balbir « Adrianoooooo, qui frappeee, et buttttttttttttttttttttttt !!!! » . Le journaliste doit savoir captiver le public et la chaîne cryptée l’a bien compris. La palette à Doudouce en étant l’antithèse parfaite.
Cependant, ce sont dans les commentaires d’avant-match que ces messieurs nous gratifient de leurs plus belles perles. Le match de gala étant l’expression la plus souvent utilisée, même pour des Troyes-Metz. Mais que veulent-ils dire par là ? Les joueurs vont-ils jouer avec des nœuds paps et des smokings ? Peu probable… Certaines expressions comme « passes de la mort » ou « il lui a cassé une hanche » , invitent également à la réflexion…Si le joueur lui a cassé une hanche, pourquoi n’a t-il pas été expulsé ? Oui le football est fait d’incompréhensions, d’approximations et d’expressions aussi fantasques qu’insipides. Et c’est pour cela qu’il est grand…
JPS
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