Messi est-il le fils de Maradona ?

C’est un secret de Polichinelle, Diego Maradona a procréé un peu partout. Tel un marin, le diable argentin avait une gonze dans chaque port. Mais le Pibe a toujours nié, toujours refusé de reconnaître ses progénitures illégitimes, fussent-elles évidentes. En revanche, côté football, peut-être pour soulager sa conscience, le maître a opté pour la stratégie totalement inverse : considérer le moindre danseur de tango avec un 10 floqué dans le dos comme son héritier. Pour autant d’infanticides. Ortega, Gallardo, Aimar, Riquelme, D’Alessando, tous écrasés par le poids de l’héritage régulièrement avalisé par Diego 1er en personne. Et puis vint Lionel Messi…

Slalom géant et but de la main à l’ancienne

Février 2007, demi-finale de Coupe du Roi entre Barcelone et Getafe. Messi récupère la balle côté droit près de la ligne médiane. Et là, chevauchée fantastique à base de petits ponts, de crochets courts avec finition clinique après avoir effacé le gardien. Quelques semaines plus tard, face à l’Espanyol, Messi chourre un petit but de la main au-dessus du portier adverse. A l’ancienne. C’est dit, il y a un nouveau “Pibe de Oro” dans la place. Depuis, le phénomène blaugrana n’a pas ralenti la cadence. Aujourd’hui, soyons clairs, Messi est sans doute le meilleur joueur de la planète.

Le môme est devenu si fort qu’il peut se permettre de n’entrer qu’en fin de match pour inverser une situation défavorable aux siens. Ainsi, rien qu’en Liga, Messi est directement comptable de 14 points de son équipe. Et on ne compte pas les passes décisives ou les décalages qui ont permis au Barça d’assurer le beefsteak. Et puis, il y a ce dribble, court, sec, insaisissable qui rend le petit attaquant barcelonais absolument inarrêtable. Ne nions pas l’évidence, Messi n’a actuellement aucun équivalent. Même Cristiano Ronaldo, dernier lauréat du Ballon d’Or, fait figure de maçon au jeu des comparaisons. Pour autant, Messi peut-il rejoindre Maradona dans la légende ? En clair, peut-il tuer le père ?

« Egaler Maradona ? Impossible »

Pour Juan Ernesto Simon, ancien compagnon de route de Maradona, passé notamment par Monaco et Strasbourg, il n’y a aucun doute possible : Diego est inégalable. « Lionel Messi ? Ça deviendra un très grand joueur. Mais ça ne sera jamais Diego. En plus, d’un point de vue football, les temps ont changé. Aujourd’hui, Lionel est davantage un milieu excentré qui évolue dans un schéma précis. Diego était davantage meneur de jeu, omniprésent. Ce n’est pas comparable. Et je crois sincèrement que Diego était capable de bien plus de choses que Messi. Bien plus de choses que n’importe qui, en fait… »

Simon, en bon libero à l’ancienne bien reculé, a tout vu. Messi est avant tout un exceptionnel joueur de un contre un, capable d’effacer ses adversaires dans un mouchoir de poche grâce notamment à une conduite de balle unique où la sphère est toujours à portée de (ses) crampons. Doté d’un centre de gravité très bas, le Catalan ajoute à l’arsenal une capacité rare à changer de direction sans jamais perdre le contrôle du jeu toujours au sol. Messi est un ultra-terrestre, Maradona un extraterrestre. Capable de s’exprimer dans toutes les zones, capable de facéties techniques acrobatiques, de ciseaux, de retournés, de passes en volées couchées. Et puis là où Leo passe son temps à slalomer, Diego inventait de nouveaux dribbles, de nouvelles feintes, toutes sorties d’un dessin animé. Pour résumer, le répertoire de Messi est connu et maîtrisé jusqu’au bout des orteils. Celui de Maradona est sans fin, comme issu d’un manga.

Maradona l’Argentin, Messi l’Européen

Et puis, il y a cette aura divine propre au Pibe : « Il ne peut pas atteindre cette dimension et personne ne le lui demande, reprend Juan Ernesto Simon. En Argentine, on n’attend pas de lui qu’il soit un nouveau Maradona car nous, nous savons bien que c’est impossible. Et Messi a raison de se débarrasser de cette étiquette » . Et le gamin y parvient bien. Bien élevé, presque lisse, Messi n’est pas là pour attiser les passions. Tout le contraire de Maradona, tout en excès, en démesure. Il faut préciser que la Pulga a d’abord dû régler des problèmes de croissance à base de traitement hormonal pour avoir seulement une chance de faire carrière. Evidemment, ça incite plus au profil bas que le Pibe, considéré comme un enfant-dieu dès ses premiers pas.

Car il est l’heure de rappeler le regard de Jorge Valdano sur l’idole : « Si le football argentin se définit par la virtuosité et le vice, Maradona fut le plus argentin des joueurs de l’histoire » . Oui, Maradona appartient tout en entier au peuple argentin. De par son jeu, comme l’explique Valdano. De par son histoire aussi, jeune prodige d’Argentinos Juniors puis de Boca… D’ailleurs, chacun peut même citer son équipe de jeunes, Los Cebollitas. A contrario, Messi est avant tout européen, débarqué très jeune au FC Barcelone. Loin de son pays, le prodige blaugrana ne peut pas espérer pénétrer l’intimité de ses compatriotes comme l’a toujours fait son illustre prédécesseur. Juan Ernesto Simon avait donc bien vu : pour toutes ces raisons, Messi ne peut pas rejoindre Maradona dans l’histoire. Mais il peut lui succéder.

Dave Appadoo