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"Croatie 1 contre Croatie 2". La presse wallabie a parfaitement synthétisé la problématique du match qui opposera ce soir l’Australie à la Croatie. Et pour cause, la sélection australienne est composée en grande partie de joueurs originaires du pays de la cravate.
Pas moins de huit joueurs ayant un lien de parenté plus ou moins éloigné avec la jeune République balkanique ont pris part au barrage victorieux et historique qui a opposé l’Australie à l’Uruguay le 16 novembre dernier (1-0, 0-1, 4 tab 2). En gros, les principaux internationaux qui ont qualifié l’Australie pour le Mondial allemand (1), sa seconde participation après celle de 1974, auraient pu jouer avec le maillot croate sur les épaules. Le match entre ces deux équipes, décisif dans l’optique d’une qualification pour les huitièmes de finale, aura donc une saveur particulière.
Une situation atypique qui trouve sa source dans l’histoire agitée de la Croatie. Dès 1945, afin de fuir le régime dictatorial de Ante Pavlevic, soutenu par les forces de l’Axe, puis, comme l’explique le joueur australien Lubjo Milicevic dont le patronyme trahit ses racines croates, « à l’entame des années 70 pour échapper aux purges communistes » , des milliers de Croates sont contraints de fuir leur patrie. Haut-lieu de pèlerinage de l’immigration mondiale depuis le début du XIXe siècle, l’Australie ne va pas faillir à sa réputation ; des deux millions de Croates disséminés sur le planisphère, deux cent cinquante mille vivent en Australie. Une diaspora qui se montre reconnaissante par le biais de la sphère de cuir.
Datant du début des années cinquante, ce flux et reflux de l’immigration internationale va profiter aux Socceroos. Outre l’apport des Croates, de nombreux descendants grecs et italiens… La sélection australienne devient le reflet du cosmopolitisme de ce continent. Un sentiment que confirme Lubjo Milicevic, né de parents croates sur le sol australien, qui a choisi la sélection des Kangourous : « Chaque Australien peut s’identifier dans cette équipe, même ceux issus de l’immigration. C’est, je le pense, la grande force de cette sélection. » S’il avoue ne pas connaître l’hymne national, « seulement quelques bouts » , le défenseur du FC Thoune n’a pas hésité une seconde avant d’enfiler le maillot des Soceroos : « J’avais le choix entre les sélections croate et australienne, j’ai choisi l’Australie car je me sens totalement australien. » Preuve de sa dévotion pour sa terre d’accueil, Milicevic se réjouit « de jouer contre la patrie de(ses) parents avec le maillot de l’Australie sur les épaules » , tout en espérant secrètement mettre une bonne déculottée à ses quasi-frères de sang. Sentiment que partage « le chêne » Tony Popovic, solide défenseur australien aux racines croates : « La Croatie est pour nous un adversaire particulier. Comment peut-il en être autrement vu nos origines ? Malgré tout j’espère quand même remporter le match qui nous opposera à elle le 22 juin à Stuttgart. »
Si l’Australie peut se targuer d’avoir chipé quelques bons joueurs à ses lointains voisins croates, type Viduka, Kalac ou Popovic, le phénomène qui fait toute l’originalité de cette rencontre n’est pas à sens unique. À l’instar du Monégasque Christian Vieri, qui aurait pu jouer sous les couleurs australiennes (son frère Massimiliano a été sélectionné à plusieurs reprises avec les Aussies), mais qui préférera les couleurs de l’Italie, Joey Didulica, Josip Simunic et Ante Seric, pourtant tous trois natifs du pays de Crocodile Dundee, ont choisi d’endosser le maillot rouge et blanc de la Croatie. Situation atypique qui n’est pas sans créer quelques animosités entre les deux nations. Surtout lorsque les joueurs en question, avant de filer à la croate, ont bénéficié dans leur prime jeunesse des programmes de formation financés par la fédération australienne. Ce qui avait le chic de mettre en boule l’ancien sélectionneur australien Franck Farina : « Je pense qu’il y a un problème lorsque les joueurs issus de nos programmes de formation de jeunes, et qui ont bénéficié des subventions de notre gouvernement, retournent jouer avec leur pays d’origine. »
Un problème qui atteint son paroxysme lorsque Ante Seric, qui n’avait à l’époque pas encore choisi les couleurs qu’il défendrait, fut convoqué simultanément par les sélections australienne et croate pour prendre part à un match amical qui devait opposer les deux équipes à la veille de la Coupe du monde 98. Seric, qui jouait à l’époque au FC Sydney, choisit la Croatie. Mal lui en a pris. Outre les billets de retour, le Croate a dû investir dans une bonne paire de protège-tibia, une fois sa réapparition effectuée dans le championnat aussie. L’Australien en short est un peu rancunier, surtout lorsqu’il investit à perte. Pour Didulica et Milicevic, eux aussi en face de ce facétieux dilemme, les décisions furent moins sujettes à la polémique. Le premier nommé, portier de l’équipe autrichienne de l’Austria Vienne, a longtemps été ignoré par les sélectionneurs australiens. Du coup quand l’opportunité de jouer sous les couleurs croates s’est présentée, Joey a sauté sur l’occasion. Logique. Pour Milicevic, qui avoue se sentir « totalement australien malgré(ses) origines » , c’est l’esprit cocardier qui a pris le dessus. L’idée de jouer pour la Croatie semble à peine l’avoir effleuré. Sûr que la concurrence des Kovac, Simic ou Tudor, titulaires indéboulonnables de l’arrière garde croate, ont favorisé l’élan patriotique du défenseur de la champêtre équipe du FC Thoune.
Situation totalement différente pour Josip Simunic pour qui l’embrouille est en tout point similaire à celle de Seric. En pire. Lorsqu’il choisit les couleurs croates en octobre 2001, alors qu’il avait effectué toute sa formation à l’Australian institute of Sport de Canberra, il devint, bien malgré lui, le Judas du football wallabie. La proie idéale pour une presse locale en manque de ragots gluants. Une posture de bouc émissaire que l’ancien pensionnaire des Melbourne Knights a tout de même pris avec une certaine philosophie : « Le fait que l’on me décrive comme un traître ou un bandit ne me pose pas de problème. L’Australie est un pays libre et chacun pense ce qu’il veut. » Si le défenseur du Hertha Berlin a cristallisé une bonne partie des ressentiments des canards locaux, le Sunday Age et le Herald Sun, quant à eux, ont pris un malin plaisir à faire monter la sauce en accentuant les antagonismes existants entre les deux nations. Zlatko Kranjcar, le sélectionneur croate, se transformant pour l’occasion en pyromane médiatique en estimant que « la Croatie est bien meilleure que l’Australie » , puis, histoire de mettre un peu d’huile sur le feu, d’expliquer qu’il « n’y a aucune crainte à avoir dans la mesure où l’Australie s’est qualifiée de justesse. » La réplique ne s’est pas fait attendre. Les journalistes australiens sont tombés sur le sélectionneur croate en critiquant sa trop grande assurance et en estimant « qu’une équipe qui n’a pas réussi à se défaire des modestes Maltais » n’est peut-être pas le cador annoncé par le bon vieux Zlatko. Ambiance.
Si la guéguerre médiatique fait son chemin, cette confrontation ne fait pas pour autant naître chez les joueurs de rancunes nauséabondes. Bien au contraire. Simunic, pourtant dans l’œil du cyclone, avoue volontiers que « l’Australie reste près de son cœur » et que ce fut la décision « la plus dure de(sa) carrière de choisir entre les deux pays. » Mieux, Mark Bresciano a prévu d’échanger son maillot avec Ante Seric à la fin du match qui les opposera ce soir : « J’espère seulement qu’il sera dans la liste des appelés. » Une certaine forme de respect mutuel. Finalement.
(1) Kalac, Skoko, Sterjovski, Viduka, Zdrilic, Popovic.
GDH
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