La nuit tombe sur Zidane
Canal+ nous a offert une nuit avec Zidane. Rien que ça. Un documentaire inédit, une interview évanescente, ze film de Parreno et Gordon, ses meilleurs matchs... Un truc monté en sauce toute la semaine durant et qui promettait d'être le vrai feu d'artifice de ce 14 juillet. Question : c'était un bon coup, dis, ce Zidane-pour-la-nuit ?
À peine un an après sa dernière fulgurance publique en short et crampons (et quelle disparition pourrait-on ajouter), revoici donc Zinedine Zidane pour un de ces innombrables hommages dont les chaînes de télé semblent se repaître dès lors qu’on touche aux grands noms, donc au sacré.
« Passons la nuit ensemble », rien que ça, indique le programme. Neuf heures d’antenne consacrée peu ou prou à l’ex-Juventino. Platini, il y a tout juste vingt ans, avait eu également droit à ces mêmes élégies à rallonge. De son jubilé nancéien en juin 1988 (avec Maradona glapissant tel le lapin d’Alice au pays des merveilles avec un maillot floqué « No drugs » ) aux inévitables rétros sur la carrière du maestro. Comme si le pays en son entier se devait de faire des provisions avant d’entamer son pain noir, comme s’il fallait en passer par là pour faire le deuil d’une époque bénie.
Si souvent comparés sur le pré pour la similitude de leurs trajectoires (talent,
clubs, poste, numéro), les itinéraires de Platini et Zidane dans la vie d’aprèsseront certainement jaugés à la même aune. Comme son aîné en son temps, l’enfant de la Castellane a signé un contrat de consultant (surréaliste ?) avec la chaîne cryptée, agrémenté d’un avenant aussi redondant qu’énigmatique quant à savoir ce qu’il recouvre, « ambassadeur du groupe Canal Plus » .
Si in fine, l’actuel président de l’Uefa aura eu un destin presque linéaire voire logique, de sélectionneur à organisateur du Mondial en passant par cacique
international, celui de Zidane paraît plus abscons. Entendu qu’il ne seraprobablement jamais entraîneur ou directeur sportif, on peut légitimement
s’interroger sur son avenir professionnel.
Le So Foot n°42 (mars 2007, article Zidane as a Lady dies) nous le présentait sous un jour original (comme reconversion de footballeur s’entend) et fort plausible de super VRP de l’humanitaire, via les ramifications de la PME familiale drivée par ses deux frères Farid et Nordine, avec ses sponsors traditionnels (Danone, Adidas,…) et les assos qu’il défend d’habitude (ELA, etc.).
Canal Plus voulait sans doute également avec cette nuit monomaniaque un jour de fête nationale valoriser un de ses meilleurs actifs, pas exactement le plus extraverti. Ironie : l’interview exclusive décrochée par la chaîne pour
embellir la nuit zidanienne ne dura qu’un quart d’heure, de 23h45 à 0h00. « Cet événement s’inscrit dans le dialogue régulier qu’on a sur notre collaboration » euphémise par ailleurs Alexandre Bompard, le directeur des sports de la chaîne… Un dialogue de sourds-muets peut-être…
Découpée en quatre parties disparates, la soirée débuta par un documentaire Le Dernier Match. La dernière production d’Alix Delaporte et de Stéphane Meunier, l’auteur archi surestimé de « Les yeux dans les Bleus » retrace toute la carrière du Marseillais via le fil rouge de la dernière finale de la coupe du monde avec une kyrielle de témoins pour le moins étonnants.
À côté des inévitables potes (Duga, Maké, Liza, Ronaldo) et des coachs non moins convenus (Lippi, Domenech), on trouve des hurluberlus tels Nadal, Florentino Perez, Schumacher ou… Chirac !!! Meunier et Delaporte font plus que flirter avec la faute de goût.
À l’évidence, les meilleurs passages concernent les propres confessions de
Zidane, voire celles de Beckham ou de Del Piero, à la fois coéquipiersmais pas amis, si loin, si proche…
Présenté à Cannes en mai 2006, capté un an auparavant lors d’un Real-Villareal –un adversaire choisi parce qu’il ouvrait le jeu, Zidane, portrait du XXIe siècle, qui poursuivait la soirée, vaut surtout par sa fiche technique et l’arsenal guerrier dont il se prévaut et se gausse (17 caméras super 35 mm et haute déf’ épient et enregistrent les entrechats du danseur étoile).
Réalisé par deux épées du dispositif vidéo, Douglas Gordon et Philippe Parreno, fort en vogue dans l’art contemporain (content-pour-rien ?), le film déçoit autant par sa dramaturgie (mais ça…) que par la vacuité poseuse de ses auteurs (ces épouvantables sous-titres qui tentent de sonder les circonvolutions du stratège ). Parfois, il leur suffirait juste d’un peu de feeling et de ressenti, bref de mieux connaître cette chose fascinante et dérisoire dénommée football…
Finalement, il fallut veiller un peu pour s’enticher de la meilleure partie du
programme, soit sept matchs choisis par Zidane lui-même sur les centaines qu’il a jouées. Sept rencontres (comme un parcours de coupe du monde) diffusées en (grande) partie de minuit à six heures du matin (et qui contrairement au reste ne seront pas rediffusées).
Une avec Bordeaux (le quart retour de l’Uefa contre Milan AC (3/0) ; un avec la Juve (demi-finale de Ligue des champions contre l’Ajax, son meilleur match à notre sens) ; deux avec le Real (la finale contre Leverkusen en 2002 et un match de Liga contre la Corogne en 2001, peut-être son
autre meilleur match) ; enfin, trois matchs avec les Bleus (les deuxFrance-Brésil : la finale de 1998 (vraiment pas mais alors vraiment pas une de ses plus belles performances sous le paletot tricolore) et le quart de 2006
ainsi que le match à Wembley contre l’Angleterre en février 99).
On ne sait pas de quel métal sera fait l’avenir de Zidane mais on sait de quel
bois était fait son passé. Zidane était probablement meilleur footballeur quePlatini. L’homme de Joeuf était sans doute meilleur joueur, plus adapté au foot professionnel avec sa grinta, son autorité naturelle… Platini n’aurait jamais fait sienne cette déclaration de Zidane avant la finale de la ligue des
champions à Glasgow en 2002 : « Il fallait gagner ce match absolument. Je me sentais redevable d’apporter quelque chose de plus au Real même si on ne rembourse jamais un transfert pareil (Ndlr : 76 millions d’€) ». Platini aurait considéré qu’il valait ce prix-là…
Par Rico Rizzitelli
Zidane, portrait du XXIe siècle de Philippe Pareno et Douglas Gordon (2006) :lundi 23 juillet à 4h05 sur Canal Plus. Dimanche 15 à 22h00 et vendredi 20 à 0h10 sur Canal Plus Sport.
Le Dernier Match d’Alix Delaporte et Stéphane Meunier (documentaire 2007/75 minutes) le 15 juillet à 20h45 sur Canal Plus Sport.
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