Poignet cassé et sparadrap blanc
Ironie du sort, Alan Kennedy n’aurait jamais dû tenir sa place ce 27 mai 1981. Lors de la demi-finale aller face au Bayern Munich, le latéral gauche anglais se casse le poignet et ne voyage pas en Bavière pour le retour : « Le médecin du club m’avait dit que j’en avais pour dix semaines d’arrêt. Alors, lorsque le jour du match, le coach me dit que je suis titulaire, c’est un choc pour moi. Je n’étais probablement pas préparé mentalement pour jouer ce match. J’ai joué avec un bout de métal attaché à mon poignet. C’était un peu encombrant et lourd. Ce serait sans doute classé comme dangereux et interdit dans le football actuel. » Titulaire surprise, Alan Kennedy fera bien mieux que tenir son rang, puisque c’est lui qui délivre Liverpool avant de se ruer les bras en l’air vers le Kop des Reds. Un premier coup de génie du coach Bob Paisley, en poste depuis 1974.
Habitué des finales européennes, Bob Paisley était serein sur son banc, souriant et imperturbable. Pourtant, la préparation d’avant-match n’a pas été habituelle. La faute au sponsor Umbro, brodé sur le maillot des Reds, interdit par le diffuseur télé. Résultat, dans le tunnel qui mène aux vestiaires, quelques secondes avant d’entrer sur la pelouse, les joueurs de Liverpool se collent du sparadrap blanc pour cacher le logo de la marque anglaise. « C’était vraiment ridicule et ça n’arriverait plus maintenant. Mais, Bob a réagi de la meilleure des façons. Il nous a dit que nous devrions être encore plus déterminés à gagner. Son attitude était toujours positive. Il nous répétait que si un obstacle se dresse sur notre route, nous passerons au-dessus. Et c’est exactement ce que nous avons fait » , avoue Alan Kennedy.
Prime de défaite et tactique ratée
Alors que les Reds faisaient la bringue au Lido à Paris, avant de parader dans les rues de Liverpool, les joueurs du Real Madrid, eux, accusaient le coup et recevaient une jolie prime de 525 000 pesetas, soit 3200 euros, de la part du président Luis de Carlos Ortiz. Un cadeau qui étonne les Merengues, à l’image du milieu de terrain Vicente del Bosque : « C’est une des rares fois où j’ai reçu une prime pour une défaite, c’est la seule fois même. » Preuve qu’arriver jusqu’au Parc des Princes était déjà une réussite pour un Real Madrid qui n’avait plus connu de finale de C1 depuis celle remportée en 1966 face au Partizan Belgrade. Malgré le parcours sans faute, avec entre autres l’élimination de l’Inter en demies, le Real Madrid a donc abordé cette finale avec un complexe d’infériorité.
Un sentiment propagé chez les joueurs par l’entraîneur yougoslave Vujadin Boškov. « Tout ce que Boškov a fait, il l’a fait pour contrer Liverpool. Cela n’a pas fonctionné » , se rappelle Del Bosque qui a pu se servir de cette expérience pour sa carrière d’entraîneur personnelle. Attaquant du Real Madrid lors de la finale de 1981, Santillana abonde dans le sens de son coéquipier : « Nous avons effectivement choisi de jouer avec dix hommes, perdant Camacho pour qu’il s’occupe en individuel de Souness. » Premier pari raté par Vujadin Boškov. Son deuxième pari, celui de titulariser le virevoltant Laurie Cunningham à peine remis de sa blessure, ne fonctionnera guère mieux tant l’ailier anglais a traversé la rencontre tel un fantôme pétrifié par l’enjeu. Un coup de poker qui n’a pas non plus eu d’effet sur les adversaires : « Bob Paisley n’était pas inquiet de la titularisation de Laurie. Il nous disait "Oh, il est rapide et technique", mais c’est tout. Liverpool ne s’est jamais inquiété des joueurs adverses. Nous jouions juste notre jeu. » Une philosophie dont s’est inspiré le Real Madrid qui n’a depuis plus jamais perdu la moindre finale de C1, en cinq tentatives.
Par Steven Oliveira Propos d'Alan Kennedy tirés de la BBC, ceux de Vicente del Bosque et de Santillana du Guardian.
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