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Pellegrini l’Américain

Par Eric Carpentier
5 minutes
Pellegrini l’Américain

Manuel Pellegrini est à jamais le premier entraîneur non européen à avoir remporté la Premier League. Avant d'en arriver là, l'Ingénieur peaufinait ses plans en Amérique latine. Détours vers sa jeunesse laborieuse, de Santiago à Buenos Aires en passant par Quito.

Manuel Pellegrini manie à perfection l’art du paradoxe – normal pour un joueur qui, estimant son pied naturel, le droit, mal formé, a bossé celui du bus jusqu’à devenir zurdo, gaucher. Plus précisément droitier contrarié, à l’image de sa carrière d’entraîneur : sans titre au Real malgré une palanquée de records battus, quart-de-finaliste de Champions au moment où le cheikh Al-Thani fait une Mammadov à Málaga, seigneur en Angleterre et manant en Europe avec City. À y regarder plus loin, tout cela était parfaitement prévisible. En 1988-1989, première expérience sur un banc, il envoie l’Universidad de Chile en Segunda Division pour un cas unique dans l’histoire de la U ; cinq ans plus tard changement de crémière, il offre à l’autre Universidad, Católica, son seul titre international avec la Copa Interamericana. On remonte encore un peu ? À 35 ans, il décide de mettre un terme à sa carrière de défenseur le jour où un jeune attaquant de 17 ans le bouffe de la tête ; l’impertinent s’appelle Ivan Zamorano, et Pellegrini d’avouer a posteriori que, s’il avait su, il aurait bien continué un an ou deux. Ainsi va la vie de Pellegrini depuis 56 ans, imprévisible et instable, tout Ingénieur qu’il soit.

Electa una via

Pourtant, le Pellegrini joueur est un homme de principes. Eut-il été juriste, il aurait fait sienne la maxime electa una via, non datur recursus ad alteram – en langue vivante « une voie ayant été choisie, on ne peut en adopter une autre. » C’est qu’après sa formation à l’Audax Italiano, Manuel Luis Pellegrini Ripamonti migre à l’Universidad de Chile et lui est fidèle pendant 13 ans et plus de 450 matchs, de 1973 à 1986 et sa rencontre avec Ivan « Bam Bam » Zamorano. Mais piètre défenseur de sa cause (son entraîneur dit un jour de lui qu’il « a plus la gueule à se balader dans Providencia – quartier huppé de Santiago, ndlr – qu’à jouer au football » ), son club ne gagne qu’une malheureuse Copa Chile sur toute sa période d’exercice, plus mauvais bilan de son histoire. Pis, Pellegrini passe près de la condamnation en marquant un but contre son camp lors du Superclásico contre Colo-Colo du 17 juillet 1977, pour une défaite 5-4 à la clef. Mais il parvient à obtenir la relaxe en appel avec un autre but dans le Superclásico, du bon côté cette fois, qui offre la victoire 2-1 à la U en décembre de la même année. Las, la récidive vient de la relégation de 1989. Pellegrini est condamné à l’exil.

S’ensuivent des années d’errance. Il fuit le football de club un temps (sélection chilienne U20), y replonge via le Club Deportivo Palestino, mais, lunatique, quitte les Arabes après une bonne saison, direction O’Higgins, toujours pour un an no más. La maturité ne vient qu’en retournant fréquenter le banc de l’Universidad Católica, avec donc la Copa Interamericana en 1994 suivie de la Copa Chile. En retournant, car c’est précisément là qu’il a obtenu son titre d’ingénieur civil mention construction 15 ans plus tôt, entre 2 entraînements du gauche. Le travailleur est diplômé. Comme tout bon étudiant, il prend une année sabbatique, puis revient au foot avec le Palestino, encore : « Je gagnais disons 10 en tant qu’ingénieur. Palestino m’en offrait 2. J’ai quand même accepté le job » confie-t-il en 2013 à l’Irish Mirror.

San Pellegrini

Sauf que ses plans sont plus ambitieux. Alors que Don Emilio, le padre entrepreneur immobilier, voit 7 de ses enfants devenir architecte, producteur télé, avocat ou négociant en vin, il s’inquiète de la carrière qu’embrasse le 8e. Qui lui répond : « Papa, j’ai étudié l’ingénierie pour te faire plaisir et cela m’a beaucoup aidé. Mais moi, j’aime le football. Je vais être entraîneur, et tu vas voir que je vais aller en Europe et entraîner une grande équipe, comme le Real Madrid. » En attendant, il commence plus modestement sa carrière internationale au LDU Quito, du fait d’une amitié entre Rodrigo Paz, dirigeant du club équatorien, et Jorge Burgos, ambassadeur chilien en Équateur. Son passage par le milieu du monde marque un trait d’union symbolique dans sa carrière : l’ingénieur civil remporte son premier championnat, en 1999, dans une finale opposant les universitaires du LDU Quito aux militaires d’El Nacional (et de Quito itou) ; il est éliminé en huitièmes de Libertadores par l’ogre River Plate ; il est contraint de quitter le club qui fait face à des difficultés financières l’année suivante. De Quito à Manchester en passant par Málaga, l’histoire est une catin.

Luis Manuel décide, lui, d’aller monnayer ses talents du côté de l’Argentine. Après Quito, il embauche au CA San Lorenzo de Almagro en 2001. Le San Lorenzo de Pellegrini, le San Pellegrino si l’on ose, remonte 5 points à River, s’offre le championnat, double la mise avec la Copa Mercosur. Les Saints ont tiré leur coup, et les Millionaires, jaloux, débauchent aussitôt le jeune premier. Qui garde le rythme d’un titre de champion en 2003, avec Fernando Cavenaghi en meilleur buteur du club. Mais qui, malgré le retour de Marcelo Salas en Amérique latine, ne peut empêcher la défaite en finale de Copa Sudamericana, l’année même où Boca remporte la Libertadores. C’en est trop pour l’homme. Tirant les conclusions de son échec, il se fend d’un jospinien « le mieux est que les dirigeants poursuivent avec un technicien qui n’a pas connu cet échec » . C’est son mot d’adieu, un tantinet faux-cul, au continent américain. Il embarque pour l’Europe avec un dernier galon glané en Argentine : son surnom. N’en déplaise à Roberto Mancini, le travail de l’Ingénieur trouve ses fondements bien avant ses victoires anglaises.

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