La vie est une p…elouse !!!
Il fut un temps lointain où les footballeurs se consacraient exclusivement à leur métier. Aujourd’hui, ils se doivent de publier leur autobiographie. Néanmoins, le consommateur lambda achète-t-il vraiment encore ce type de livres ?
L’anecdote est bien connue dans les cercles d’initiés. Salvador Dali envoyait parfois à son éditeur une toile vierge, seulement ornée de sa célèbre signature, dans l’idée de la vendre sans même avoir émaillé son œuvre de son coup de pinceau, en vieux roublard autoproclamé du non-art. D’une certaine façon, Rio Ferdinand, Steven Gerrard, Ashley Cole, Frank Lampard et Wayne Rooney, passés maîtres dans l’art de la sublimation du futile, ont ce quelque chose de Dali en eux. Tous ont récemment écrit une autobiographie. Qu’ils n’ont, bien évidemment, pas rédigée eux-mêmes. Leurs plumes sont ainsi restées sèches, si ce n’est pour parapher un faramineux contrat, équivalent à des mois de salaire. Ils ont ensuite confié à divers auteurs anonymes la corvée de composer leur chef-d’œuvre.
Le footballeur et le journaliste spécialisé. Une formidable association, le mariage parfait en quelque sorte. La star encaisse, 70 % en règle générale, souvent plus, l’obscur scribe s’efface et ramasse les miettes. Tant pis pour son misérable ego. Nonobstant, s’ils sont de véritables artisans des mots, les « nègres » ne sont pas de célébrissimes footballeurs. Personne ne viendra donc les débusquer et les rétribuer grassement pour qu’ils couchent leur vie sur papier glacé…
C’est pourquoi, sous la pression d’éditeurs qui capitalisent désespérément sur la cote des footballeurs (ces derniers faisant les choux gras des tabloïds à grand tirage tels que The Sun ou le Daily Mirror), les écrivains de l’ombre se mettent à l’œuvre, expurgeant les souvenirs de vies souvent insipides. Certains s’y adonnent avec plus de bonne volonté et de déontologie que d’autres, mais généralement, il n’y a aucune place pour un bon mot ou pour une réflexion singulière. Je connais d’ailleurs à ce sujet un journaliste qui a bouclé son affaire après seulement onze entretiens d’une heure avec la star. Un ouvrage bien torché. Comme prévu. Ils ont simplement besoin d’un peu de temps qualitatif, propice à la confidence, donc rencontrent principalement les héros des travées à l’heure où la lune prend son tour de garde, pour exaucer les vœux pécuniaires des publicateurs, suspendus à leur chiffre d’affaires. Cette cohabitation littéraire sied donc à tout le monde, y compris aux joueurs, chacun y trouvant délibérément son compte. Nécessité fait loi. La Ferrari attend au garage. Faut en foutre plein la vue ! Eviter les bagarres ! Harceler les agents ! Faire des courbettes à sa dulcinée ! Et les livres sterling pleuvront.
Pourtant, le lectorat ne trouve plus aujourd’hui ces histoires spécialement captivantes. Les bouquins sont effectivement indigestes. Aussi confidentielles que soient les ventes, excepté pour l’autobiographie de Gerrard, le business du livre s’attendrait cependant encore à rencontrer de francs succès cette année, « probablement des millions » même, selon les termes employés par un responsable de maison d’édition. Mais le temps du couple footballeur-nègre, qui dévoile tout et ne raconte rien, semble malgré tout révolu. Témoins les derniers chiffres des ventes de ce quintet magique, avec l’aimable permission de la maison ‘Bookseller’ : Gerrard 76,459 ; Rooney 36,973 ; Lampard 26,662 ; Ferdinand 7,651 ; Cole: 3,128.
Pour quelles raisons alors, des tomes vendus hors de prix (18£ en moyenne, soit 27 euros) à grand renfort de médiatisation, encombrent-ils encore les rayons des librairies ? Un zest de complaisance sans doute, associé à la force des habitudes. Les médias, qui pondent depuis des lustres une multitude d’histoires sensationnalistes sur les footballeurs, restent convaincus, malgré l’essoufflement croissant de la demande, que c’est ce que le public veut lire. De la merde. On peut le lire entre les lignes. C’est aussi ce que pensent les éditeurs, qui cherchent à amortir leurs dépenses en ‘serialisant’ leurs produits. Pour 50 pounds par jour, les histoires ont en outre un certain cachet. Et après tout, à l’ère du tout jetable, certaines histoires sont plutôt distrayantes. Mais de là à claquer vingt livres pour un bouquin. La démarche, véritable réflexe de Pavlov ou conditionnement pavlovien, fait appel à l’implication et à la loyauté de l’acheteur vis-à-vis de son club, de son protégé. Par exemple, les fans d’Arsenal ont largement boudé le livre d’Ashley Cole, parti chez les Blues de Chelsea à l’intersaison. Dans le même temps, Gerrard, qui jouit assurément d’une énorme cote d’amour dans les faubourgs de Liverpool, reçoit un soutien indéfectible du lectorat local. La raison : son insensibilité aux chants des plus belles sirènes européennes, telles que Chelsea ou le Real Madrid. Quand on est riche et célèbre, l’humilité paye, au propre comme au figuré. Mais revenons plutôt sur les flops, à savoir les pathétiques biographies ‘écrites par’ Rio Ferdinand, Lampard ou Rooney, qui sont d’ores et déjà vouées à l’échec, tant leurs vies sont communes et insipides. C’est que ces pigeons de clients ne sont pas attirés par la titraille proposée. De la mauvaise came. Trop ordinaire. Sans reflet ni relief. Il faut d’ailleurs admettre que toute velléité d’originalité se heurte inlassablement au sens étriqué de l’ironie de l’éditeur lambda, qui se gargarise de titres aussi imaginatifs que ‘Mon autobiographie’, préférant mettre en exergue la signature de son Dali. Toutefois, la trivialité de ce packaging destiné à la masse populaire ne peut être qu’une des raisons mineures du désintérêt croissant des acheteurs pour ce type de produits. Pour aller un plus loin, je dirais que les lecteurs ont été littéralement brutalisés pendant des décennies, assommés par des histoires inintéressantes au possible. Ils n’ont que trop entendu ce genre de souvenirs et y sont quelque part devenus complètement hermétiques. Non réactifs.
Il fut ainsi un temps, il y a bien longtemps, où les autobiographies consacrées au football se devaient de délivrer autre chose que de la barbe à papa littéraire. Mais aujourd’hui, c’est la foire aux clichés : le jeune héros aux chaussures élimées et aux genoux salis par la boue, accroc au foot, qui grandit dans un patelin paumé de la campagne anglaise. Une enfance pourrie. Il signe ensuite dans un grand club, délivre trois anecdotes de salon, lâche quelques pourliches avec ostentation, évoque sa nouvelle tire, etc. Vient en conclusion le sacro-saint chapitre sur le pourquoi du comment de sa réussite. Emballez le tout, jetez-le au pied du sapin de Noël pour le fiston, et vous serez tranquille jusqu’à fin janvier.
Le football n’est aujourd’hui plus si innocent. Notamment depuis que les professionnels empochent l’équivalent d’un salaire annuel en une semaine. Et les mômes de déjà tout connaître des bruits de couloir. Ils y participent même parfois en créant leurs blogs, véritables espaces privés de liberté. Ils lisent les journaux, sont familiarisés au vocabulaire des bandits (écoutes illégales, pots-de-vin), savent analyser l’information, ou ce que sont la cocaïne ou la Skunk. En définitive, ils sont autonomes, informés, et pas nés de la dernière pluie. Cette gigantesque mascarade à but lucratif soulève donc une interrogation. Pourquoi les joueurs acceptent-ils de se prêter à ce genre de projets ? Ils ne peuvent décemment pas avoir besoin de cet argent. Simplement « le privilège des hâbleurs ! » , dit ainsi un ami éditeur à ce sujet, avant de poursuivre : « Ils veulent vivre le même conte de fées que les autres, voire plus. Voilà pourquoi ils acceptent. Cela ne leur prend qui plus est que très peu de temps. » L’awardisé Patrick Barclay, docteur ès football pour le Sunday Telegraph, prétendrait même aujourd’hui que ses éditeurs sont prêts à faire relier 30 000 exemplaires de son livre consacré à José Mourinho. Sans évoquer la version livre de poche, qui devrait partir comme des petits pains.
Le premier livre consacré au football qui trouva grâce aux yeux du grand Nick Hornby s’intitulait ‘All Played Out’, de Pete Davies. Je ne suis pas sûr de partager son avis, mais cet ouvrage, dépeignant la vision d’un fan, immensément partisan, de la Coupe du monde 1994, récolta néanmoins de nombreux éloges à sa parution, en 1991. L’année suivante, Nick Hornby écrivait ‘Fever Pitch’. Aucun de ces deux-là n’était footballeur. Ce sont pourtant deux bons bouquins, écrits par deux excellents auteurs. Et il en existe une flopée ici bas.
En résumé, aussi longtemps que les éditeurs se cramponneront à cette doctrine selon laquelle le nom d’une célébrité fait automatiquement plus vendre que la qualité intrinsèque d’écriture, nous serons littéralement inondés par les futilités du football. Ce serait si rafraîchissant, extraordinaire, de voir un footballeur prendre le temps de s’asseoir devant son clavier d’ordinateur, face à lui-même, pour nous faire profiter de sa prose et du fruit de ses réflexions. Mais la plupart des footballeurs sont trop fainéants, ou trop enfermés dans leur routine. Les sportifs professionnels, qui vivent dans une bulle de cristal depuis leur adolescence – entraînement, match, alcool, coucheries, virées nocturnes déjantées, mise au ban, réhabilitation, entraînement, match, alcool, coucheries, etc. – ne peuvent probablement pas se soumettre aux exigences de l’écriture. Mais si seulement ils le pouvaient. Juste 80 000 mots sur eux. Néanmoins, à l’instar d’un Gerrard qui a récemment prêté son image pour une exhibition artistique organisée à Liverpool, les footballeurs ne sont pas tous cons comme des valises. Mais ne sont pas non plus tous des journalistes. Moi, je ne suis pas un critique d’art, mais j’apprécie les toiles de Dali. De la même manière qu’un éditeur à l’esprit pédant peut aimer le football. Mais moi, au moins, je sais que lui les a vraiment peints ces tableaux. Son nom est sur le canevas.
Par Kevin Mitchell – 15-10-2006 – The Observer
Traduit par Florian Sanchez
Les ouvrages précités :
Rio : My Story by Rio Ferdinand. Headline £18.99, pp374
My Defence by Ashley Cole. Headline £18.99, pp276 My Story So Far by Wayne Rooney. HarperSport £17.99, pp320
Totally Frank by Frank Lampard. HarperSport £18,99, pp480 Gerrard by Steven Gerrard. Bantam Press £18.99, pp320
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