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Asfar Shamsi : « On est plein à avoir partagé la même tristesse en 2006 »
Faire sa première radio avec un son qui parle du penalty raté de David Trezeguet en finale de la Coupe du monde 2006, c’est la vie qu’a décidé de mener Asfar Shamsi à 26 ans. Avant son concert à la Maroquinerie de Paris le 22 octobre prochain, rencontre avec la chanteuse originaire de Strasbourg qui n’a toujours pas digéré la quatrième étoile de la Nazionale.

Raconte-nous la genèse de ton son 2006. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire cette chanson maintenant, à un an des vingt ans de cette finale ?
Deux mois avant ce Planète Rap où je l’ai chantée pour la première fois, Youssef Swatt’s m’écrit pour me dire qu’il pensait m’y inviter. Mais il n’y avait rien de concret. Une semaine avant la date, il me confirme que ça se fera bel et bien. Là, je me demande quel son choisir et je ne trouvais pas dans mon catalogue un truc adapté à l’émission. Avec mes potes Louis et Jonas avec qui je compose, on s’est retrouvés au studio, et la partie foot du morceau s’est débloquée, car j’avais toutes les phrases du refrain… et ce mot « penalty » qui me revenait en permanence dans la tête. Une fois terminé, j’ai envoyé à Youssef le son avant l’émission, il était au Brésil pour le carnaval de Rio. Il m’a dit : « C’est cool. » Bon, il ne m’a pas dit non plus qu’il avait pété son crâne en l’écoutant. Le jour J arrive, je n’ai jamais chanté à la radio et il y avait beaucoup de monde dans le studio. Fred (Musa) de Sky est devant moi, j’étais intimidée et stressée. Les gens kiffent, mais voilà, personne ne me dit que c’est incroyable.
Parfois, je mettais des Predator pour aller à l’école. Quand t’es fier… tu n’as pas mal aux pieds.
Et la suite ?
Je ne base pas du tout ma musique sur la viralité, donc j’étais archi surprise car, très vite quand j’ai posté la vidéo du Planète Rap, j’ai vu qu’il se passait un truc bizarre : jamais aucune de mes vidéos ne tournait autant. J’ai posté ça sur Instagram un dimanche – alors qu’il ne faut absolument pas poster le dimanche – et c’était parti. Dans ce son, j’ai parlé des trucs que j’aime, je n’ai pas conscientisé le truc, j’ai juste laissé couler l’encre. Ce qui est sorti, c’est mes rêves de rap et mes rêves de foot. Je pensais ne parler que de moi au début, mais je me rends compte qu’on est plein à avoir partagé les mêmes refs et la même tristesse en 2006. Je ne pensais pas que ça allait autant résonner chez les gens, tout simplement parce que le soir où Trezeguet tape la barre, personne ne partageait ma tristesse et ma passion dans ma famille. J’ai deux grandes sœurs, mes parents n’aiment pas trop le foot. Tous les matchs en aprem de la Coupe du monde 2006, je les regardais solo sur le canapé. Ils m’avaient quand même fait plaisir pour la finale qu’on avait regardé ensemble. Je me souviens qu’à l’issue de la séance de tirs au but, j’étais partie dans ma chambre, je m’étais roulée par terre en boule. J’avais 7 ans, mais j’avais surtout le seum.
Comment est arrivé le foot dans ta vie si tu n’es pas issue d’une famille de footeux ?
Mes premiers maillots, je les ai eus quand j’avais 5-6 ans. Moi, je viens de Strasbourg, et tous les étés, j’allais chez mes cousins qui vivaient dans le Sud. L’environnement était beaucoup plus masculin, c’était foot de ouf, j’étais biberonnée. Je récupérais tous les maillots de mes cousins quand ils devenaient plus grands que moi, on jouait à FIFA ou PES, puis dans le jardin avec des cages de foot. Ma grand-mère savait que je kiffais ça, donc elle m’achetait tout le temps des crampons. Parfois, je mettais des Predator pour aller à l’école. Quand t’es fier… tu n’as pas mal aux pieds. (Rires.)
T’avais quel niveau balle au pied ?
J’étais plutôt forte. Mes parents ne voulaient pas que j’en fasse en club parce qu’ils ne voulaient pas que leur fille fasse du foot, mais je pense que j’aurais été encore meilleure si j’avais pu. Peu de filles jouaient dans la cour de récré, et pour te dire, en CM2, j’ai même été capitaine de l’équipe de foot de ma classe. Ça avait fait scandale chez certains garçons qui disaient que c’était pas normal que ce soit une fille. J’étais dég’, en vrai, de pas avoir pu faire de foot en club. Du coup, je m’entraînais dans ma chambre avec une balle remplie d’air, plutôt moelleuse, avec tous les écussons de la Ligue 1 que j’avais eue à Pâques. Je m’entraînais avec, ça faisait pas trop de bruit, et j’essayais de jongler ou de faire des gestes techniques. Mon geste signature ? C’est le sombrero. J’essayais les tours du monde, mais je n’ai jamais réussi. Après, au début de l’adolescence, j’ai eu plein de problèmes de croissance. J’ai grandi trop vite, je ne pouvais plus faire de sport. Maintenant, je suis un peu nulle.
Tu allais un peu à la Meinau ?
J’ai vu très peu de matchs à la Meinau vu que ma famille n’était pas foot, mais à chaque fois que j’y suis allée, c’était top. Mon premier match au stade, c’était avec mes cousins au Vélodrome, ça devait être un OM-Bastia ou Ajaccio. Il y avait Valbuena, ils avaient le maillot rayé.
J’ai mis la voix de Thierry Gilardi à la fin du morceau. C’est un peu comme Nelson Monfort, ce sont des voix qui sont dans nos mémoires à tous. Ce qu’il dit à ce moment-là, c’est mythique.
Revenons sur 2006. Vous avez décidé de tourner le clip de ce format avec une vieille caméra, dans un bar PMU comme si c’était le jour J. Il y avait une volonté de miser sur la nostalgie ?
Le clip s’est fait vers Nantes (à la Boissière-de-Montaigu, NDLR) non loin de là où le réal habite. On ne voulait pas le faire à Paris justement parce qu’aujourd’hui, tu as un clivage entre les grandes villes et les villes ou villages de province. Je trouve ça dangereux de tout opposer. Pour répondre à ta question, on voulait aussi avoir un côté un peu documentaire. C’est très simple à l’image et on voulait avoir un propos : ce truc de dire « Rendez-moi la France de Mélanie », ce n’est pas non plus la France de 2006. C’est un truc que Diam’s a mis dans sa chanson. Là-dessus aujourd’hui, les gens sont hyper divisés, clivés, c’est difficile de rassembler. Et c’est chiant aussi parfois les discours qui essaient trop de rassembler. On voit qu’à travers les Coupe du monde, ces grandes compétitions de foot, c’est l’un des rares trucs fédérateurs dans notre société. On peut encore vivre des moments trop cool ensemble, il y a encore ces espaces-là, où l’on respire, où juste on profite. Pendant qu’on regardait le match, je ne connaissais pas les gens qui étaient là et on a vraiment partagé un truc alors qu’on connaît l’issue du match, mais juste de voir certaines séquences, ça rassemble.
Par exemple ?
Les figurants sont des habitués de ce bar. Pas mal de gens qui nous ont croisés par hasard et sont venus, ça a fait son petit boucan sur place. Il y a deux trois soucis de raccord, notamment un enfant qui a le maillot de l’Euro 2016, mais bon… On a même pas trop eu à diriger les gens. Tout le monde savait qu’aux tirs au but, ça n’allait pas le faire, et pourtant il y avait quand même ce mini-espoir. Bon, il y en a certains qui avaient peut-être bu quelques coups de trop qu’il a fallu légèrement cadrer, parce qu’ils avaient la flemme sur la fin, mais tout était très sincère, naturel. Après le coup d’envoi, les « Allez les Bleus » sortaient naturellement. Les images marquent trop, tu vois Zidane, Henry, tu as envie que ça se passe bien sur le terrain… puis tu as le carton rouge, le penalty, c’est dur. C’est pour ça que j’ai mis la voix de Thierry Gilardi à la fin du morceau. C’est un peu comme Nelson Monfort, ce sont des voix qui sont dans nos mémoires à tous. Tu sais que c’est eux, et quand leur voix parvient à nos oreilles, tu sais que c’est lié à un événement précis, à un match, une course, une année. Ce qu’il dit à ce moment-là, c’est mythique.
Qu’est-ce que ça t’a fait de revoir le coup de boule de Zizou ?
Je ne l’avais pas revu depuis. Je ne me souvenais pas que l’arbitre ne l’avait pas vu, qu’il était allé voir ses assistants qui n’avaient pas vu non plus et que c’était le quatrième arbitre qui lui a fait savoir. En vrai, c’est une injustice. (Rires.) Ensuite, tu as toute la phase de doute, Gilardi qui dit : « Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Trezeguet », personne ne sait qu’il y a le coup de boule. Tu ne peux pas anticiper ce qu’il va se passer. Quand Zidane s’expliquera plus tard sur son geste, j’étais chez ma grand-mère. J’étais soulagée qu’il le fasse. J’avais besoin de réponses, car je ne comprenais pas ce geste impulsif, je m’étais un peu senti trahie. Qu’il dise qu’en fait, Marco Materazzi avait insulté des membres de sa famille, qu’il regrettait, ça m’avait soulagée.
Toi aussi tu t’es mis à détester Materazzi à ce moment-là ? Bien sûr ! Même maintenant quand je le vois en photo… Je le détesterai à vie !
Pourquoi cette finale 2006 a tant marqué les gens ?
Il y a l’équipe qui est incroyable, le match contre le Brésil, c’est hyper boomer de dire ça, mais c’était du beau football ! J’ai vibré sur tous les matchs. Ça jouait de ouf, l’équipe était trop bien. Je suis moins assidue aujourd’hui dans mon suivi du foot, mais il y a la sensation que les joueurs de cette époque-là me touchaient plus. C’était beaucoup plus des référents et des modèles que ceux actuels : Zidane, Henry, Barthez, Ribéry, Vieira, Thuram… Je les trouvais solides. C’était un peu une famille pour moi. Je collectionnais les Panini aussi, j’étais vraiment plus à fond.
Je détesterai Marco Materazzi à vie !
Tu as fini l’album Panini de 2006 ? Il m’en manque deux : un remplaçant suédois et… (elle réfléchit) un Croate peut-être. J’ai essayé de les commander à l’époque sur le site de Panini, mais ils ne m’ont pas renvoyé les bons. C’est dans ma « to do list » de ma vie de le finir. Avant ça me brisait le cœur de me savoir si proche du but. Mais maintenant ça va mieux.
Tu l’as dit, mais cette Coupe du monde était aussi un rendez-vous de nations toutes au top… Le Brésil de R9, le Portugal de CR7, un petit jeune montant, vous verrez… L’Espagne était cool, les Pays-Bas, l’Argentine et les débuts de Messi… Il n’y avait que des équipes incroyables avec des joueurs mythiques de partout ! Au début de la compétition, hormis la France, j’avais un petit coup de cœur pour l’Italie, car mon grand-père maternel est italien… Mais bon, vu ce qu’il s’est passé, je le dis plus trop maintenant. (Rires.) Si l’Italie avait joué contre l’Allemagne ou une autre sélection en finale, j’aurais revendiqué mes origines italiennes. Mais là, non.
Pour finir, ça t’a donné envie de refaire une chanson sur le foot ?
Oui et non. Au début, je faisais du rap parce que je kiffe ça, mais vu qu’on aime bien ranger les gens dans des cases et que j’aime aussi chanter, je voulais faire comprendre aux gens que je pouvais faire autre chose. Involontairement, j’ai renié des trucs du rap, notamment mes références et le foot. Je sais que vous avez eu Ben PLG, il a plein de refs de foot dans ses textes, comme dans un morceau où il dit : « J’ai la veine sur le front, celle à Zizou en 2006 » et je crois que ce son-là, je l’ai écouté pas mal de fois avant d’écrire cette chanson. Si je mets des refs de foot dans mes textes, c’est avant tout parce que je kiffe. C’est important pour moi.
Audience TV : les Bleus terminent 2024 sur une note positivePropos recueillis par Andrea Chazy, à Paris