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Benoît You : « L’ASEC est la locomotive du football ivoirien »

Propos recueillis par Christophe Gleizes, à Abidjan
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Entre deux coups de fil urgents, Benoît You, le directeur général de l'ASEC Mimosas, reçoit dans son bureau, situé en plein cœur du magnifique complexe sportif de Sol Béni. La mine concentrée et le regard perçant, il partage sans sourciller ses convictions sur la suprématie nationale de son club, la formation des jeunes et le développement du football ivoirien.

Bonjour Benoît, pouvez-vous me présenter Sol Béni, le centre où nous nous trouvons ?

Sol Béni est le centre d’entraînement de l’ASEC Mimosas depuis 1989. Au départ, quand il a été loué, il n’y avait qu’un seul terrain et il n’y avait pas d’accès à l’eau et l’électricité. Depuis, l’association de l’ASEC en est devenue propriétaire, ce qui est très rare en Afrique, et le complexe s’est développé au fil des années. Nous avons construit d’autres terrains, puis une école, une infirmerie, un internat et plus récemment un hôtel de 30 chambres avec piscine. Le complexe est réservé à notre équipe professionnelle et à notre centre de formation, mais quand ils sont à Abidjan, les Éléphants viennent aussi ici pour se préparer, car Sabri Lamouchi, comme ses prédécesseurs, apprécie beaucoup les installations.

Comparées au reste du pays, les conditions sont clairement optimales pour s’entraîner…

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’ASEC, avant d’arriver à Sol Béni, faisait comme tous les autres clubs ivoiriens, c’est-à-dire qu’on s’entraînait à droite à gauche, un jour à l’université, l’autre à l’école de police, en fonction des disponibilités. L’homme qui a vraiment tout changé, c’est Maître Roger Ouégnin. Après son élection à la présidence du club en novembre 1989 et l’arrivée du coach Philippe Troussier, c’est lui qui a eu l’idée de louer le terrain, puis de le racheter. Ensuite, en 1993, est venue se greffer l’idée d’un centre de formation (l’académie Mimosifcom). Depuis cette date, notre mission, c’est de former les meilleurs joueurs ivoiriens. L’ASEC Mimosas a été précurseur, Sol Béni est l’un des premiers centres de formation proprement dit à avoir vu le jour en Afrique, avec la réussite que l’on connaît.

Quels sont les joueurs les plus fameux à être passés par ici ?

L’ASEC Mimosas a formé beaucoup de joueurs, mais les plus connus sont ceux qui jouent en équipe nationale : Yaya et Kolo Touré, Gervinho, Didier Deguy Zokora, Salomon Kalou, Aruna Dindane, Baky Koné, Emmanuel Eboué… Plus récemment, on a sorti Didier Ya Konan qui joue à Hanovre, Gohi Bi Cyriac à Anderlecht, Ismaël Diomandé à Saint-Étienne ou encore Souleymane Sawadogo à Auxerre… Donc effectivement, la liste est longue, l’ASEC a bien travaillé. C’est une fierté, mais il faut continuer, ce n’est jamais fini, il y a encore beaucoup d’enfants qui veulent être formés et faire carrière. Seulement, aujourd’hui, il y a plus de concurrence, beaucoup plus de centres en Côte d’Ivoire et à l’étranger, et dans ce contexte, il faut continuer à se battre pour améliorer la qualité du travail.

J’imagine que la formation, puis la vente de ces espoirs font partie intégrante de votre modèle économique ?

Tout à fait, notre club vit essentiellement des transferts de joueurs et du sponsoring. Contrairement à d’autres pays, les droits télés, le merchandising et les entrées au stade rapportent très peu. Donc c’est pour ça qu’on se concentre sur ces deux activités et on essaie aussi de se développer via notre centre en diversifiant les services proposés, avec un hôtel, restaurant, une salle de sport et plus récemment une radio.

Ce n’est pas frustrant de se séparer sans cesse de ses meilleurs éléments ? Ne souhaiteriez-vous pas parfois pouvoir les conserver ?

C’est le cas de beaucoup de clubs en Afrique. On en a discuté il y a un mois en Afrique du Sud, à l’invitation de la CAF, lors d’un séminaire sur la professionnalisation des clubs de football africains. Tous les clubs sont obligés de céder leurs joueurs, à part quelques exceptions comme le TP Mazembe en République démocratique du Congo qui appartient au gouverneur de la province du Katanga, qui finance largement les activités. D’autres clubs au Maghreb y parviennent, car il y a une certaine ferveur et un pouvoir d’achat un peu plus élevé, mais en Afrique subsaharienne, il faut avouer que c’est très difficile, car le contexte n’est pas favorable.

Vous pensez à terme pouvoir y arriver ?

Nous aimerions, mais bon, il faut rester réalistes, on n’arrivera pas à l’avenir à conserver les joueurs sollicités par les meilleurs championnats européens. Nous ne pourrons jamais nous aligner sur les salaires proposés par des clubs comme le Real, le PSG, Manchester ou même Lyon. Mais ce n’est pas ça qui est gênant, ces clubs ne sont pas nos concurrents. Le vrai défi, aujourd’hui, c’est d’avoir les moyens économiques et sportifs de retenir un joueur, plutôt que celui-ci ne signe en Roumanie, en Moldavie, au Vietnam ou en Thaïlande. Dans ces cas-là, vraiment, il faut qu’on soit assez puissants pour pouvoir concurrencer ces ligues mineures où chaque année partent des dizaines de joueurs ivoiriens, ce qui appauvrit le niveau du championnat national.

Que faut-il améliorer pour y parvenir ?

Le défi est difficile, il faut que chacun joue son rôle. Le salut passe par un État qui participe davantage, en créant l’émergence des conditions d’un football professionnel, avec des infrastructures, des stades, des incitations fiscales pour encourager les clubs à progresser… Il faut aussi une intervention accrue de la Fédération, des clubs sérieux avec des dirigeants sérieux qui ont une vision à long terme et pas seulement la volonté de gagner de l’argent à court terme sur le transfert des joueurs. Il faut aussi une télévision et des médias qui vont jouer leur rôle à travers une bonne diffusion. C’est donc un défi à relever collectivement. En somme, il faut arriver à créer du spectacle comme l’ASEC a pu le faire dans les années 90, à l’époque où les stades étaient pleins.

Racontez-nous un peu cette période dorée.

Je n’étais pas présent personnellement, mais l’ASEC a remporté 15 titres de champions en 17 saisons, de 1990 à 2006, une Ligue des champions africaine en 1998 et une Supercoupe d’Afrique en 1999 (au total, le club pèse 24 titres de champion de Côte d’Ivoire), grâce principalement à la volonté d’un homme, Maître Roger Ouegnin. C’est très rare en Afrique de construire un club sans être intéressé par autre chose que le football, et pourtant, c’était son seul objectif. Il a œuvré chaque jour pour son club, a donné du temps pour que ça marche. L’ASEC a toujours été le club du peuple, le club le plus populaire, mais avant lui, dans les années 80, il n’y avait aucune stabilité, les présidents sautaient chaque année, car les supporters faisaient la loi. Il n’y avait que deux clubs, l’ASEC et l’Africa Sport, le président de l’Afrika était proche du président Houphounet Boigny, l’ASEC avait d’autres soutiens, ça a toujours été très politique…


La rivalité est-elle toujours aussi forte entre les deux clubs phares du pays ?

En Côte d’Ivoire, tu es forcément supporter d’un des deux clubs, mais bon, quand les gens vous parlent des derbys des années 90, les matchs avaient lieu l’après-midi et les stades étaient pleins dès le matin… Ça attirait plus de 50 000 personnes, une vraie effervescence. Aujourd’hui, la rivalité existe toujours, mais vu qu’il y a beaucoup moins de public, elle s’est un peu estompée.

Pourquoi le public ne répond-il plus ?

Comme je l’ai expliqué, il faut bien comprendre que le spectacle a baissé. Depuis l’arrêt Bosman au début des années 2000, tous les meilleurs joueurs ivoiriens ont la possibilité de partir. On assiste à un véritable exode, alors que dans les années 90, les meilleurs joueurs ivoiriens jouaient encore dans notre championnat. J’ai pas les chiffres, mais entre 500 et 1000 joueurs ivoiriens évoluent aujourd’hui à l’étranger. Ils ne pensent qu’à une chose, c’est à partir, car ils vont gagner 2, 3, 5, 10, 100 fois plus à l’étranger. Ce qui fait qu’il ne nous reste que des joueurs moyens, qui changent en plus tous les ans. Le niveau est donc en baisse et c’est pourquoi les gens préfèrent regarder Drogba à la télé plutôt que d’aller dans des stades vétustes, avec des pelouses de mauvaise qualité, clairsemées de joueurs moyens qu’ils ne connaissent pas.

L’incertitude du championnat semble pourtant relancée avec la concurrence nouvelle du Séwé Sport, en passe de remporter son troisième titre d’affilée…

C’est vrai… (pas convaincu) Mais en Côte d’Ivoire, il est difficile de comparer l’ASEC Mimosas et les autres clubs. Tant mieux pour eux, ils gagnent en ce moment, mais l’ASEC a été champion 17 fois au cours de 22 dernières années, a gagné la Ligue des champions, dispose d’un centre d’entraînement reconnu mondialement, a formé la majorité des joueurs évoluant en équipe nationale, dispose de nombreux supporters, d’un magazine, d’une radio… (il tapote sur son clavier) Eux, ils n’ont même pas de site internet… (soupirs) Ça montre bien qu’il n’y a pas de vision à long terme. En sport, il y a des hauts et des bas et nous avons quelques difficultés pour reconquérir notre titre. Il faut dire que l’ASEC a souffert pendant longtemps de l’absence de concurrence et d’incertitudes, quand tu gagnes pendant 17 ans d’affilée… Je souhaite beaucoup de réussite au Séwé dans la construction de leur club, mais c’est un long chemin qui ne s’arrête pas aux résultats sportifs immédiats.

Vous êtes actuellement 2es en championnat. Comment vous envisagez la suite de la saison ?

En ce moment, on est deuxièmes, comme l’année dernière, à quatre points du Séwé. Notre volonté, c’est d’être champions. Après, les résultats sont ce qui sont, cette année l’équipe est moyenne. Dans l’immédiat, l’objectif, c’est de se qualifier pour les quarts de finale de la Coupe de la CAF. Après notre exploit au tour précédent contre le CS Constantine (0-1, 6-0), nous avons battu en huitième de finale aller les Kaizer Chiefs en Afrique du Sud (2-1). Ensuite, il nous restera aussi à jouer la coupe nationale, dont nous sommes les tenants du titre. Enfin, sur l’aspect club, c’est de continuer à former des bons joueurs et d’être la locomotive du football ivoirien.

Un dernier mot sur la sélection ivoirienne, qui va disputer sa 3e Coupe du monde d’affilée ?

C’est une belle performance pour un pays qui n’avait jamais participé à la compétition auparavant. Maintenant, il s’agit de faire mieux que lors des deux premières éditions (éliminations en poules). J’espère qu’on arrivera au moins en huitièmes de finale, le coach est bon et il y a de bons joueurs, je leur souhaite plein de réussite. En signalant, au passage, que la moitié des joueurs de l’équipe ont été formés ici (sourire entendu).
Dans cet article :
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