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  • Second tour des élections présidentielles

21 avril 2002, déjà le foot se taisait

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
21 avril 2002, déjà le foot se taisait

Marine Le Pen vient de renvoyer le Front national au second tour de l’élection présidentielle, quinze ans après son père. Mais cette fois, pas de traumatisme national, pas d’indignation généralisée ni de mobilisation populaire pour sauver la République. Le catastrophisme des JT et les appels à faire barrage ont cédé la place aux jeux d’appareils et au ralliement raisonnable et raisonné à Emmanuel Macron. Le monde du foot, que l’on pouvait penser intrinsèquement hostile à ce parti, ne semble guère davantage s’émouvoir de la situation. Une attitude qui ne peut que surprendre les amnésiques. Pourtant, il suffit déjà de se rappeler sa timide réaction en 2002 pour se rendre compte que son degré de conscience politique ne reflète que rarement les espoirs ou les fantasmes qu’il suscite.

Nous sommes le 21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle, par la grâce d’un concours de circonstances, en particulier la multiplication des candidatures à gauche. L’Hexagone est sous le choc et les rues se remplissent de manifestants. Toutes les composantes de la société française se positionnent. Le foot est attendu, principalement les joueurs de l’équipe de France. Ils ont alors bien autre chose en tête. « Il faut se souvenir du contexte, précise Yvan Gastaut, historien et enseignant à l’université de Nice. Les Bleus se préparaient à la Coupe du monde qui devait se dérouler au Japon et en Corée. Tout le monde les voyait déjà avec une seconde étoile sur le maillot et rêvait de la passe de trois après le sacre à domicile en 1998 et l’Euro de 2000. »

Cette EdF n’est pas seulement celle d’une génération dorée qui permet au foot tricolore d’effacer des décennies de complexe d’infériorité et d’échecs amers. Elle avait, bien malgré elle, une dimension politique, presque idéologique. « C’est l’équipe « Black Blanc Beur », prolonge Yvan Gastaut. Beaucoup avaient cru que sa réussite effaçait d’un coup, comme par miracle, l’existence du Front national. Or, avec ce qui survint en 2002, il se manifeste un profond sentiment d’incompréhension. Finalement, comme si un cycle était bouclé et que Jean-Marie Le Pen au second tour annonçait le fiasco sportif à venir. Du point de vue symbolique, c’était très fort. »

Défendre les vertus républicaines

Il est vrai que le FN avait eu du mal à encaisser la courte période d’euphorie post-98, à l’instar d’une extrême-droite toujours mal à l’aise quand l’élan patriotique ne souffle pas dans ses voiles nationalistes. Il avait dû ronger son frein. On se souvient de ces images des héros du 12 juillet, Emmanuel Petit en tête, ahuris devant les interviews de militants frontistes confiant leur incapacité à s’extasier devant ce triomphe tant espéré. Quatre ans plus tard, la réalité sociale et la vie politique avaient repris leur droit. C’est d’ailleurs ce que tenta d’expliquer fort maladroitement et de façon très réductrice Arsène Wenger à nos amis de la perfide Albion, pourtant très admiratifs de notre sélection nationale, bien davantage métissée que les Three Lions : « L’équipe de France a été utilisée comme un signe de la réussite de l’intégration, mais cela n’a pas fonctionné parce que nous avons beaucoup de problèmes d’insécurité et comme partout ailleurs avec la drogue. »

D’une certaine façon Bernard lama, alors engagé aux côtés de Jacques Chirac, souscrivait partiellement à ce point de vue, ou du moins reconnaissait la capacité du FN à profiter de la situation. « Le Pen a réussi à surfer sur les maux de la société pour s’imposer. C’est tout de même grave d’en arriver là. » Il était en revanche bien seul parmi ses pairs capés à appeler à défendre les vertus républicaines de Marianne en proclamant : « Tout le monde doit aller voter. » « Cela fut l’une des grandes surprises et désillusions de cette séquence. Alors que de nombreux sportifs et de nombreux sports se manifestaient ou s’exprimaient, le monde du football fut parmi les derniers à prendre la parole et à énoncer timidement son refus du FN, poursuit Yvan Gastaut. De nombreuses voix ont dénoncé ce manque d’implication. La déception fut très importante vis-à-vis de personnalités comme Zinédine Zidane dont on attendait une parole forte. »

Dédiabolisation et Mondial 1978

Marcel Desailly, le défenseur des Bleus, qui ne pouvait encore s’amuser sur Twitter, livra bien sûr quelques mots, qu’on aurait cru tout droit sortis d’une brochure d’un cycle de formation FFF : « La force de l’équipe de France, c’est son côté multiracial. C’est aussi celle de la France dans son ensemble. » À coté du mutisme de ses autres camarades – sauf exception désormais connue comme Vikash Dhorasoo –, l’abstention assumée de Christophe Dugarry, Girondin donc à plus d’un titre, – « il n’y a aucun candidat qui m’inspire » – avait presque des airs de conscience politique, ou du moins d’une esquisse de réflexion. Aujourd’hui toujours, oser cette question auprès des principaux concernés vaut souvent comme seul retour le traditionnel : « Je ne parle pas de cela. »

Le petit monde du ballon rond a d’une certaine façon anticipé la dédiabolisation par sa prudence ou son silence. « Il ne faut pas oublier que le monde du football a toujours eu beaucoup de mal à intervenir dans les questions politiques, continue Yvan Gastaut. Il y existe une très forte propension à se réfugier dans l’apolitisme pour refuser d’avoir à réagir ou à cliver. En 1978, les joueurs n’avaient quasiment rien dit quand la question s’était posé de se rendre en Argentine, pour une Coupe du monde se tenant dans une dictature militaire. » Petit clin d’œil de l’histoire, car à l’époque, le Front national (fondé en 1972) avait apporté son soutien à la participation des Bleus à cette Coupe du monde dans un pays où l’on savait si bien endiguer la sédition marxiste…

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