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En Ukraine, le football se lève à l’ouest
Trente clubs ukrainiens, majoritairement amateurs, ont organisé le week-end dernier à Ivano-Frankivsk, à l'ouest du pays, le premier tournoi de football en Ukraine depuis le début de la guerre. Reportage.
Une minute de silence, suivie d’un slogan cher aux Ukrainiens : « Sláva Ukrayíni! Heróyam sláva ! » (« Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros ! » en VF). Le Mikulichin et le Beskid Nadvirna entrent sur la pelouse, prêts à disputer le quart de finale de ce tournoi caritatif, en soutien aux forces armées nationales. Une initiative lancée par des clubs – 30 au total – majoritairement amateurs, mais également professionnels pour certains. Disputé entre le samedi 16 et le dimanche 17 avril, ce championnat ouvre ainsi sa phase finale au stade Naftovik, dans le district de Nadvirna, appartenant à l’oblast (région) d’Ivano-Frankivsk, à l’ouest du pays. Les premières résurgences de football, après 52 jours de guerre.
Neige, boue et exil
Il commence d’ailleurs à neiger au Naftovik, enceinte proche d’une plateforme pétrolière, à la pelouse naturelle et boueuse. Et le ballon roulant à peine, il s’arrête aussi sec, freiné par cette terre noire et humide, rappelant les vastes plaines ukrainiennes, toutes aussi sombres et fertiles. Neige et boue : voilà donc qui nous ramène au football d’avant, celui des temps de guerre.
Le gardien de l’Auto Plus Kolomiya.
Sans cesse, le gardien du Mikulichin nettoie dès lors ses crampons contre les poteaux. Lui, c’est Denys Dyakov, 25 ans. En réalité, il n’appartient pas à cette équipe : non, il évolue au FC Kramatorsk, anciennement Avangard Kramatorsk – dans l’oblast de Donetsk – alors en D2, jusqu’à l’invasion russe. Forcé à l’exil, il déclare : « Ma famille est toujours à Kharkiv et en ce moment, c’est très difficile pour eux. » Sur le terrain, le voilà d’ailleurs qui encaisse le 1-0, conséquence d’un long ballon traversant toute la surface, sans qu’un défenseur ne parvienne à le dégager. Denys retourne essuyer ses crampons.
De gauche à droite : Maxym Yermolenko, Arsentiy Doroshenko et Denys Dyakov, joueurs au FC Kramatorsk.
Dans la foulée, égalisation du Mikulichin. Denys la célèbre dans ses cages et continue sa séance nettoyage. Mais il n’est pas le seul joueur issu du FC Kramatorsk : Maxym Yermolenko, attaquant de 24 ans, et Arsentiy Doroshenko, milieu de terrain de 21 ans, ont également fui la région de Donetsk. L’an dernier, Yermolenko était ainsi l’un des meilleurs buteurs de deuxième division. « Lorsque la guerre a débuté, nous avons trouvé refuge dans un appartement avant de fuir ici. En ce qui me concerne, ma famille est venue avec moi. » Les joueurs vivaient alors dans le centre-ville de Kramatorsk, où se mêlaient appartements de civils et de militaires. Le début des bombardements n’aidant pas, l’ensemble de l’équipe a été obligée de quitter la zone. Et à la différence de Denys, Maxym et Arsentiy sont parvenus à rejoindre la région d’Ivano-Frankivsk accompagnés de leurs proches. Tous sont désormais réfugiés dans la petite municipalité de Yaremche. De retour au jeu, Denys encaisse le 2-1, d’une talonnade que même la boue n’a su arrêter, scellant le résultat final. Le portier peste, ne pouvant, de nouveau, que nettoyer ses chaussures. Tristes, Denys, Maxym et Arseniy disent donc au revoir au tournoi avec, malgré tout, la joie d’être enfin redevenus des joueurs de foot.
À quelques encablures de là s’affrontent le Skelia FC et le Dzvynyach. Même minute de silence, même slogan. Un à un, l’entraîneur du Dzvynyach bénit ses joueurs, aidé d’un goupillon. Posée sur l’épaule de ces jeunes hommes, la relique religieuse doit amener avec elle la chance nécessaire : ils gagneront ainsi 3-0.
Des gants posés dans le stade Naftovik.
Une initiative des joueurs, aidés par les fédérations régionales
« La guerre aura une influence considérable sur le football. Ce tournoi doit permettre de garder un certain esprit sportif. La guerre peut mettre fin à tout, les Russes peuvent tirer leurs bombes, mais une chose est sûre : ils ne tueront pas cette volonté. » Pour Taras Klym, vice-président de la Fédération de football de l’oblast d’Ivano-Frankivsk (IFFF), malgré l’arrêt des activités sportives, l’âme et l’envie des athlètes demeurent intactes. Il faut dire que l’IFFF dispose de plus de 100 équipes affiliées, parmi lesquelles celles du district de Kolomiya, Nadvirna et Kalush. L’unique obligation pour intégrer la fédération consiste en une commission de 1500 grivnas ukrainiennes (50 euros) à verser, en guise de soutien aux forces armées. Dans le seul district de Kolomiya, on a ainsi récolté 100 000 grivnas, soit un peu plus de 3000 euros. « C’est une idée des joueurs : il n’y a eu aucune concertation avec la fédération en amont. Tout ce qu’on a fait, au niveau fédéral, c’est d’organiser le calendrier afin de libérer des dates et trouver des arbitres. Les compétitions étant stoppées, des groupes professionnels aux régionaux, tant que nous n’aurons pas vaincu les Russes, on continuera. Et une fois qu’on aura gagné, la vie normale pourra recommencer, le sport en tête », poursuit Klym.
Les sièges du stade Naftovik. Les tribunes sont en pierre et seule la tribune principale est équipée de places assises, peintes en bleu et jaune, les couleurs de l’Ukraine.
Organisateur du tournoi et membre de la Fédération de football de Nadvirna, Ruslan Nesteruk se montre également optimiste quant à l’embargo affectant le football ukrainien : « Tout est figé à cause d’une situation dramatique. Nous essayons de faire repartir les activités, en créant ces différentes compétitions afin de redonner un peu de joie de vivre aux gens. Par exemple, les entraînements seront de nouveaux ouverts dès la semaine prochaine. On souhaite avant tout que nos athlètes se remettent en jambes. »
Mykola, 61 ans, arbitre du tournoi.
Les arbitres : vétérans des compétitions régionales et volontaires de guerre
Durant ce tournoi, pas d’arbitres principaux. Seuls deux arbitres de touche sont utilisés. Sur la moitié de terrain gauche, Mykola, 61 ans, se pose ainsi en officier des plus classiques : maillot jaune, short et chaussettes noires. Mis en action par une faute de main dans la surface, le sexagénaire n’y prête pourtant aucunement attention, trop occupé à discuter avec des spectateurs. À l’opposé, son acolyte semble plus préoccupé : se trompant sur un corner accordé à la hâte, il subit la foudre de joueurs en colère, l’obligeant à s’excuser platement.
Le gardien du FK Olymp Tatariv, au cours de la séance de tirs au but des demies face à l’Auto Plus Kolomiya.
« Cela fait quatre ans que j’exerce comme arbitre régional. C’est un hobby », précise de son côté Viktor, 30 ans, employé dans le bâtiment, se présentant aujourd’hui comme volontaire de l’armée depuis l’invasion russe. « Pour le moment, je suis ici, mais s’ils ont besoin de moi autre part, j’irai au front. »
Viktor, 30 ans, arbitre dans la région d’Ivano-Frakivsk depuis quatre ans, avant de devenir volontaire de l’armée.
Dmytro, 61 ans, « secrétaire » du tournoi, enregistre quant à lui chaque score. Il était également arbitre régional dans une autre vie : « Chaque équipe devrait jouer avec des maillots bleu et jaune (les couleurs du drapeau ukrainien)mentionnant la phrase « Mort aux soldats russes ! » », ironise-t-il. Pour le plaisir, Dmytro n’hésite pas à troquer son stylo contre une cigarette, car oui, il fume beaucoup. Et avant de reprendre sa place près de la ligne de touche, il s’empare cette fois d’une bouteille de cognac afin de se glisser quelques gorgées dans le gosier.
Le vide qu’amène la guerre
C’est la pause un peu partout. Entre chacune de ces parties, les pelouses se vident, et le silence s’empare des terrains durant plusieurs minutes. Ces dernières, loin d’être courtes, paraissent au contraire durer une éternité. Elles sont omniprésentes, partout dans le stade : dans les buts, dans les vestiaires, dans les gradins. Ce silence forcé par la guerre symbolise la mémoire de ceux qui y ont péri. Tel est le cas pour le FC Cherniatin, dans le district de Kolomiya, qui a refusé de participer au tournoi après la mort de l’un de ses joueurs – un soldat envoyé en première ligne. L’ensemble de l’équipe s’est rendue à ses funérailles. Du côté du Gorgany Zelena, on a joué le samedi sans pour autant rallier la phase finale du lendemain. Pour cause, l’équipe a joué sans Vasil Shpinta, 28 ans, dont l’enterrement a eu lieu ce dimanche.
Un ballon dans le ciel ukrainien. Pour la première fois depuis le début de la guerre, on a pu recommencer à jouer au football, malgré le caractère amateur et non officiel de cette compétition.
La finale : penaltys au soleil et hymne sous la neige
De la sono jaillit l’hymne national ukrainien. On baisse finalement le son afin de ne pas gêner les joueurs et on l’éteint aussitôt pour assister aux tirs au but entre l’Auto Plus Kolomiya et le Beskid Nadvirna, qui n’ont su se départager durant le temps réglementaire. La finale se jouera donc aux tirs au but et, comme un symbole, apparaît un soleil radieux, plus propice aux côtes méditerranéennes qu’à l’est de l’Europe. Le froid et la neige ont enfin disparu. Durant la séance, c’est le Beskid Nadvirna qui flanche, offrant la victoire à l’Auto Plus Kolomiya, le « Wolfsburg » local. Les vainqueurs se ruent sur leur gardien, le portant en triomphe comme un héros. Des mains de l’organisateur, Ruslan Nesteruk, président de la Fédération de football de Nadvirna, ils reçoivent le trophée, et en fin de cérémonie, ce même Nesteruk met en route une radiocassette qu’il avait préalablement apportée.
L’Auto Plus Kolomiya célébrant sa victoire finale, attendant de recevoir le trophée.
De celle-ci, on peut évidemment entendre l’hymne ukrainien, repris à l’unisson par les protagonistes : joueurs, arbitres, dirigeants et spectateurs. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées, la main posée sur le cœur, le regard fixé sur le drapeau national, hissé dans ce stade de Naftovik. Les quelques flocons de neige reviennent, plus forts, mués en une tempête dirigée sur les personnes encore présentes. Celles-ci s’époumonent au rythme d’un hymne glorifié, comme si les troupes russes se trouvaient devant elles. Immunisé face à ce froid persistant, chacun reste alors immobile, attendant que s’achève la mélodie nationale, malgré la violence de ces chutes blanches. D’un seul homme, est alors repris le « Sláva Ukrayíni !, Heróyam sláva ! » Le football touche donc à son terme. Les tempêtes, elles, continuent.
Des buts vides dans le stade Naftovik. Entre les matchs, le silence prend place.
Par Sergi Llamas, à Ivano-Frankivsk
Traduction par Adel Bentaha.