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Balkans, football et guerre

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Balkans, football et guerre

Après l'Angleterre et l'Ecosse, cap sur les Balkans pour la série Hooligans FC diffusée sur Discovery Channel. Où on ne parle plus seulement de bagarres entre supporters mais de guerre.

Cette semaine (1), la série documentaire Hooligans FC diffusée sur Discovery Channel quitte la Grande-Bretagne (voir les chroniques des deux épisodes précédents All around the hooligan world et Casuals sans kilt) et met le cap sur les Balkans. Comme le souligne Danny Dyer, le présentateur de la série, cette fois-ci il n’est plus question de bagarres de rue ou de stade, de bastons de deux minutes ou d’attaques de bar, mais de haines féroces et d’une guerre. Une guerre qui a ravagé la région au début des années 1990, autrement dit hier. Une guerre qui, forcément, a durablement marqué les supporters rencontrés par Danny, en témoignent les monuments érigés dans les stades de Zagreb et Split en hommage aux supporters tombés pour leur nation. Une guerre omniprésente, symbolisée par la ville martyre de Vukovar à la frontière entre Serbie et Croatie, dans laquelle Danny s’arrête quelques instants pour laisser voir les stigmates du conflit.

Pourtant, l’épisode commence de manière classique. Danny déambule dans les rues de Split. Tout fier dans son beau tee-shirt Led Zeppelin, il s’extasie sur la beauté de la ville et des fesses des jeunes filles. Il nous amène à la rencontre de Jere, un des membres de la Torcida de l’Hajduk Split, le plus ancien groupe ultra d’Europe fondé en 1950 (2), puis de Bogdan, meneur des Bad Blue Boys du Dinamo Zagreb.

Dans un anglais sommaire, Jere et Bogdan évoquent leur rivalité, les bagarres des années passées, les coups de pression mis sur les joueurs indignes du maillot qu’ils portent (Bogdan), les tensions avec la police qui les considèrent comme des « citoyens de seconde zone » (Jere) ou comme « l’ennemi numéro 1 » (Bogdan), les déplacements européens et leur fierté d’avoir fait la loi dans les stades et les rues de Rome (Jere) et de Milan (Bogdan). Danny se pâme devant les chorégraphies des deux groupes et les qualités de meneur de Bogdan qui harangue les occupants de sa tribune pendant 90 minutes. On se prend à penser que tout ça manque de profondeur, à se demander si l’anglais limité des témoins empêche les auteurs d’aller plus loin, à se lasser de regarder Bogdan fanfaronner, à regretter que le conflit entre les Bad Blue Boys et le président croate Tudjman autour du nom du Dinamo (brièvement rebaptisé Croatia avant de revenir à son appellation d’origine sous la pression notamment des BBB) ne soit qu’effleuré.

On s’accroche à quelques scènes de qualité et à des remarques intéressantes. L’ambiance des stades de Zagreb et Split est bien rendue, les chants sont puissants et beaux, les jets de fumigènes impressionnants, les images d’archives d’incidents frappantes. La différence entre ces groupes croates qui ont pignon sur rue et les firms britanniques condamnées à la clandestinité est bien montrée, de même que l’importance de ces groupes dans leur ville, mise notamment en évidence par les immenses fresques à la gloire de la Torcida qui parsèment Split ou par les travées vides du stade de Zagreb en dehors du kop bondé des BBB. Si ces ultras ont autant de pouvoir, c’est d’abord parce que les clubs ont besoin d’eux.

Et puis le documentaire nous parle du fameux match de mai 1990 entre le Dinamo Zagreb et l’Etoile Rouge de Belgrade (3), souvent considéré comme un prélude à la guerre. On se dit qu’on a déjà entendu et vu ça cent fois, les tensions préalables au sein de la Yougoslavie, l’explosion en ce printemps 1990 dans le stade de Zagreb, les incidents dans les tribunes puis sur le terrain, les policiers majoritairement serbes qui rudoient les BBB, Boban qui les défend et devient un héros de la future nation croate, et dans les mois suivants le conflit qui s’enclenche, les éléments les plus durs des groupes de supporters yougoslaves qui s’engagent dans la guerre, Arkan ancien meneur des Delije (Braves ou Héros) de l’Etoile Rouge et responsable sécurité du club qui recrute les “Tigres” de sa milice paramilitaire parmi les Delije, les horreurs du conflit, etc. On se dit que ce n’est pas encore ce reportage qui va analyser vraiment en quoi et comment les groupes de supporters ont été impliqués dans la guerre, que Danny brosse de manière superficielle les différences entre d’un côté Zagreb et Split et de l’autre Belgrade qui ressemble plus selon lui aux villes d’Europe de l’Est et qui le dépayse complètement à cause de l’alphabet cyrillique. On comprend que les actuels meneurs des Delije refusent de parler à Danny, lassés que les journalistes étrangers fassent systématiquement référence à Arkan et les présentent comme des « criminels de guerre » .

Et puis on rencontre les Grobari (fossoyeurs) du Partizan de Belgrade et on a la nausée. Eux sont fiers d’accueillir Danny, de faire étalage de leur puissance, de raconter qu’ils se battent avec leurs rivaux de l’Etoile Rouge dans les palais de basket où la qualité du jeu est meilleure que dans les stades de foot, de clamer qu’ils s’en foutent du football puisque ce qui compte c’est leur propre match ou d’affirmer de manière plus nuancée que le plus important c’est le Partizan, de prétendre que la violence entre supporters, c’est « comme le sexe…avec deux filles » , d’afficher leur haine des Croates, etc. Les Grobari, en particulier la section Alcatraz qui regroupe les plus furieux, reçoit Danny en arborant ostensiblement des flingues. Une sordide histoire d’une humiliation extrême qu’aurait subie un meneur de la Torcida dans les années 1980 clôt la conversation.

Le documentaire peut bien se conclure par des considérations sur le futur du football dans les Balkans, le téléspectateur peut bien regretter que ces sujets sensibles n’aient guère été fouillés quoique correctement présentés, l’écoeurement demeure. Les fanfaronnades initiales de Bogdan prennent une autre tournure. Pour beaucoup de hooligans d’Europe occidentale, la violence entre supporters rivaux est un jeu, violent, cruel, meurtrier parfois, mais il demeure, dans l’esprit, un jeu dont les protagonistes se respectent comme l’épisode écossais le prouvait. Cette partie sur les Balkans vient rappeler ce que tout le monde sait : le stade ultime du hooliganisme, c’est la haine ethnique et la guerre. Même si on aurait aimé que l’analyse aille un peu plus loin, il n’est jamais mauvais de rappeler de telles évidences.

Nicolas Hourcade

Suite à un incident informatique, ce texte n’a pu être mis en ligne avant la diffusion du reportage lundi soir. L’épisode sur les Balkans de Hooligans FC est rediffusé sur Discovery Channel dans la nuit de samedi 3/11 à dimanche 4/11 à 0 h 20.

1 – L’épisode de la semaine prochaine sera consacré aux Pays-Bas.

2 – Cf. Nicolas Hourcade, « Maracana / Split » , So Foot, n° 24, été 2005.

3 – Cf. Jean-Damien Lesay, « Dinamo Zagreb, l’étincelle croate » , So Foot, n° 37, octobre 2006.

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