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Que fait un entraîneur lorsqu’il est au chômage ?

Par Arnaud Clement
7 minutes
Que fait un entraîneur lorsqu’il est au chômage ?

On estime en France à près de 120 le nombre d'entraîneurs de football professionnel sur le carreau, à attendre qu'une place se libère pour eux. Comment gèrent-ils la période allant de leur éviction ou leur démission jusqu'au moment où un nouveau challenge se présente ? Réponse avec Dominique Bijotat, Arnaud Cormier et Patrick Rémy.

« Bas les masques ! » , voici le titre du communiqué prémonitoire balancé mercredi dernier par l’union nationale des cadres techniques et entraineur de football professionnel (UNECATEF). Un brûlot incendiaire du syndicat des coachs à destination de Gérard Bourgoin et Guy Roux. « Dans les circonstances difficiles que connaît l’A.J Auxerre, il n’y a donc pas à s’offusquer outre mesure – même si on le déplore – que le Président BOURGOIN commence à se demander si ce n’est pas le moment de créer le fameux et fumeux « choc psychologique » , et donc à sonder Pierre, Paul et Jacques. Mais qu’un retraité du club, de surcroît ancien entraîneur, qui a lutté contre le limogeage des entraîneurs en cours de saison et de contrat, se mette de la partie et aille frapper à la porte des entraîneurs disponibles pour le compte de son ancien club, cela dépasse l’entendement » , pouvait-on lire. Quatre jours et un match nul à Chateauroux plus tard, l’AJA enrichit comme annoncé le terreau des quelque 120 techniciens titulaires du DEF ou du DEPF actuellement sans club en y ajoutant Jean-Guy Wallemme, à peine un an après jeté Laurent Fournier. Un terreau où figurent des noms comme Faruk Hadzibegic, Pablo Correia, Yvon Pouliquen, mais aussi de frais retraités comme Teddy Bertin, Reynald Pedros ou Yann Lachuer.

Mais que fout de ses journées un entraîneur entre le moment où il se fait lourder et celui où il revient en grâce sur le devant de la scène ? Pas compliqué, le laps de temps se distingue en trois phases, dont la première est d’abord la décompression selon Dominique Bijotat, libre depuis la fin de sa pige à Metz en fin de saison dernière : « Plusieurs paramètres déterminent la façon dont se passe l’après. Mais quoi qu’il en soit, il faut d’abord couper. Pour moi, c’est essentiel pour retrouver de la lucidité. À chaque fois, je reviens me ressourcer dans ma région qu’est le Berry, auprès de mes proches et de ma famille. Je suis aussi revenu dans un petit club pour donner un coup de main et m’entretenir. » La tension générée chez un coach, pour qui l’obligation de résultat et les CDD à court terme sont le pain quotidien, l’incite ainsi à relâcher fortement la pression après coup, comme Pep Guardiola. « Je devais boucler mon DEPF, donc je n’ai pas trop gambergé une fois mes obligations terminées. Mais après, j’ai pris le temps de me poser et d’écrire noir sur blanc ce qui avait été bien fait ou non. Et puis, il faut se retaper physiquement et intellectuellement. On ne sort pas indemne de tels postes. Lorsque ça s’arrête, on se rend compte qu’on y a laissé quelques plumes » abonde Arnaud Cormier, libre depuis décembre 2011.

Phase 2 : la reconstruction

Une fois ce travail de régénérescence et d’autocritique finalisé, la majorité des techniciens reprend goût au ballon rond lors de la seconde phase. Si le virus est universel, à chacun sa manière de se remettre dans l’analyse, le décryptage et l’échange avec les acteurs du milieu. Même s’il prend le temps de faire du sport et de faire des affaires, notamment pour sa descendance, Patrick Rémy est peut-être celui qui a trouvé la façon la plus originale de s’y remettre. « Je fais du ‘scouting’ (repérage-recrutement) pour le club belge de La Gantoise. Je m’occupe de tout le sud de la France et je vais voir en moyenne trois matchs par week-end, de la L2 à la CFA » sourit l’ancien coach de Sedan, Caen, Guingamp et Troyes. Dominique Bijotat n’est, lui, pas en reste et sa voix sera bientôt audible aux commentaires de matchs anglais ou italiens pour Canal +. « Ça fait partie de ma gymnastique intellectuelle. J’y vais d’ailleurs avec l’œil du coach. Et puis ça me permet de travailler l’élocution » détaille-t-il, avec sans doute dans un coin de sa tête l’image d’Élie Baup et ses années sur le plateau du CFC. Arnaud Cormier a de son côté opté pour la visite courtoise à des confrères pour reprendre petit à petit goût à ces délicieuses odeurs de sueur et de gazon fraîchement tondu. « J’avais déjà fait des stages en Angleterre ou en Allemagne, donc j’ai choisi d’aller au Portugal. Mon beau-frère jouant à Maritimo (ndlr : Romain Salin), j’en ai profité pour voir comment on appréhende la chose là-bas » souligne l’homme de 37 ans, qui n’a pas seulement mis cette période à profit pour visiter le Portugal.

Comme un inactif qui souhaiterait se perfectionner pour revenir plus fort et armé après avoir établi son bilan de compétences, celui-ci suit actuellement une formation pour mieux appréhender des techniques managériales : « Depuis novembre, j’ai débuté une formation pour en apprendre plus sur les façons de tirer le meilleur parti de ses hommes, de savoir gérer des situations d’urgence, etc. C’est essentiel si on veut revenir sans être submergé. » Dominique Bijotat est lui aussi dans cette logique et réfléchit actuellement à apprendre ou non une langue étrangère afin de s’ouvrir des horizons nouveaux. Un besoin que l’UNECATEF a par ailleurs bien saisi, en témoigne la mise en place depuis quelques saisons de son programme « 10 mois vers l’emploi » qui permet à une vingtaine de coachs par an d’améliorer leur bagage en management, en langues mais aussi sur le plan technique lors de sessions regroupant une vingtaine d’entraîneurs libres. Une passerelle expérimentée par Frédéric Hantz ou Michel Der Zakarian récemment, avec le résultat qu’on connaît.

Aucune pitié chez les opportunistes

Ce n’est seulement qu’une fois bien requinqué et boosté que la dernière phase se précise : le retour vers le banc. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit du plus facile, en témoigne le déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché. Les annonces n’existant pas, il faut ainsi se tenir informé et faire jouer son réseau pour avoir des tuyaux. Lors de l’interview réalisée mardi, Patrick Rémy a d’ailleurs été joint simultanément par un ami dirigeant d’un club de L2 (tiens, tiens…) pour une prise de contact. Les clubs anticipant parfois, les spécialistes peuvent ainsi échanger sur le fameux projet. Nos trois interlocuteurs ne jurent d’ailleurs que par ça. « C’est essentiel pour moi. On peut se servir du CV, mais c’est une image figée, tandis que des discussions permettent de mieux appréhender l’humain, de discuter du projet du club, que ce soit pour les pros, la préformation, la formation » raconte Bijotat. « C’est essentiel pour eux, pour savoir à qui ils ont à faire. Mais ça l’est aussi pour nous. J’ai de la bouteille, donc je sais aujourd’hui ce que je veux et ce que je ne veux pas comme projet. Travailler dans l’urgence sans la certitude d’être encore en place après un seul mauvais résultat, ça ne m’intéresse pas » pose Patrick Rémy, pointant du doigt au passage les pays du Maghreb, adeptes du genre.

Si les trois témoins sollicités assurent qu’ils ne sont pas coutumiers du fait, il est toutefois une race de rapaces qui ne se prive pas de jouer les opportunistes quand les rats quittent le navire. « C’est vrai que j’ai déjà entendu dire de la part de confrères qu’ils n’hésitaient pas à se signaler auprès des clubs lorsque le vent commençait à tourner quelque part, juste parce qu’ils ont entendu une rumeur de la part d’un agent ou autre » illustre Patrick Rémy. Arnaud Cormier l’a même vécu dans la peau du chassé : « Je m’interdis de faire ça par respect et car j’estime qu’un changement d’entraîneur est d’abord la volonté d’un président. Mais je sais qu’au Mans, certains ne s’en sont pas privés lorsque j’étais en place. » Et Patrick Rémy de l’expliquer par certaines attitudes dans la confrérie, qui en poussent certains à ne pas accepter d’être dans l’ombre et de ne pas savoir vivre autrement que par le football. N’est pas un reconverti dans la littérature qui veut, n’est-ce pas Raymond ?

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