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Pourquoi Manuel Neuer va gagner le Ballon d’or

Par Charles Alf Lafon
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Pourquoi Manuel Neuer va gagner le Ballon d’or

Il n'a personne pour le défendre et personne ne l'aime. On ne peut même pas dire que des gens le détestent, ce qui est peut-être bien pire. Pourtant, le portier allemand doit mettre cette breloque sur sa cheminée pour prouver au monde qu'il peut encore être sauvé.

« Je suis un sportif, pas l’ambassadeur d’une marque, même si je suis le premier gardien d’Adidas. Je ne suis pas le genre de type qui pose en sous-vêtement. Je n’aime pas le tapis rouge, je préfère le rectangle vert. Je me sens plus à l’aise sur le terrain à essayer de m’améliorer. […] Après les matchs, on montre surtout les buts, les occasions, les passes décisives. Le spectateur a tendance à ne pas se rappeler qu’en tant que gardien, je fais des arrêts difficiles en prenant de grands risques, et que j’initie les actions en faisant beaucoup d’efforts. » En une interview au magazine Kicker, Manuel Neuer a parfaitement résumé pourquoi il ne sera peut-être jamais sacré Ballon d’or. Cet homme, qui a déjà posé en caleçon, a tous les torts du monde : c’est un gardien allemand évoluant en Bundesliga.

Comme il le dit si bien, personne ne se souvient des gardiens, même si à grands coups de #justneuerthing, il essaye de faire changer les choses. Dans un sport dont la finalité n’est jamais que le but, la célébration de sa négation a toujours un petit côté rabat-joie. A-t-on jamais vu un match improvisé où des gens se sont battus pour aller dans les bois ? La cage, c’est la punition, et par extension, très peu rêvent de gardiens, et encore moins de le devenir. Le poster d’un portier dans une chambre d’enfants a toujours été l’exception, jamais un modèle à suivre. Combien de monstres sacrés se sont retrouvés à mettre des gants « par hasard » , « pour dépanner » ? Pas étonnant dans ces conditions qu’à l’heure du transfert-roi, ces mal-aimés se monnayent une bouchée de pain. Neuer lui-même a coûté 22 millions, le prix d’un Iturbe, la moitié d’un Mangala, le quart d’un James, et il est pourtant le deuxième plus onéreux à son poste, derrière Gigi Buffon.

Si t’étais né en 17 à Leidenstadt, on t’ignorerait

Autres tares : le Bayern et la Buli. Club dénué de glamour et de passion, évoluant dans un championnat rarement diffusé et que donc personne ne regarde, même s’il paraît qu’il y a « plein de buts et une superbe ambiance » , parce que « tu comprends, des Leverkusen-Mönchengladbach, très peu pour moi » , alors que Bilbao-Séville ou Tottenham-Newcastle, c’est super. Suffit de regarder le nombre de maillots de Kroos arborés depuis sa signature au Real pour comprendre que la popularité du club bavarois est un vrai obstacle dans la conquête du Ballon d’or. De se rappeler qu’en avril 2011, Sir Alex Ferguson avait parlé de la prestation de Neuer, alors à Schalke (ce qui est encore pire niveau visibilité) contre Manchester comme de « probablement la meilleure prestation d’un gardien contre nous au cours de ma carrière à United » , et que tout le monde ou presque l’a oubliée. Tout comme le fait de tirer un penalty en finale de Ligue des champions. En troisième.

Il aura fallu une Coupe du monde qu’il a écrasé de son empreinte (ses 21 ballons en dehors de la surface contre l’Algérie, sa main/barre face à Benzema, son double arrêt contre le Brésil) et de son genou (Higuaín, biche ayant traversé au mauvais moment) pour que le monde le considère enfin. Le principal intéressé l’a d’ailleurs fait remarquer : « J’ai déjà eu des matchs comme ça avant. Mais comme c’est la Coupe du monde, cela attire plus d’attention. » Pourtant, c’est (déjà ?) Lionel Messi qui avait raflé le titre de meilleur joueur du tournoi, l’Allemand devant se contenter de celui de meilleur gardien. L’injustice de la célébration des vaincus, tout simplement parce que Manuel Neuer, comme le monde, n’est pas assez. Il est allemand, ces gens qui parlent fort une langue incompréhensible, qui ont mis le monde à feu et à sang au moins trois fois lors des deux derniers siècles, se permettent quand même de donner des leçons d’économie et de se la raconter avec leur musique de supermarché remixée par des grosses tapettes et leurs voitures trop bien pensées. Tout le monde déteste les Allemands, et l’Allemagne aussi par la même occasion. Ouais, Berlin, c’est sympa, c’est hype, mais est-ce que quelqu’un est déjà allé en vacances à Rostock ou à Göttingen?

« Dégage avec ton pauvre allemand » – ILoveCriCri27

Manuel Neuer n’est jamais qu’un cliché, une personification des rancœurs multiples qu’il inspire. Il est trop lisse, trop parfait. Sur le pré, c’est un cyborg sans émotion, esclave de l’efficacité, qui ne donne même pas l’impression de s’amuser. Ce qui le rapproche terriblement dans l’idée d’un CR7, pourtant autrement plus pénible. A-t-on jamais vu l’Allemand plonger après un contact, faire les marionnettes après une action, pleurer de ne pas avoir le ballon, changer de coiffure à la mi-temps ? Hors terrain, même si le critère ne devrait pas compter, la sympathie penche encore de son côté, entre danse en costume traditionnel et 500 000 euros de gain à Qui veut gagner des millions pour une association. Malgré tout, c’est bien le Portugais et Lionel Messi, ce « Laurent Robert de sous-préfecture dopé aux hormones » , qui ont derrière eux des légions fanatiques prêts à les défendre mieux que la Terre Sainte à grands coups de palabres en commentaires de n’importe quel article. Et donc les votes des capitaines de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Trinitad-et-Tobago, du Kazakhstan, du Zimbabwe, du Laos, enfin tous ces pinks qui ont le droit de cité au nom du sacro-saint principe de mondialisation depuis que le Ballon d’or a été revendu à la FIFA pour faire du marketing.

Boss de fin et lueur d’espoir

Comme le chantait les Innocents, ce qui n’est quand même pas rien, quoique probablement faux, « on se souviendra de tous ces chasseurs de primes, de tous ceux qui commettent un crime, pour oublier la vie de cet homme extraordinaire » . Ce que Manuel Neuer est assurément. Déjà, même si cela ne veut plus rien dire depuis Sneijder 2010, il en a le palmarès : Bundesliga, DFB-Pokal, demi-finale de LdC (malgré le 4-0) avec le Bayern, et Coupe du monde avec la Nationalmannschaft. Surtout, il est en train de basculer dans quelque chose de plus grand. Dans une certaine forme d’inévitabilité. Celle qu’incarnait il fût un temps Lionel Messi, le fameux « il va forcément marquer, il est impossible à arrêter » , dont les Parisiens se rappellent encore bien.

Avec Neuer, c’est l’inverse qui se produit : lui mettre un but est devenu un exploit, et ses arrêts la norme. Gonflé de confiance, il attire tous les ballons, intimide tous les attaquants, devenus aussi maladroits qu’un garçon en présence de celle qu’il aime, quand il ne les dribble pas. Non content de tout arrêter, il révolutionne en prime son poste avec ses sorties et ses relances millimétrées. C’est pour cet état de grâce qu’il mérite le Ballon d’or. Parce qu’il n’est pas le héros que le monde mérite. Mais celui dont on a besoin aujourd’hui. Célébrons le deuxième gardien après Lev Yachine, le troisième libéro allemand après Beckenbauer et Sammer. Célébrons un mur allemand. Parce qu’il peut l’endurer. Parce que ce n’est pas un héros. C’est un gardien silencieux, qui veille et protège sans cesse. C’est un homme, Neuer.

Par Charles Alf Lafon

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