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Où en est le football féminin français trois ans après le Mondial ?

Propos recueillis par Quentin Ballue, Anna Carreau et Gabriel Joly
Où en est le football féminin français trois ans après le Mondial ?

La Coupe du monde 2019 devait être un tournant pour la France, un tremplin pour le foot féminin. Mais trois ans après, le bilan est plutôt mitigé, comme les coups de gueule répétés d’Ada Hegerberg ont pu le souligner. État des lieux.

Le casting :

Yannick Chandioux : Entraîneur de l’équipe féminine de Montpellier.Léa Le Garrec : Milieu de terrain du FC Fleury.Fabrice Safanjon : Vice-président de l’UNFP et représentant de l’UNFP à la Commission du football féminin de haut niveau.Hubert Artus : Auteur de Girl Power, 150 ans de football au féminin.


Y a-t-il eu un effet Coupe du monde 2019 ?

Léa Le Garrec : Non, il n’y a pas eu de grands changements. On s’attendait à ce que ça bouge, mais ça n’a pas continué après la Coupe du monde. Quand Ada Hegerberg dit qu’on est à la ramasse, je suis totalement d’accord. Le foot féminin n’est pas assez pris au sérieux en France. On s’est fait rattraper par des championnats comme l’Angleterre ou l’Espagne, on a perdu notre avance.

Le foot féminin n’est pas assez pris au sérieux en France. On s’est fait rattraper par des championnats comme l’Angleterre ou l’Espagne, on a perdu notre avance.

Yannick Chandioux : Le résultat de l’équipe de France à cette Coupe du monde a brouillé la progression du football féminin. Aujourd’hui, il y a besoin d’un bon résultat, parce que le Mondial en France a très bien fonctionné : les audiences TV étaient très bonnes… Les instances ont fait ce qu’il fallait à un moment donné pour le développer au début des années 2010, on a vu une évolution très très forte et je pense aussi que c’est parce que le foot masculin n’a pas fonctionné en Afrique du Sud.

Fabrice Safanjon : Le Covid a bien évidemment été un grand coup d’arrêt, mais on a avancé. La fédération avait pris comme ligne de conduite de travailler d’abord sur la masse, avec une forte augmentation du nombre de licenciées au sein des clubs. C’est un objectif qui est désormais atteint donc, maintenant, l’idée est de se consacrer au haut niveau, d’où la création d’une commission pour le football féminin à la FFF. C’était difficile d’agir avant d’avoir développé la masse.

Hubert Artus : Depuis la Coupe du monde, il y a quand même une stagnation du nombre de licenciées, alors qu’un tel événement provoque en général un afflux massif et des sponsors.

Chandioux : Le cap de 200 000 licenciées est important, mais on peut se poser la question : je pense que ce n’est pas l’objectif numéro 1 aujourd’hui. Pour la FFF, ce qui est important, c’est le nombre de licenciés, pas que féminines, et de gagner des titres, parce que c’est ce qui fait rentrer de l’argent dans les instances. Pour moi, l’équipe de France est plus importante que le championnat de D1 Arkéma.

Safanjon : Il faut maintenant pouvoir trouver les axes à améliorer pour construire quelque chose de solide et éviter de prendre du retard par rapport aux pays voisins qui ne cessent de progresser. Il n’y a pas de temps à perdre, parce que jusqu’à présent, rien n’a vraiment été fait. Il faut que le foot féminin trouve son économie et son essor.

En France, quand on parle de Wendie Renard ou d’Amandine Henry, c’est une erreur de dire qu’elles sont pros. Elles sont footballeuses à plein temps et elles ont la chance de gagner assez avec leurs contrats fédéraux et des sponsorings privés, mais si on dit « professionnelles », c’est à défaut de mieux.

Artus : Ce qui m’effraie et me révolte, c’est que la fédération n’a pas foncé sur la professionnalisation. Après le Mondial, il aurait fallu créer des leviers pour inciter les clubs à se professionnaliser. Parce qu’en France, quand on parle de Wendie Renard ou d’Amandine Henry, c’est une erreur de dire qu’elles sont pros. Elles sont footballeuses à plein temps et elles ont la chance de gagner assez avec leurs contrats fédéraux et des sponsorings privés, mais si on dit « professionnelles », c’est à défaut de mieux. Avec la professionnalisation, toutes les joueuses pourraient être payées un peu plus et se consacrer à 100% au foot. En plus, elles seraient mieux prises au sérieux par le monde professionnel masculin.

Le Garrec : Rien que dans les médias, aujourd’hui, il y a certes un peu plus d’intérêt, mais certains ne s’intéressent au foot féminin que sur l’extrasportif, on l’a vu cette année avec certaines histoires. Après, on a quand même la chance que notre championnat soit diffusé tous les week-ends en intégralité, chose qui n’existait pas il y a quelques années.


La compétitivité de la D1 Arkéma

Safanjon : Sur le championnat, il y a bien sûr des progrès à faire, car il y a une grosse hétérogénéité. Derrière Paris et Lyon qui arrivent à se créer des grosses équipes, les autres ont moins de moyens, donc forcément, moins de chances d’exister.

Le Garrec : Je pense que le championnat est plus fort. Il y a moins de gros scores, on voit Lyon et Paris qui se font accrocher, le Paris FC à 50 points, Fleury quatrième… Je trouve que certains clubs se sont améliorés, ils ont mis un peu plus de moyens, mais il y a encore trop de différences. Les gros nous ont souvent dit cette année qu’on avait montré de belles choses et qu’on les avait bien embêtés. Justement, ça leur faisait plaisir, parce que ça leur permet d’augmenter leur niveau de jeu et d’être mieux préparés pour la Ligue des champions. C’est en jouant des matchs de haut niveau que l’on progresse. Je pense sincèrement que notre championnat est relevé, il est très bon. S’il n’est pas reconnu comme il devrait l’être, c’est juste parce qu’il n’est pas professionnel.

Il y a beaucoup de progrès à faire dans l’encadrement des contrats de travail des joueuses. Mais ce qui est rassurant, c’est qu’elles sont toutes concernées. Même les internationales alors qu’elles sont moins affectées, comparé aux filles qui galèrent à vivre avec un salaire décent.

Chandioux : Chaque année, il y a une progression sur tous les plans : sur le plan athlétique surtout, sur la structuration… Il n’y a pas très longtemps, il y avait de gros points faibles dans certaines équipes, aujourd’hui ce n’est plus le cas. La professionnalisation ne changerait pas grand-chose au niveau, parce qu’aujourd’hui, on est mieux structuré que le championnat italien en général, même si certains clubs travaillent très bien. Mais ce n’est qu’une question de statut, aujourd’hui les joueuses sont pros, travaillent et s’entraînent comme des pros, les structures sont professionnelles aussi… Il y a peut-être quelques clubs comme Soyaux qui sont en difficulté, il y a quelques chose dans leur gestion qui est un petit peu gênant. Les joueuses ne vont pas gagner plus d’argent en passant pros. En Espagne, la charte du contrat pro fixe des minima très très bas, à même pas 1000 euros, il me semble.

Safanjon : Je comprends le coup de gueule d’Ada Hegerberg, mais je pense que l’histoire est en route. Les temps politiques d’échanges ne sont pas aussi rapides que l’on pourrait espérer. C’est un travail de longue haleine. Il y a beaucoup de progrès à faire dans l’encadrement des contrats de travail des joueuses. Mais ce qui est rassurant, c’est qu’elles sont toutes concernées. Même les internationales, alors qu’elles sont moins affectées comparé aux filles qui galèrent à vivre avec un salaire décent. Elles ne sont pas professionnelles, mais elles ont toutes une force de conscience collective. Le fait de les incorporer au cœur de nos réflexions donne une grande force à nos projets.


La comparaison avec l’étranger

Safanjon : Il fallait s’attendre à ce que les autres pays se consacrent au foot féminin. L’explication, elle est culturelle. Au Barça, par exemple, les socios vivent pour le club. Les supporters défendent les couleurs de l’équipe de Barcelone, de manière asexuée. C’est quelque chose de bien plus inscrit dans leurs gènes que chez nous.

Artus : La France n’est malheureusement pas un pays de football. Il y a bien sûr des exceptions dans certaines villes, à Marseille, Nantes, Lens ou Saint-Étienne, mais ça s’arrête là. Cela explique aussi les retards actuels dans la professionnalisation.

Le Garrec : J’ai joué à Brighton, et la différence avec l’Angleterre se situe surtout en matière d’infrastructures. Là-bas, c’est beaucoup plus structuré, beaucoup plus professionnel. Ça, c’est parce que la ligue l’est aussi et qu’elle impose des choses au niveau des infrastructures. En France, il y a un cahier des charges à respecter, mais c’est moins poussé. Les salaires commencent aussi à suivre en Angleterre et sont beaucoup plus intéressants. La D1 féminine changera le jour où elle deviendra professionnelle, c’est tout.

La fédération aurait pu inventer un levier supplémentaire, ils sont là pour ça. Obliger les clubs à soit mettre plus de moyens, soit à reverser des profits des sections masculines…

Artus : Pour le coup, et il faut le mettre au crédit de Le Graët, même s’il n’a pas tout bien fait jusque-là, quand l’équipe de France arrive en demi-finales du Mondial 2011, il force les clubs professionnels français à fonder une section féminine. Alors bien sûr, ils y mettent les moyens qu’ils souhaitent, et on constate par exemple que Rennes et Monaco sont en retard. Mais c’est une obligation. Un message clair aurait été de faire de même avec la professionnalisation après la Coupe du monde 2019. La fédération aurait pu inventer un levier supplémentaire, ils sont là pour ça. Obliger les clubs à soit mettre plus de moyens, soit à reverser des profits des sections masculines…

Chandioux : Obliger à un tel niveau de structuration, de moyens financiers ? Si c’est juste pour dire « il nous faut une structure féminine »… Je sais que récemment Rennes a lancé quelque chose, mais pour bien connaître le directeur général, ils restent à un niveau juste pour dire : « On a des filles dans notre club. » Ils ne sont pas encore en mode développement.

Le Garrec : Malgré ça, il n’y a pas que les moyens, il y a aussi les compétences. À Fleury, le président a fait ce qu’il fallait pour avoir les bonnes personnes au bon moment et avoir des résultats. À partir du moment où vous avez un président qui aime le foot féminin, comme nous à Fleury, ça fait la différence. Si vous êtes dans un grand club, mais que le président s’en fout, ça ne va pas faire évoluer les choses, puisque c’est lui qui décide…

Safanjon : Toutefois, réunir 25 000 à 30 000 personnes dans un stade comme le font Lyon et Paris, c’est unique. Il faut s’en réjouir plutôt que de regarder ce qu’il y a à côté. Aujourd’hui, 10 000 ou 15 000 spectateurs, c’est énorme en France, où le football est vécu différemment de l’Espagne ou de l’Angleterre.

Le Garrec : En matière de public, cela n’a quand même pas beaucoup évolué en dehors des grosses affiches. Quand tu ne joues pas le Paris Saint-Germain ou Lyon, c’est très limité.

Chandioux : Je situe toujours la D1 très très haut. On est encore devant l’Italie et l’Espagne, je ne sais pas si l’Angleterre est devant, et on se bagarre avec l’Allemagne peut-être. Les championnats historiquement forts comme l’Allemagne, la Suède et l’Angleterre restent toujours les plus forts. L’Espagne et l’Italie ont énormément progressé, mais on a encore un temps d’avance sur ces championnats-là. Peut-être que très très vite, ils nous dépasseront, même si pour l’instant, on a de bonnes joueuses étrangères qui viennent compléter les effectifs, mais je suis d’accord quand Sonia Bompastor et Ada Hegerberg disent qu’il faut se réveiller.


Les pistes d’amélioration

Le Garrec : Moi, j’aimerais que le championnat soit professionnel, le plus rapidement possible. C’est la première chose parce que ce n’est pas normal que notre championnat soit amateur. Ensuite, il faut qu’on passe à 14 équipes. Notre championnat est problématique : on a un début de saison intéressant parce qu’on joue quasiment tous les week-ends, et à partir de janvier, on a plein de trous, c’est super long jusqu’à la fin de la saison. Il n’y a pas assez de matchs et c’est pénible, il n’y a pas de rythme, c’est saccadé.

Notre championnat est problématique : on a un début de saison intéressant parce qu’on joue quasiment tous les week-ends, et à partir de janvier, on a plein de trous, c’est super long jusqu’à la fin de la saison.

Chandioux : Plus d’équipes, c’est plus de matchs ; plus de matchs, c’est plus de jeunes sur le terrain. Aujourd’hui, les jeunes joueuses françaises de 18 à 22 ans ne jouent pas ou ne jouent pas au plus haut niveau, parce qu’elles se retrouvent en D2 par faute de temps de jeu. Alors qu’avec plus de match en D1, elles pourraient plus jouer.

Safanjon : Je crois que resserrer l’élite en réduisant le nombre d’équipes en D1 Arkéma pourrait permettre une réelle progression sportive avec des matchs plus serrés.

Artus : Resserrer le championnat, je trouve que c’est pile la mauvaise idée. Il faut faire l’inverse, puisque chaque club professionnel depuis 2011 est obligé d’avoir une section féminine. On pourrait très bien faire une D1 à quatorze clubs. Là, il y en a douze, ils en veulent dix. Comme les clubs pros ont l’obligation d’avoir une section féminine, on devrait en mettre plus en première division, même si elles ne sont pas à niveau ! Il y a par définition plus de moyens en D1, donc elles pourront se développer.

Chandioux : Je ne crois pas du tout à davantage d’hétérogénéité. Même avec deux ou quatre équipes de plus, on peut homogénéiser ce championnat. Même à huit équipes, on aurait toujours Paris et Lyon devant et pas moins de différences. Lille, Nantes et Nice sont des clubs qui mettent beaucoup de moyens dans le foot féminin : donnons-leur la possibilité d’évoluer en D1 et tout le monde va s’y retrouver, même l’équipe de France. Aujourd’hui, ce schéma n’a pas permis de gagner des trophées, et l’Espagne qui évolue à 18 équipes peut tout à fait remporter l’Euro, même avec deux absentes importantes. Et derrière, on prendra peut-être conscience que ce n’est pas un problème d’être 18 en championnat.

Le Garrec : Nous avons besoin de clubs de renom qui, en investissant dans le foot féminin, stimuleraient l’intérêt du public. Des clubs comme Marseille ou le Stade rennais ne semblent pas vraiment intéressés, mais il faut s’y mettre. Quand vous voyez ce qu’a fait Aulas à l’OL en injectant chaque année un pourcentage des bénéfices des garçons dans l’équipe féminine, ça a permis aux Lyonnaises d’aller loin.

Chandioux : C’est très important que la structure féminine des clubs s’autogère sans avoir à demander de l’argent aux garçons. Ça ne me paraît pas si compliqué que ça. C’est ce qu’il s’est passé en Angleterre : Sky qui a les droits TV donne beaucoup plus d’argent que Canal+ et en face les clubs ont des obligations. Et le gros sponsor qui est Barclays donne douze millions d’euros tous les ans. Ce n’est qu’une histoire d’argent, mais qui est liée à des obligations fédérales et des clubs.

Safanjon : Il y a aussi d’autres moyens. La féminisation des instances pourrait donner envie à des petites filles de faire comme elles.

Artus : Bien sûr, c’est super et il faut plus de Laura Georges ou de Brigitte Henriques engagées à la FFF. Mais sans œuvrer sur une meilleure retransmission des matchs, ça ne suffirait pas. J’aime bien regarder les matchs de D1 Arkéma sur Canal à 14h30 le samedi, mais on a deux pauvres caméras dans le stade, on n’a pas de ralentis, la retransmission montre qu’il y a assez peu de monde dans les stades, donc pas d’ambiance. Là, c’est de la responsabilité des chaînes qui ont acheté les droits.

Il faut que Canal+ soit exigeant dans les structures recevant les matchs, on ne peut plus jouer dans des stades champêtres, sur des terrains synthétiques de qualité catastrophique… Ce n’est plus possible.

Chandioux : Il faudrait un accord tripartite entre clubs, fédération et Canal+. J’ai la sensation que Canal veut s’engager auprès du foot féminin, ils sont en fin de contrat à la fin d’année et l’idée, c’est de resigner. Il faut que Canal soit exigeant dans les structures recevant les matchs, on ne peut plus jouer dans des stades champêtres, sur des terrains synthétiques de qualité catastrophique… Ce n’est plus possible. Mais en contrepartie, il faut que Canal mette plus de moyens aussi et que les obligations soient des trois côtés : la fédération doit donner plus d’argent aux clubs, Canal doit donner plus d’argent à la fédé et les clubs doivent être mieux préparés en matière d’accueil.

Safanjon : Et évidemment, la meilleure publicité pour le foot féminin, ça serait un bon résultat de l’équipe de France au Championnat d’Europe ou à la Coupe du monde l’année prochaine. Cela donnerait un bon coup de projecteur et un boost important au niveau des sponsors.

Artus : Je pense qu’une Coupe du monde, c’est impossible. On ne peut pas rattraper le retard salarial, féministe et athlétique sur les États-Unis, l’Australie ou le Brésil sans la professionnalisation. Sans elle, les futures Bleues vont avoir un sacré complexe d’infériorité quand elles regarderont les autres nations. Pour l’Euro, c’est déjà plus que jouable, surtout cette année où le tableau est ouvert.

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