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«J’espère qu’un jour tout cela s’effondrera»

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«J’espère qu’un jour tout cela s’effondrera»

En 2006, Philippe Séguin, mort cette nuit à 66 ans, donnait à SoFoot la meilleure intervention mêlant foot et politique. Homme d'états d'âme aux nerfs incertains, il a été le premier président d'une commission devenue la DNCG, a été le rédacteur d'une bonne partie de la Charte du footballeur, il y a plus de trente ans, et continuait de se cogner des Paris FC-Pacy s/Eure. Dire si ce type était désenchanté...

À 62 ans, êtes-vous toujours aussi passionné par le football?

Je me suis un peu calmé. Ces derniers temps, je me suis même surpris à m’ennuyer dans les tribunes. J’ai d’abord cru que c’était de la faute du PSG… Reconnaissez que c’est une circonstance atténuante! (Rire) Et puis en fait, non; si je me lasse parfois, c’est que ce jeu a beaucoup évolué et ne ressemble plus vraiment à celui que j’appréciais gamin. Il a subi d’énormes influences extérieures. À commencer par l’irruption des médias, et, surtout, le poids de la télé, qui a modifié la perception de ce jeu. Et sa lecture.

La télé n’a pas encore changé les règles du foot…

Certes, encore que le football est devenu un jeu qu’on pratique la nuit, au moment où le téléspectateur est chez lui. Le football doit se jouer l’après-midi, on s’installe en tribune, on prend le soleil. Les Italiens et les Anglais essayent de faire perdurer cette tradition. Le foot en soirée n’est pas naturel. Les spectateurs du foot sont désormais comme le public dans les émissions d’Arthur. Ils font la claque. Plus personne ne se soucie de leur sort.

Le foot est destiné à devenir plus familial, avec des places assises, etc. Oui, peut-être, vous croyez?

Je n’y ai jamais traîné ma femme… Je n’en ai jamais ressenti la nécessité (rire).

On vous sent nostalgique…

Oui. L’arrêt Bosman est une capitulation, l’Europe dans ce qu’elle peut faire de pire. Il devrait y avoir une exception sportive comme il y a une exception culturelle. Maintenant, vous avez des gars qui font trois clubs dans l’année.

La faute en incombe-t-elle à l’Europe de Maastricht que vous combattiez?

Un match de foot, c’est comme une corrida: il y un ou deux moments où vous avez de belles choses à voir. Après, il y a le résultat mais ce qui compte vraiment, c’est la communion entre le public et l’équipe. Il faut ressentir un sentiment d’appartenance pour éprouver du plaisir. Qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Si l’arrêt Bosman a ainsi changé le foot, est-ce parce que le pouvoir politique est défaillant?

On s’en est moqué comme d’une guigne… On ne l’a pas vu venir.

« LES SPECTATEURS DU FOOT SONT COMME LE PUBLIC DES EMISSIONS D’ARTHUR »

Depuis l’arrêt Bosman, il y a un corollaire évident entre argent investi et résultats. Les équipes d’Europe de l’Est sont presque rayées de la carte au plus haut niveau. Comment endiguer le fait que la ligue des champions soit réservée à une dizaine d’équipes au grand maximum?

Si le G14 veut son championnat, il fera son championnat et puis c’est tout! C’est la logique pure. J’espère qu’un jour tout cela s’effondrera. Que les gens n’iront plus au stade et que les audiences télé chuteront.

Vous pensez que le système peut se dévorer lui-même?

Cela peut arriver. Regardez la désaffection vis-à-vis de la coupe de l’UEFA et même pour certains matchs de ligue des champions. Outre l’irruption des médias et le problème Bosman, vous avez aussi la perte d’autorité des fédérations sur les clubs pro. La dernière chose que la Fédération essaye de contrôler, c’est la coupe de France, qui a sacrément du mal face à la coupe de la ligue portée par les clubs pros. Il y a désormais un certain désintérêt de ces derniers pour la coupe de France. Plus personne n’ira embrasser la pelouse du stade de France (1). Et l’équipe de France aussi commence à être battue en brèche par les clubs. Cela dit, c’est grâce aux équipes nationales que le foot est universel. Presque personne ne sait dans quel club jouait Yachine.

Pour rééquilibrer le football de clubs, vous êtes favorable à une harmonisation fiscale?

Qu’il y ait un marché unique sans harmonisation fiscale et sociale préalable, c’est assez scandaleux. Quand je faisais de la politique et que je voulais illustrer les insuffisances du marché unique, je disais: “Imaginez que vous ayez pour un match de foot une équipe qui rentre à onze professionnels et une autre qui aligne cinq cadets.” C’est exactement la concurrence commerciale entre la France et la Grande-Bretagne. Cela étant je suis le premier à dire qu’un alignement par le bas des fiscalités ne paraît pas, sur le plan social, la priorité des priorités…

Vous avez réussi à concilier votre activité politique avec le foot?

Toujours. Par exemple, à la présidence de l’Assemblée, on a un petit téléviseur pour voir l’orateur qui s’exprime dans l’hémicycle. Je l’avais bidouillé pour voir les matchs de la coupe du monde 94. Cela n’empêchait pas de présider les débats. Je n’avais pas le son, c’est tout… Dans l’hémicycle, les députés me faisaient des signes pour me demander les scores.

« L’ARRET BOSMAN EST UNE CAPITULATION, L’EUROPE DANS CE QU’ELLE PEUT FAIRE DE PIRE »

Vous pensez que les politiques se sont vraiment mis au football?

En 98, ils s’y sont mis, c’est clair! C’était chiant parce qu’ils voulaient les places au stade… Mais on ne les verra pas en février au Parc, ni pour aller voir un Paris FC – Pacy-sur-Eure qui peut être tout aussi intéressant. D’ailleurs, là aussi, dans ce foot “intermédiaire”, ni complètement pro, ni vraiment amateur, il y a un problème. Le rapport entre les collectivités locales et les clubs est assez scandaleux. On cherche à décourager les petites villes. Je prends l’exemple d’Epinal, que je connais bien: quand le club est monté en deuxième division vers le 20 juin, le championnat de deuxième division suivant commençait vers le 10 août. Il fallait qu’en un mois et demi j’aie refait le stade! D’autre part, obliger les clubs, dès la première année, à se mettre en conformité aboutit à des situations ubuesques. Istres a évolué en première division sans jouer chez lui parce qu’il refaisait le stade et le jour où celui-ci a été fini, il est redescendu.

Avec le temps, quels sont les joueurs qui vous ont marqué?

J’ai été heureux de voir jouer Anderson (2), Ujlaki, Yachine, Kocsis avec la Hongrie. Un France-Hongrie de 1955…

Et l’Ajax de Cruyff, ça participe des mêmes émotions?

Bien sûr, mais la plus grande équipe de l’histoire, c’était la Hongrie 54. Il y avait aussi tout l’environnement. Il y a eu cette défaite folle en finale alors qu’ils avaient déjà battu les Allemands en poule (8-3). Et puis une équipe de l’Est, c’était à la fois mystérieux, vaguement hostile et par ailleurs ça se démarquait de l’Union soviétique, c’était compliqué. Moi, quand je vais à Budapest, j’y vais assez souvent, je grogne parce que ces imbéciles n’ont pas compris que leur équipe était un atout touristique formidable. Vous ne trouvez pas un poster de l’équipe, vous ne trouvez pas un maillot.

S’ils avaient gagné en 1954, le soulèvement de 1956 aurait peut-être réussi?

Allez savoir…

Dans les années 60, vous avez fait vos études à Nîmes. C’était la grande époque…

C’était l’année où Nîmes a terminé deuxième derrière Reims. Kopa, Wisnieski, Penverne, ils avaient une sacrée attaque. Le béton est venu après. Dans les papiers de Miroir du Football, François Thébault proposait une analyse marxiste de la défense. Il expliquait que la défense en ligne constituait l’acte progressiste alors que le catenaccio symbolisait le fric pour ne pas perdre, soit le capitalisme le plus ordurier. Il y a un peu de vrai. • propos recueillis par RD et RR

par Renaud Dély et Rico Rizzitelli

(1) Allusion à Francis Borelli, président du PSG en 1982, qui embrassa la pelouse du Parc des Princes suite à l’égalisation miraculeuse de son équipe dans la prolongation de la finale de la coupe contre le Saint-Étienne de Platini.

(2) Gunnar Anderson, qui évoluait à l’OM dans les années 50.

Interview parue en avril 2006 dans le numéro 32 de SoFoot

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