« Mais ou et donc or Nico » Kranjcar…
Focus sur le très classieux Niko Kranjcar, milieu international croate de Portsmouth. L'une des grandes révélations de l'Euro 2008 ?
Ce 21 novembre 2007, les Anglais auraient certainement préféré que Nico Kranjcar les oublie un peu. Mais au lieu de ça, le Croate allume la première mèche de la débâcle de l’Angleterre dans son marécage de Wembley. Crochet extérieur à trente mètres, frappe enroulée enchaînée, trajectoire à la con, et la carrière de Scott Carson, nouveau venu dans les gants de la sélection des Trois Lions, vole en éclats.
Sans complexes, lui et ses coéquipiers s’imposent 3-2, confortant l’entraîneur Slaven Bilic dans ses choix tactiques prônant un football offensif. Bilic sait qu’il a sous la main un quatuor qui peut faire mal à l’Euro, avec un milieu des plus techniques Modric-Kranjcar-Srna pour alimenter la moustache pré pubère d’Eduardo Silva. Bon, force est de constater que le quatuor n’est plus que trio, avec les remerciements tout anglais de Martin Taylor, qui s’est occupé avec délicatesse de la cheville du dernier nommé.
Lors de la Coupe du Monde 2006, la formation au maillot à damier avait présenté un alléchant 3-4-1-2, qui est tombé à l’eau, une défaite contre le Brésil, et deux matchs nuls face à l’Australie et au Japon plus tard.
Quoi qu’il en soit, ce système était bien destiné à donner les clés à Nico Kranjcar, qui n’avait pas encore 22 ans à l‘époque ; signe de la confiance placée dans les crampons du gamin. Dans la foulée du tournoi allemand, de nombreuses écuries européennes s’intéressent au phénomène des Balkans. Et c’est finalement Portsmouth qui attire le beau gosse dans ses filets, à la limite du hors-jeu, dans les dernières palpitations du mercato, le 31 août.
Fier de son coup, le truculent coach de Pompey Harry Redknapp soumet même l’idée à sa team de jouer avec le même schéma que la Croatie ! Mais face aux sourcils froncés de ses défenseurs, il tuera le projet dans l’œuf. Après une première saison mitigée, acclimatation oblige, Nico est devenu pour l’exercice en cours le dépositaire du jeu de Portsmouth, depuis son aile gauche, comme il le fait avec la Croatie depuis l’intronisation de Bilic. Lui, qui jusque-là était toujours utilisé en pur numéro 10 derrière deux attaquants.
Chaque week-end, il délecte les supporters de Fratton Park de son jeu des deux pieds, parfois avec la semelle. Indéniablement au-dessus de la moyenne techniquement, il affiche un goût prononcé pour la feinte de frappe, avant de passer le ballon derrière sa jambe d’appui. Avec le revers de médaille qui accompagne ce genre de qualité : il a parfois (eu) tendance, au sortir d’un dribble, à gâcher une opportunité, à tenter le grigri de trop, à choisir l’option perso face aux barres.
Doté d’une belle frappe de balle qui lui permet d’être dangereux sur coups de pied arrêtés, Kranjcar n’est pas vraiment un buteur – seulement cinq pions en une cinquantaine d’épisodes de Premier League. Du coup, le “playmaker” se consacre dorénavant à faire jouer les autres, à déployer son jeu de passes et faire chauffer sa vista.
Kranjcar est aujourd’hui l’un des joueurs les plus agréables à regarder évoluer ballon au(x) pied(s) dans le championnat anglais. Pourtant, plusieurs écueils auraient pu l’écarter du chemin footballistique.
Tout d’abord, parce le petit Nico, enfin 1m84 quand même, est “fils de”. Fils de son père, Zlatko “Cico” Kranjcar, serial-buteur des années 80. Alors quand papa prend les rênes de la sélection nationale en 2004 et fait de sa progéniture un titulaire dans son onze, les accusations de favoritisme s’abattent sur la famille. « J’étais déjà sous les projecteurs depuis 14 ou 15 ans, et encore plus lorsque mon père est devenu sélectionneur. Ce ne fut pas facile. Peu importe à quel point tu es bon, les gens disent que tu n’es là que grâce à ton père, et encore plus si parfois tu n’es pas dans un super jour. Tu apprends alors à vivre avec la pression, mais il y a des moments où tu voudrais sortir dans la rue, que personne ne te reconnaisse, ou prendre un verre sans que quelqu’un ne te montre du doigt » relève-t-il.
Puis en 2005, alors qu’il a rejoint depuis peu l’Hadjuk Split après avoir flambé sous les couleurs des rivaux du Dinamo Zagreb, son agent est retrouvé tué par balles. Et enfin, histoire de bien pourrir son début de carrière, une partie de l’opinion le prend comme bouc-émissaire de l’échec croate au Mondial 2006. Malgré tout, Kranjcar est toujours là, donnant à Portsmouth, habitué à se battre dans les eaux profondes du classement, un sourire de prétendant à l’Europe.
Cet été, il ira en Suisse-Autriche disputer l’Euro 2008. Portant l’espoir de tout un peuple, dont ses anciens détracteurs, de voir poindre sous son serre-tête un nouveau Boban ou Prosinecki.
Pierre Maturana
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