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Lobanovski acrobatique

Par Chérif Ghemmour (extraits du So Foot numéro 57)
Lobanovski acrobatique

Vendredi 2 mai 1986, Lyon. Une tornade blanche irradie littéralement le stade Gerland. Le Dynamo Kiev atomise l'Atlético Madrid 3-0 en finale de la Coupe des vainqueurs de coupes. Une démonstration hallucinante. Aux manettes : Valeri Lobanovski.

Vu du ciel, le schéma tactique n’a rien d’extra. Un simple 4-4-2 avec milieu en losange : Yakovenko devant la défense, Yaremchouk à droite, Vasili Rats à gauche et Zavarov derrière Belanov et Blokhine… Luis Aragonés, alors entraîneur de l’Atlético, se souvient d’ailleurs qu’il les avait « à peine supervisés, ils ne nous impressionnaient pas » . Sauf que le Dynamo est animé du mouvement perpétuel qui dépasse les lois de la physique. Un typhon centrifugeur qui passe l’adversaire à la moulinette. La « dynamique » s’enclenche surtout côté gauche avec les montées de la flèche Demyanenko, défenseur latéral qui pistonne attaque/défense avec Vasili super-Rats. Devant, Belanov et Blokhine prennent la profondeur en permutant comme Castor et Pollux. Le reste est de la même tuerie : les voltigeurs Baltacha et Yakovenko peuvent monter, créer le surnombre. En Guardiola avant l’heure, Yakovenko, détonateur de la dynamo, varie le jeu court ou long vers les fusées Rats, Belanov, Blokhine. En n°10, le surdoué Zavarov tisse les connections à sa fantaisie. Côté droit, Yaremchouk reste plus en soutien défensif avec, derrière, le latéral Bessonov et le stoppeur Kuznetsov.

Les bécanes tournent à cent à l’heure ! La preuve : le deuxième but d’anthologie marqué à la 85e à la suite d’un des plus beaux mouvements collectifs depuis Alexandre le Grand. Un chef-d’œuvre venu du côté gauche (comme pour le premier but à la suite d’un raid létal de Demyanenko). Rats enrhume deux Matelassiers sur 40 mètres le long de la touche. À 30 mètres des buts de Fillol, inspiration vers l’infini : il décale à droite pour Belanov, qui passe le relais dans l’axe pour Evtouchenko, qui transmet pour Blokhine, ailier droit en bout d’action qui lobe Fillol sorti aux 16 mètres… Accélération de particules, réaction en chaîne et explosion finale ! Gerland encore médusé zappe le 3-0 d’Evtouchenko à la 88e : trois buts (et dix occases !), c’est en moyenne le tarif infligé à chaque match de C2 cette saison par les « turbo dynamiques » .

Ancien attaquant du Dynamo lui-même puis son coach depuis 1973, Lobanovski est l’âme du club. Un génie et un chieur. Éternel dissident du système soviétique, entraîneur sans aucun diplôme sportif, mais ingénieur en thermotechnique. Sélectionneur de l’URSS en 1976, il n’est que médaille de bronze aux JO de Montréal. Un affront pour le PC russe qui le limoge illico avec interdiction à vie de coacher des sélections nationales… Finalement rappelé par la fédé en 1982 pour driver la sélection, le PC lui interdit encore en 1983 d’exercer les fonctions de sélectionneur, suite à l’élimination de l’Euro 84. Pas grave, il le sera à nouveau en 1986-90, en plus d’être coach du Dynamo ! Citant parfois Marx et Lénine comme sources d’inspiration de son organisation tactique, « Loba » n’en reste pas moins un pragmatique : « Il n’existe pas de conception socialiste pour marquer des buts. » Loba préférera plutôt développer une approche scientifique du football, avec des méthodes révolutionnaires. Dingue d’informatique, il commande un ordinateur dès les années 70. Dans l’URSS parano de la guerre froide, pareille initiative alerte aussitôt le KGB, mais grâce à ses potes de l’armée (Lobanovski a le grade de colonel), il obtiendra quand même la machine, très rudimentaire. Il crée alors ses programmes et suit par courbes graphiques l’évolution de ses joueurs, en plus des tests physiologiques et psychologiques destinés à maximiser leur potentiel… Match après match, une équipe de statisticiens collecte méticuleusement les données individuelles de chaque joueur dans les moindres détails : distances parcourues, parties du terrain couvertes, nombre de ballons perdus ! Lobanovski établit ainsi qu’une équipe qui ne commet qu’un ratio de 15 à 18 % d’erreurs ne peut pas perdre…

« Il n’existe pas de buteur, de milieu ou de défenseur »

Heureusement, « l’ingénieur » n’est pas qu’un savant fou adepte de football robotique. S’il conçoit des schémas de jeu hyper éprouvants sans cesse répétés à l’entraînement, il exige aussi technique et imagination pour atteindre son idéal : « L’improvisation est le niveau suprême de l’organisation » , dit-il. Car au-delà du système, « c’est aussi l’individualité du joueur qui fait la différence » . Inspiré lui aussi du football total, Lobanovski prône la polyvalence : « Je ne raisonne pas en termes de postes spécifiques, je n’apprécie pas ce genre de joueurs. Pour moi, il n’existe pas de buteur, de milieu ou de défenseur. Il n’y a que des footballeurs, qui doivent être capables de savoir tout faire sur un terrain. » À Gerland, la cohésion est télépathique. Les joueurs se trouvent les yeux fermés. Avant le match, déjà, l’échauffement particulier des Ukrainiens interpelle. Ils récitent l’un des exercices favoris du Maître : un 5 contre 5 sur une moitié de terrain, sans buts. Juste faire tourner la chique sans la perdre, à une touche de balle maxi et en se déplaçant rapidement sur toute la surface impartie, sous les yeux médusés des Madrilènes.

Car le vieux renard ukrainien use aussi de sa roublardise légendaire pour bluffer ses adversaires, comme en témoigne Pavel Yakovenko : « Nous étions en stage en Italie et Silvio Berlusconi était venu avec son équipe TV pour filmer notre entraînement. J’étais en convalescence après une blessure et je n’étais donc pas dans le groupe. Mais voilà Loba qui me demande de courir autour de la pelouse, sur une piste, à vitesse maxi. Je fonce comme un fou. Les Italiens filment. Une demi-heure plus tard, Berlusconi pose la question : « Alors, ce mec qui fait des tours à la vitesse d’un missile autour du terrain, c’est quoi ? » Réponse de Loba : « Oh! Ce n’est qu’un blessé » » . Et Valeri, lui, est mort le 13 mai 2002 des conséquences d’un accident vasculaire cérébral. Mais pour beaucoup, il court encore.

À lire : La suite du top 100 des entraîneurs

Par Chérif Ghemmour (extraits du So Foot numéro 57)

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