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  • 10 septembre
  • Journée mondiale de la prévention du suicide

Quand la dépression mène à la mise en bière

Par Eric Carpentier
Quand la dépression mène à la mise en bière

La dépression n'est pas la blessure la plus connue sur les terrains de football, mais elle peut être la plus dramatique. Tentative d'explication des mécanismes de cette maladie et de ses liens avec le football.

C’est un triste chiffre qu’a dévoilé la FIFPro en avril 2014 : selon le syndicat international des joueurs professionnels, 26% d’entre eux seraient touchés par des phases d’anxiété ou de dépression, bien loin de l’image du joueur gâté et trop payé communément projetée. Paul Gascoigne, Adriano, Sebastian Deisler ou Kévin Anin ne sont que quelques illustrations parmi d’autres d’un phénomène à la fois répandu et méconnu. Au vrai, il faut en arriver à des situations extrêmes pour que le tabou soit brisé. Ainsi en Allemagne où, suite au suicide de Robert Enke, il a été décidé de la mise en place obligatoire d’un psychologue au sein de chaque club professionnel. Décision qui n’a pas empêché Andreas Biermann de se donner la mort en 2013. C’est que la dépression est une maladie difficile à cerner, à soigner, pire, à évoquer. Surtout dans le football.

De la dépression à la destruction

Alexandre Le Jeune, psychopathologue du sport au centre médical de Clairefontaine, définit la dépression en ces termes : « C’est un trouble de l’humeur, une forme d’état que l’on pourrait qualifier de mélancolique, une tendance à s’enfermer dans un cercle vicieux. » Un mot clé, la résilience, c’est-à-dire la capacité à faire face à des situations difficiles : « Elle est fortement déterminée par l’estime de soi. Il existe de grosses corrélations entre l’estime de soi et l’état dépressif. » Jusqu’à mener, potentiellement, au suicide. Et si le geste de Gary Speed, retrouvé pendu dans son garage en 2011, n’a jamais pu être expliqué, le sélectionneur du pays de Galles de l’époque n’affichant aucun signe annonciateur de son geste, le chemin vers cette sortie précipitée est plutôt jalonné.

« Le processus suicidaire se déroule en plusieurs phases. Il y a d’abord la recherche de solutions, par la rationalisation ou le soutien social. Si ça n’est pas efficace, arrive la phase de l’idéation suicidaire, c’est-à-dire la première image de la mort possible. Une image soudaine, passagère. La 3e phase est celle de la rumination. C’est la prise de conscience que la crise se maintient, l’impression qu’on a épuisé toutes les situations possibles, là où l’idée devient plus récurrente. Dans une 4e phase de la cristallisation, la personne est submergée par ce désespoir. Le suicide apparaît comme l’unique solution, on pense à la manière de s’y prendre pour mettre fin à cette souffrance psychologique considérable. La 5e phase est l’élément déclencheur, qui peut être un fait anodin. » Speed était un sélectionneur respecté, Biermann un retraité des terrains, Enke en route pour un rassemblement de la Mannschaft. Dans chaque cas, l’élément déclencheur est incertain. Reste que chacun d’eux a bien connu le monde du football et ses spécificités.

Au seuil de l’éternité

La première caractéristique d’un footballeur est d’être… un footballeur. C’est ce qui le définit, souvent de manière excessive, son identité tendant vers le monochrome. En cas de modification de son statut, le joueur est face à un risque de déséquilibre fort : « L’identité, ce sont les rôles qu’on peut jouer dans la vie. À travers votre métier, votre situation familiale, vos passions, différents domaines dans lesquelles vous avez la possibilité de vous épanouir. L’unicité d’identité dans le sport de haut niveau, du fait d’une formation précoce et intensive, constitue un risque. Les modifications du statut identitaire, par un transfert, une perte de statut dans l’équipe, une mauvaise sélection, sont des facteurs de vulnérabilité qui vont altérer l’identité du sportif et l’estime qu’il a de lui-même. »

À cela s’ajoute un facteur physiologique, l’importance de la pratique sportive. En l’absence d’une telle pratique, les effets se font ressentir, notamment chez les blessés et les retraités : « Le rapport au corps du sportif est différent d’un être humain commun. Tout d’un coup, on prive le sportif de son outil de travail. C’est très délicat, car il se définissait avant tout comme un joueur professionnel, et il ne l’est plus. » D’où l’importance de l’entourage pour le joueur. Las, la pression inhérente au football dessert ceux qui doutent : « C’est assez paradoxal, car on parle beaucoup de communication, de mental solide, mais ça laisse très peu de place au doute et il est compliqué d’en parler. Ce sont de belles machines qui marchent bien quand tout va bien, mais qui manquent de ressources quand un grain de sable vient l’enrayer. » Le risque est grand de se retrouver au bord de l’abîme, ou pire, comme le peignait Van Gogh, Au seuil de l’éternité.

L’équilibre dans le déséquilibre

Comment, alors, prévenir ou guérir ces situations ? Travailler « la multiplicité des identités » est une priorité pour combler le déséquilibre propre au footballeur. Il faut ensuite éviter la frustration des besoins psychologiques : « Plusieurs besoins ont été mis en évidence dans le sport de haut niveau. Le besoin d’accomplissement se réfère à un sentiment d’efficacité personnelle, être au bon endroit au bon moment, ne pas s’être trompé. Le besoin d’autonomie est la possibilité de s’approprier sa pratique, de ne pas subir totalement la relation entraîneur – entraîné ou la relation médias, mais de se sentir acteur de son projet. C’est hyper important. Un 3e besoin est l’affiliation inter-personnelle, c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à un groupe, d’être important pour les personnes qui sont autour de nous, ce sentiment d’exister. » Et pas seulement à travers les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, les sports olympiques ont une obligation de suivi psychologique. Pour le foot, l’évolution est plus discrète : « C’est lent. Les coachs mentaux sont à la mode, c’est un discours qui passe bien, très commercial, mais qui se développe plutôt autour de la performance. » Soit l’objectif final d’un club pro. Alexandre travaille pour un club qui ne souhaite pas dire son nom : « C’est encore un peu connoté négativement, malheureusement. Mais je sens que ça bouge, les mentalités évoluent pour considérer un psychologue comme un acteur de bien-être et pas seulement pour soigner les grosses pathologies. La meilleure prévention, c’est travailler l’équilibre. » Trouver l’équilibre dans le déséquilibre : en fait, un dribble réussi est facteur de bien-être.

Par Eric Carpentier

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