Au coeur des braises italiennes…
Au pays du futebol, de la samba, des trav' et des clichés, il y a ceux qui existent seulement lorsqu'ils se trouvent loin de leur terre natale. Oubliés ou snobés par la Seleção, difficile d'exister, sauf quand on respire et transpire le football glamour. Nés au Brésil en 1980 à cent quarante-huit jours d'intervalle, Rodrigo Taddei et Alessandro Mancini sont liés par leur sang romain, et pas seulement...
Mâchoire impressionnante et dents de cheval façon Fernandel, front occupant 90% du visage, le faciès de Rodrigo Ferrante Taddei a sans doute inspiré les créateurs du dessin animé “Le collège fou fou fou”. Mais la vie de l’Italo-Brésilien n’a pas toujours été rythmée par le flow envoûtant de Bernard Minet.
Elevé dans les favelas de São Paulo, amoureux de sa mère et de Dieu, Rodrigo est un vrai Brésilien : « Mon enfance s’est passée dans la souffrance, comme presque tous les gens qui grandissent dans les favelas. Grâce au foot, j’ai réussi à apporter une aide et une stabilité à ma maman et ma famille. C’est ma plus grande satisfaction, avoir permis à ma mère d’arrêter de travailler pour vivre une vie tranquille » .
Les crampons et les petits ponts sont vite devenus un métier pour ce mec qui a longtemps jonglé entre le foot à onze et le ‘calcetto’ (futsal), qu’il pratique jusqu’à 17 piges.
Au Brésil, ses performances sont honnêtes et l’Europe du pauvre s’intéresse à lui après deux saisons passées sous les couleurs de Palmeiras.
L’Italie sera Sienne
En 2002, Middlesbrough, Bologne et Trévise arrivent un peu en retard au rendez-vous, et c’est finalement Sienne qui lui propose un aller simple pour le Calcio.
Dès son arrivée, le milieu de terrain brille et permet au club toscan d’accéder à la Serie A. Mais à peine sorti du destin à la Zé Pequeno auquel il semblait promis, l’infortuné Taddei reçoit un nouveau coup de latte de la providence. Un accident de la route l’envoie sérieusement dans les cordes. Pinga, son ami et coéquipier de l’époque, est touché. De son côté, Rodrigo s’en sort miraculeusement après avoir flirté avec la mort pendant plusieurs heures. La seconde chance attribuée à l’ailier siennois ne sera en revanche pas offerte à Leonardo Taddei, son jeune frangin décédé. « Mon frère me manque vraiment beaucoup et il n’y a pas un seul jour qui se passe sans que je le cherche …] Depuis ce moment, ma vie n’a plus jamais été la même » .
Son football sera littéralement transfiguré par ce tragique événement. Désormais, quand Taddei marquera un but, sa main se glissera sous son maillot, et son poing que l’on imagine serré mimera un cœur qui bat très fort…
L’Empire du milieu romain
Après avoir aidé Sienne à sauver sa peau en Serie A, l’ailier flamboyant rejoint l’AS Rome à l’aube de la saison 2005/2006, alors qu’une illustre Vieille Dame lui fait du grain en vain.
Au sein de la casa romaine, les places qui brillent autour de l’intouchable Totti sont rares. Mais des buts dingues et des dribbles made in favela vont faire vibrer un peu plus que le flanc droit des Giallorossi.
Taddei est certes brésilien, mais joue simple. Parfois, des éclairs de patriotisme le forcent à humilier ses adversaires directs via des inspirations christiques : le 18 octobre 2006, un soir de Champion’s League, Rodrigo profite de la réception de l’Olympiakos pour faire découvrir à la planète un [geste technique travaillé à l’entraînement avec Aurelio Andreazzoli, membre du staff romain. Ce mouvement, baptisé « l’Aurelio », consiste à faire l’inverse de la virgule de Ronaldinho, le tout en faisant passer le ballon derrière la jambe d’appui. En fait, un Taddei en état de grâce ressemble à un spot Nike livré avec le packaging bidonville. Les supporters et Luciano Spalletti adhèrent.
Mancini otarie lucide
Depuis quelque temps, pour devenir priapique, il suffit de passer ses dimanches au Stadio Olimpico. Quelle que soit votre position dans le stade, vous disposez d’une belle vue sur un feu-follet italo-brésilien qui vous gifle à grands coups de passements de jambes.
Passeur de renom, abonné aux actions youtubesques, Alessandro Faiolhe Amantino Mancini est en effet le deuxième frère Bogdanov de l’AS Roma. Front large et équivalence de Taddei sur l’aile gauche romaine, Mancini appartient lui aussi au cercle des joueurs fous fous fous.
Parachuté à 22 ans “sur” la Botte avec quelques sélections brésiliennes comme (ba)gage de qualité, la flèche auriverde est vite annoncée comme le successeur de Cafu au poste de latéral droit.
Dans un premier temps, la Roma fait pourtant goûter son joyau à Venise (Serie B) durant six mois afin qu’il s’acclimate au Calcio.
Youtube-Football
De retour dans la ville éternelle, la bomba brésilienne score à huit reprises au cours de l’exercice 2003-2004, devient meilleur passeur du club, et cerise sur le baba au Rome, plante une « Madjer » contre l’ennemi lazialiste. Le natif de Belo Horizonte rentre alors dans le coeur des tifosi romains par la grande artère.
Au-delà de ce geste, Mancini a pris l’habitude de marquer des buts assez épicés, comme ce coup du foulard inscrit en rampant le 15 avril 2006 sur la pelouse de Palerme.
Semaine après semaine, inlassablement, les deux milieux excentrés de l’AS Rome cassent les reins et le moral de ceux qui se dévouent pour les prendre au marquage.
Demandez plutôt à Tonio Réveillère ce qu’il en pense, lui qui s’est fait racketter une hanche par Mancini un soir de biture à Gerland…Eric Abidal, même jour, même heure, même pomme, accueillera Rodrigo Taddei les jambes écartées pour ce qui reste l’un des plus beaux petits ponts de la saison écoulée.
Depuis sa première cape, honorée à l’âge de 19 ans, Mancini (13 sélections) a été régulièrement oublié par les tacticiens qui se sont succédé à la tête de la Seleçao. Son embarrassante polyvalence, qui l’a fait évoluer de latéral droit à ailier gauche (en passant occasionnellement par la case meneur de jeu), peut-il être considéré comme un argument digne de ce nom ?
La capitale italienne, elle, s’en fout. Proposant un football souvent fantasmagorique, la Roma remet en cause les préceptes selon lesquels le Calcio est soi-disant un championnat ultra défensif.
Durant toute l’année, quand Mancini marque, il court partout, marche sur les mains ou exécute une démo de capoeira, Taddei le bouscule et onze Romains s’embrassent.
Sous le ciel romain, Totti a désormais deux fidèles apôtres. Par Matthieu Pécot.
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