Bouquet rital
La consistante série Hooligans FC diffusée sur Discovery Channel se clôt cette semaine en apothéose par un instructif épisode consacré aux ultras italiens.
Après avoir arpenté l’Europe d’Ouest en Est et bourlingué en Amérique du Sud à la découverte des bandes de supporters les plus violentes de la planète, la série Hooligans FC et son inoubliable présentateur, l’acteur Danny Dyer, nous livrent la quintessence de leur art avec un reportage italien aux petits oignons.
Certes, il n’est pas donné à tout le monde de recevoir Discovery Channel, la chaîne qui diffuse en France la série. Dommage car ça vaut franchement le coup de voir Danny comparer, planté devant le Colisée, les ultras italiens à des gladiateurs des temps modernes. Ou se demander, l’air pénétré « comment une nation aussi cultivée peut produire autant de chaos et de destruction » . Ou flipper sa race à l’idée de rencontrer des ultras de la Juventus, lui le compatriote des agresseurs du Heysel. Ou donner l’impression de courir en marchant pour passer du virage sud au virage nord à la mi-temps du derby romain.
Ca vaut franchement le coup de déguster cet épisode également parce que, aussi incroyable que ça puisse paraître, il est tout bonnement excellent. En moins d’une heure, il dissèque avec justesse le mouvement ultra italien, dévoilant ses différentes facettes, des plus attrayantes aux plus repoussantes, et mettant en évidence sa remarquable ambivalence flirtant parfois sauvagement avec la schizophrénie. Il pointe aussi, après la mort en février du policier Raciti mais avant celle récente de l’ultra laziale Sandri, les errements de la gestion du supportérisme par les autorités.
Danny et son cameraman entrent dans le Stade Olympique de Rome comme dans un moulin et, manifestement, ils ne sont pas les seuls. Mais Danny ne nous sert pas pour autant un discours répressif simpliste. Il écoute les ultras italiens se plaindre d’une répression très dure qui, selon eux, ne résout rien. Il donne aussi la parole à un journaliste de la Gazzetta dello Sport estimant que les méthodes policières créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
C’est que le réducteur titre français de la série ne doit pas induire en erreur. Danny et les auteurs des reportages ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils ont bien compris que les formes de la violence des supporters sont fort diverses tout autour du globe et que les autorités ont aussi parfois leur part de responsabilité. Donc au lieu de se contenter de dénoncer la violence, incontestable, des ultras italiens, Danny cherche vraiment à savoir qui sont ces ultras.
De Turin à Bergame, de Rome à Florence, il nous fait découvrir ceux qui allaient être en première ligne des graves incidents de novembre dernier. Dès le départ, le journaliste de la Gazzetta plante le décor en soulignant les aspects tant positifs que négatifs du monde ultra. Et les différents témoignages nous montrent comment ce monde peut être à la fois authentique, riche, primaire et mafieux – on retiendra notamment la pathétique prestation d’un des meneurs des Drughi de la Juventus qui, voulant se donner des airs de parrain, passe surtout pour un con.
Mais c’est la figure christique du meneur des ultras de Bergame qui illumine l’épisode. Cristallisant toutes les ambiguïtés des ultras, il présente, exalté, son engagement d’ultra comme un mode de vie, il insiste sur la dimension communautaire du groupe et son rôle dans la cité, il critique vertement un football moderne qu’il considère répugnant et se présente comme défenseur des vraies valeurs du sport tout en affirmant adorer se battre avec les supporters adverses. S’il clame son goût pour la bagarre, il le fait de manière construite et cohérente assurant que les ultras ne sont pas des criminels mais juste des passionnés qui, en acceptant d’en découdre avec leurs homologues adverses, prouvent la force de leur amour pour leur club et leur ville.
L’épisode conduit ainsi à s’interroger sur l’avenir des ultras et, plus largement, du football italien. Les derniers évènements, postérieurs au reportage, n’encouragent pas à l’optimisme. Les nouvelles mesures répressives annoncées ont été présentées comme d’énièmes solutions miracles. Pourtant, malgré quelques frémissements après la mort de Raciti, les autorités sportives et politiques peinent à construire une réflexion et, par conséquent, une politique d’ensemble sur les questions du supportérisme. C’est bien beau de prendre les Anglais pour modèle : encore faut-il comprendre qu’ils ne se sont pas limités à la répression et que les policiers anglais sont un poil plus avenants que leurs homologues italiens. C’est bien beau de vouloir fermer des tribunes et interdire les supporters de déplacement. Mais il faudrait aussi appréhender les effets pervers de telles mesures. Et il conviendrait de s’interroger sur les relations, loin d’être toujours claires, entre les supporters et leur club. Les retours de bâton d’une attitude clientéliste à courte vue sont parfois douloureux.
Le chantier est vaste, tant pour ceux qui voudraient sortir le mouvement ultra de son marasme que pour ceux qui aimeraient guérir le calcio de ses maux – sans parler des illuminés qui espèrent sauver les deux en même temps. Avec son air de ne pas y toucher, Danny nous révèle crûment et précisément l’ampleur du problème : chapeau l’artiste !
Quentin Blandin
L’épisode italien de Hooligans FC est rediffusé dans la nuit de samedi à dimanche à 0 h 20 sur Discovery Channel (première diffusion lundi dernier à 22 h 35).
Précédentes chroniques :
Présentation générale de la série et épisode anglais
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