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Upamecano, le crack de Valenciennes

Par Florent Caffery
Upamecano, le crack de Valenciennes

Avant Salzbourg, avant Leipzig, avant de manger Diego Costa sur la scène européenne, il y a aussi eu Valenciennes sur le chemin de Dayot Upamecano. Deux années dans le Nord sans lesquelles le gamin d’Évreux n’aurait peut-être jamais éclos. Deux années où il a fallu gérer la dyslexie au milieu des dessins animés sur le canap’ du centre de formation, où sa carrure de bœuf a éclaté aux yeux de tous et où Red Bull est venu lui donner les ailes de poursuivre son rêve en affrétant un jet à la dernière minute. Six ans plus tard, il dort à Clairefontaine et devrait connaître sa première sélection face à la Suède samedi.

Printemps 2015. Dans les couloirs du Mont Houy, le centre de formation de Valenciennes, Olivier Bijotat et Franck Triqueneaux savent pertinemment que leur poulain depuis deux ans leur glisse définitivement entre les doigts. Les deux formateurs des U16-U17 ne verront plus sur les pelouses du Nord Dayot Upamecano. « À partir de ce moment-là, il nous a complètement échappé », en convient six ans plus tard Olivier Bijotat, là où son tandem insiste : « Dayot était devenu une marchandise, il fallait faire la meilleure opération financière. » Le VAFC est au bord du gouffre. S’il ne cède pas sa pépite enrôlée deux années plus tôt à Évreux, devenu depuis champion d’Europe des U17 avec les Bleus, le club nordiste ne passera pas l’été.

Et avec Dayot, on peut dire que ça vient toquer à la porte toutes les trente secondes. « Je me souviens d’un match de U17 nationaux à Drancy, rembobine Franck Triqueneaux. Le club me dit :« Je ne comprends pas pourquoi, il y a tous les recruteurs de la planète qui sont là. » Je leur ai répondu : « Ne vous inquiétez pas, je sais pourquoi ils sont là. » » Manchester United, Bayern Munich, Arsenal, AC Milan, « tout ce que l’on peut imaginer de mieux sur la scène européenne » vient scruter le défenseur central dont le rêve coché tout en haut de la liste est simple : rejoindre Manchester United. Quelques semaines plus tard, « il est parti en pleine nuit, assure Eder Verissimo, compère de promo dans le Nord. On ne savait pas où il était, il ne nous l’a expliqué qu’après. »

Les 2,2 millions de son transfert ont sauvé Valenciennes

En réalité, Dayot Upamecano a grimpé dans un avion, cap sur Manchester et la visite des installations d’Old Trafford. Le deal « est calé », jure Franck Triqueneaux, mais patatras, la valise de billets est plus épaisse ailleurs. L’avocat et les parents du joueur retoquent le club d’Alex Ferguson et George Best, faute de garanties sportives et scolaires. À peine entrouverte, la porte des Red Devils se referme au bénéfice de Red Bull. L’Autriche et Salzbourg raflent le défenseur central à la barbe de tous. Un contrat de trois ans est paraphé. Franck Triqueneaux décrit une scène rocambolesque : « On l’a forcé à monter dans une voiture et il est allé direction l’aéroport où Salzbourg avait affrété un jet privé. » Gérard Houllier, ex-sélectionneur des Bleus et alors directeur football de Red Bull, parle surtout de « l’agent de Dayot, Thierry Martinez, qui a tenu sa parole. Nous avions bien envoyé cet avion. On lui proposait un projet de carrière moins flou qu’ailleurs et ça a fait la différence. » Le porte-monnaie aussi. Dans le deal, VA empoche 2,2 millions d’euros et peut débrancher le respirateur artificiel. Clap, ou plutôt claque de fin pour Franck Triqueneaux : « Il ne faut pas se le cacher, sans cette vente, on se cassait la gueule. Quand il y a beaucoup d’argent en jeu, beaucoup de monde s’en mêle… Il y a le choix sportif du joueur, la famille qui ne roule pas sur l’or et qui, on peut l’entendre, voit davantage l’aspect financier. Les agents, certaines personnes du club qui peuvent aussi avoir des intérêts particuliers. En tant que formateur, on reste en dehors de tout ça, mais nous étions agacés de la manière dont se comportaient les gens autour de lui. » « VA l’a cédé au plus offrant », clôt Olivier Bijotat, convaincu tout de même qu’a posteriori, la firme Red Bull n’était pas un si mauvais choix.

Mais comment expliquer qu’un gamin de 16 ans et demi à l’époque déchaîne autant les passions après seulement deux années passées dans un centre de formation ? Pour bien comprendre, mieux vaut rembobiner la cassette et l’arrêter en 2013. « Nous sommes alors en contact régulier avec Évreux, resitue Olivier Bijotat. On nous signale un joueur de la promotion 1998, Eder Verissimo. » S’ensuivent plusieurs allers-retours dans l’Eure et une convocation du milieu de terrain portugais pour une journée de détection. Là, Romaric Bultel, responsable technique d’Évreux, « nous dit qu’il a un gamin encore plus brillant à nous proposer. C’était Dayot. Du coup, on fait venir les deux. »

« Il m’a immédiatement fait penser à Marcel Desailly »

Séance technique le matin, opposition sur grand terrain l’après-midi, Dayot Upamecano détonne et « tape dans l’œil de suite, jure Olivier Bijotat. Nous n’avions pas des profils avec d’aussi bonnes qualités que lui. » Puissance, vitesse, roc sur le un-contre-un, le défenseur central est décrit comme « un monstre d’efficacité ». Ce qui fera aussi craquer Gérard Houllier deux années plus tard : « Il m’a immédiatement fait penser à Marcel Desailly. Nous avons une tradition de bons défenseurs centraux en France et lui avait tout. La puissance athlétique, la qualité de relance, cette capacité à garder son sang-froid dans les moments de pression. Il ne se laisse jamais déborder. » VA lui fait signer une convention de formation, mais bascule très vite sur un contrat d’aspirant. Après quelques matchs d’avant-saison avec les U17 régionaux, Franck Triqueneaux comprend qu’il a « largement le potentiel pour jouer au niveau national. Il fait une telle prestation pour son premier match avec les U17 nationaux qu’avant de le faire jouer de nouveau, on le fait signer. Il avait des qualités au-dessus de la moyenne et nous ne pouvions pas prendre le risque de ne pas le verrouiller. » Mais à vrai dire, ce n’est pas le « monstre d’efficacité » qui interpelle dans un premier temps l’un de ses formateurs. « À chaque début de saison, on fait toujours un entretien individuel avec les joueurs lors duquel on leur demande de fixer des objectifs pour le semestre. Dayot nous dit : « Je veux jouer tous les matchs et ne jamais être remplaçant. » On lui répond « Ok, mais en U17 nationaux ou en DH ? » Peu importe, il voulait jouer. C’est la première fois qu’on a entendu cette réponse du tac au tac. On capte que l’on a en face de nous un garçon qui est là pour les bonnes raisons. Même s’il entre dans un centre de formation et qu’il a l’objectif de devenir pro, il n’y a aucune arrière-pensée sur l’aspect financier ou les retombées liées à la gloire. On aurait pu lui proposer de s’entraîner cinq fois par jour, ça ne l’aurait pas dérangé. C’est une force qu’il a conservée. Certains pourraient dire que c’est de l’insouciance, qu’il est totalement imperméable aux enjeux, mais il aime tellement le foot qu’il ne réfléchit pas à ce qui se passe autour. »

Il y avait un tel décalage sur le plan mental entre l’ado qui regarde Tiji et le leader de jeu que nous avions sur le terrain !

Dessins animés, leadership et orthophoniste

Au point même de détonner et de s’installer régulièrement dans la salle télé du centre d’entraînement avec son pote, Eder Verissimo, devant les dessins animés. Son pote de toujours, aujourd’hui reparti à Évreux, assure être à l’origine de l’appétit de Dayot pour la chaîne Tiji : « C’est moi qui regardais avec mes petites sœurs. Quand on avait du temps libre à VA, je mettais la télé, et Dayot s’installait. On se matait les dessins animés tranquillement. » C’est que l’arrivée dans une telle structure est aussi un changement de vie radical. « Avant, nous étions à Évreux, club amateur, on avait trois entraînements par semaine et ensuite on faisait ce qu’on voulait, complète Eder. Là, on basculait sur le foot du matin au soir. Il nous fallait ces petits moments de détente. » Olivier Bijotat évoque « un âge de raisonnement puéril » chez Dayot, « presque enfantin. Sans faire injure à l’environnement où il a grandi, c’était forcément moins structuré qu’un centre de formation, où il y a des obligations au quotidien. Les dessins animés, c’était la traduction de ce qu’il aimait à l’époque. » Franck Triqueneaux poursuit : « Au départ, je me suis dit que ce n’était pas possible : il y avait un tel décalage sur le plan mental entre l’ado qui regarde Tiji et le leader de jeu que nous avions sur le terrain ! » Un leader complexé par un os qu’il ronge depuis l’enfance, la dyslexie. Dayot Upamecano parle peu, bégaye et accroît sa timidité, quand bien même Eder Verissimo maintient qu’il était « un sacré blagueur et ne passait pas beaucoup de temps dans sa chambre ».

Durant six mois, chaque lundi, c’est direction l’orthophoniste. « À cet âge-là, rappelle Olivier Bijotat, quand vous avez ce type de soucis, le regard des autres n’est pas simple. Il était effacé dans le vestiaire et la vie au centre de formation. » Niveau scolaire, ce n’est pas une partie de plaisir et « certains devoirs ne sont jamais rendus », livre Eder. Les premières sélections en équipe de France chez les jeunes sont compliquées, dixit Franck Triqueneaux : « Au poste qu’il occupe, il fallait faire des efforts. Jean-Claude Giuntini nous confiait ses doutes par rapport à la parole. Heureusement, Dayot est parvenu à surmonter cette timidité pour devenir aussi un leader dans ce domaine. » Bijotat admire autant le travail engagé que l’impressionnant résultat : « Sur le terrain, il a fini par se métamorphoser, par trouver des mots qu’il n’avait pas dans le vestiaire ou la salle de jeux. C’était une libération physique et psychologique. Il lui fallait du bien-être pour qu’il se développe. Et quand je l’entends communiquer devant les journalistes désormais, quel chemin parcouru ! » Le principal intéressé évoque plutôt « la concentration. Je ne suis pas timide et quand il faut mettre de la voix sur le terrain, j’en mets. »

Je l’ai aussi fait jouer en pointe pour qu’il affine sa technique. Et il plantait des buts !

Derrière, au milieu, devant, passe-partout

La dyslexie rangée au placard, Dayot Upamecano trace surtout sa route avec les crampons au pied. Et pas seulement dans l’axe de la défense avec Sergio Ramos en guise de modèle. Sur certains exercices, Olivier Bijotat le fixe en pointe, à la finition, « pour qu’il affine sa technique. Il plantait des buts. Quand on analyse son jeu, le fait qu’il soit naturellement aspiré par ces montées rageuses, c’est la raison pour laquelle il cherche aussi ces décalages, il a envie de montrer à ses partenaires qu’il peut avoir un rôle offensif. » Un constat qui plaît désormais au sélectionneur national Didier Deschamps, malgré quelques réserves : « Il utilise très bien le ballon et est très bon dans les duels en plus d’être rapide. Mais le plus grand risque, de par son jeu, ce sont ses prises de risque. Il faudra bien les quantifier pour ne pas se mettre en difficulté, même si je ne veux pas qu’il change son jeu. »

Toujours pour l’obliger à « jouer plus juste et prendre les informations plus rapidement », Franck Triqueneaux le fait grimper de quelques crans, au milieu, « où Dayot s’est montré très à l’aise ». « Il lui fallait une première touche de balle plus coulante, avec plus de garanties, complète Olivier Bijotat. Mais c’était aussi lié à sa morphologie. Le petit Dayot, à 15 ans, il chaussait du 46 et avait des pieds à n’en plus finir. » Capable d’évoluer partout, « y compris dans les buts comme lorsque nous étions jeunes à Évreux », glisse Eder Verissimo, Upamecano est avant tout un roc défensif. En débarquant dans le Nord, « c’était un ado dans un corps d’homme, image Olivier Bijotat, encore impressionné par ses souvenirs. Il était charpenté et bâti avec une musculature impressionnante. Aujourd’hui, il a développé un peu plus le haut de son corps. Dans les un-contre-un, il était intraitable. Je n’ai pas souvenir d’un adversaire qui a pu le malmener plusieurs fois dans un match. »

C’est un garçon qui a aussi de la reconnaissance et n’oublie pas d’où il vient. Une heure après la qualification pour la demi-finale de C1, il a répondu à nos textos.

Le souffle du lion

Dayot Upamecano a une prestance « presque bestiale. Il a le souffle fort à travers sa respiration. Il signifiait sa présence à ses adversaires. C’était une forme d’intimidation et une première étape dans la victoire de son rapport de force avec son adversaire ». Son second formateur dans le Hainaut martèle qu’il « mettait sous l’éteignoir tous les attaquants qui se présentaient face à lui et il rattrapait parfois les coups de certains de ses équipiers. » Et même si « on peut considérer qu’il n’a pas une technique très belle à voir, c’est efficace, sachant qu’il a su améliorer son pied gauche ». Gérard Houllier a récupéré à Salzbourg un jeune homme « bien meilleur techniquement qu’on ne le croit. Quand il a plusieurs adversaires autour de lui, il s’en sort toujours assez bien et assure dans les transitions, notamment avec des passes longues ». Avec toujours, en toile de fond, le regard vers l’avant. Que ce soit un soir de quarts de finale de Ligue des champions face à l’Atlético de Madrid avec Leipzig ou en U17 à VA, le schéma est quasi le même. « Il était déjà capable de traverser le terrain à l’époque », apprécient ses formateurs, pas peu fiers d’avoir observé durant ce passage dans le Nord « un gamin mûrir sur tous les plans et toujours à l’écoute pour progresser. Ce n’était plus le même à son départ ». « Même si on a été inquiets de le voir partir à l’étranger, il avait besoin d’être accompagné, explique Franck Triqueneaux. Heureusement, Salzbourg a eu l’intelligence de proposer à des gens de sa famille de venir vivre avec lui, c’était une très bonne chose, car il ne maîtrisait pas les langues étrangères. C’est un garçon qui a aussi de la reconnaissance et n’oublie pas d’où il vient. Une heure après la qualification pour la demi-finale de C1, il a répondu à nos textos. » Aimer le football n’est pas gage de réussite, mais Dayot Upamecano a « eu une révélation en entrant au centre de formation, achève Olivier Bijotat. Il a compris que grâce au football, il allait pouvoir s’insérer dans la société et avoir une belle vie. » « Et les petits deviennent plus grands », glissait Tiji dans son slogan jusqu’en 2016. Belle source d’inspiration.

Par Florent Caffery

Tous propos recueillis par FC, sauf mention

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