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La bataille de Belgrade

Par Loïc Tregoures
La bataille de Belgrade

Mardi soir, un drone a réussi à arrêter un match à Belgrade, entre la Serbie et l'Albanie. Retour sur une première dans le football mondial, entre explications historiques, incompétences et abrutis. Avec un Bogdanov dedans.

Comme Edward Saïd avec L’Orientalisme, la sociologue bulgare Maria Todorova a écrit un livre merveilleux intitulé L’imaginaire des Balkans. Ou comment ce terme purement géographique – c’est une montagne – a progressivement été chargé d’un sens politique péjoratif et de clichés dans la bouche d’Occidentaux. Cela explique aussi comment les populations des Balkans elles-mêmes ont fini par se fondre dans ces clichés et retourner le stigmate pour jouer le barbare, le nationaliste, l’arriéré sanguinaire, le hooligan, etc. La dernière vague de matchs internationaux ne va malheureusement pas démentir ces clichés. Les Bulgares du CSKA Sofia ont attaqué les Croates lors de Bulgarie-Croatie, avec même quelques échanges de fumigènes avec les Serbes du Partizan Belgrade. Les Hongrois sont aussi venus foutre le tam en Roumanie. Enfin, en guise de bouquet final, ce Serbie-Albanie jusque-là plutôt tranquille s’arrête avant la mi-temps après l’irruption d’un drone. Un drone, bordel, quelle idée de génie ! Des parachutistes, des piratages de tableau d’affichage oui, mais jamais de drone, sauf peut-être pour surveiller un match de Ligue 2 à Créteil.

Un Bogdanov encore dans le lot

Maintenant, venons-en aux faits. Ce drone portait un drapeau que le défenseur Stefan Mitrović a fini par choper au vol, ce qui lui a valu d’avoir toute l’équipe albanaise sur le paletot. La bagarre générale peut démarrer, avec l’entrée sur la pelouse de plusieurs hooligans serbes – dont Ivan Bogdanov, la superstar du hool balkanique – venus cogner les Albanais. Le drapeau représentait la Grande Albanie, c’est-à-dire – pour faire simple – l’Albanie telle que les nationalistes albanais la souhaiteraient, avec toutes les terres peuplées d’Albanais : le Sud de la Serbie et le Kosovo, la moitié de la Macédoine, et une partie de la Grèce et du Monténégro, rien que ça. Soyons clairs, tous les projets de « Grande ceci » ou de « Grande cela » ne peuvent reposer que sur la guerre et le nettoyage ethnique, à l’image des Serbes et des Croates il y a 20 ans. Il n’y a donc pas de différence de nature entre cette provocation et les banderoles dégueulasses des Serbes sur le génocide de Srebrenica. Donc, aussi audacieuse qu’elle soit sur la forme, cette action reste abjecte sur le fond. Mais elle a provoqué exactement l’effet recherché : le merdier et probablement un match gagné sur tapis vert. Chapeau ! Seulement, on ne peut pas s’arrêter là. Si on en revient aux clichés, on voit poindre à l’horizon les comparaisons avec le – trop – fameux Dinamo-Étoile rouge de 1990 qui « a donné le coup d’envoi de la guerre » , ou encore l’épisode du drapeau qui a bousillé l’amitié entre Vlade Divac et Dražen Petrović. Dès mardi soir, le quidam disait que c’était évident, prévisible, que l’UEFA n’aurait jamais dû faire jouer ce match. Conneries ! D’abord, dire que cela était inéluctable revient à exonérer les auteurs de l’acte en question de toute responsabilité. Beaucoup trop facile. L’UEFA a sa part de responsabilité dans le merdier, mais certainement pas celle de ne pas se laisser dicter son calendrier par la géopolitique, en dehors de cas exceptionnels de conflits ouverts (Gibraltar est un cas très spécifique dont l’UEFA se serait bien passée). Sinon entre dix et quinze matchs ne pourraient plus se jouer.

Poutine à Belgrade, dans quelques jours

Mardi soir, il y a quatre niveaux de responsabilités et autant de responsables. Au premier niveau, celui ou ceux qui ont programmé, installé et manipulé le drone. Le ministre des Affaires étrangères serbe a nommément accusé le propre frère du Premier ministre albanais. Celui-ci dément, a été un temps retenu et interrogé, semble-t-il, mais a pu partir tranquille. Il est probable qu’on ne saura rien avant un moment. Inutile donc de spéculer sur les auteurs. Les spécialistes des drones diront si l’engin pouvait être télécommandé à distance ou s’il fallait être dans le stade pour le faire. Une chose est sûre : sans cet événement, le match serait allé au bout malgré les chants, provocations et quelques fumigènes lancés par les tribunes serbes. Au second niveau, on retrouve les services de sécurité serbes. Certes, la scène d’envahissement du terrain a été limitée en individus et dans le temps, mais elle est déjà inadmissible. Ironiquement, la Serbie offrira jeudi à son hôte de marque et grand ami Vladimir Poutine une grande parade militaire pour les 70 ans de la libération de Belgrade. Il y a donc des chars et des soldats partout dans Belgrade qui bloquent tout, mais un drone à la con et quelques gros bras suffisent à déjouer un dispositif de sécurité prévu pour les matchs à haut risque. Ennuyeux et gênant pour le tout puissant Premier ministre Vučić, qui va probablement trouver dans le derby de Belgrade de samedi une occasion parfaite de se venger. Au troisième niveau de responsabilité, on trouve les fédérations serbe et albanaise. Ces dix derniers jours, on n’y comprenait plus rien : les Serbes exigeaient l’identité des Albanais achetant des tickets pour le match, ce que les Albanais ont refusé. Une partie de ping-pong absurde de propositions et contre-propositions s’est terminée deux jours seulement avant le match par l’interdiction de stade pour les supporters visiteurs, avec l’accord de l’UEFA. Déjà politiquement chargé, on voudrait créer un climat pourri autour d’un match qu’on ne s’y prendrait pas mieux.

L’Arlésienne de la gestion des visiteurs

Cette cacophonie a pu avoir lieu parce qu’au-dessus, on n’a pas fait ce qu’il fallait. Serbie-Albanie quoi ! Pas besoin d’être bien malin, ni de connaître dans le détail l’histoire du Kosovo pour comprendre que ce match est différent d’un Portugal-Norvège. Le contentieux entre la Serbie et les Albanais du Kosovo – et non pas l’Albanie elle-même – est certes diplomatiquement en voie de résolution progressive. La possibilité pour le Kosovo de jouer des matchs amicaux en est un signe. Mais au sein des peuples, on ne défait pas des années de propagande et de conflit comme ça et l’animosité est toujours globalement forte et réciproque. D’où la question : comment se fait-il que, dès le tirage au sort, et devant l’impossibilité pour les fédérations de se mettre d’accord sur les conditions de sécurité, l’UEFA n’ait pas tout simplement décidé que les déplacements de supporters adverses soient interdits pour ces matchs ? On aurait réglé le problème dès le tirage au sort et évité toute cette montée en tension qui a précédé le match. Impossible ? Lors des précédentes qualifications, Serbie et Croatie étaient dans le même groupe. Dès le tirage au sort, les deux fédérations et l’UEFA ont pris de concert la décision d’interdire les supporters visiteurs. Lors des deux matchs, la coopération entre les ministères de l’Intérieur et les fédérations a été excellente, et tout s’est très bien passé, au grand dam, peut-être, de ceux qui veulent voir du sang et des kalashs partout derrière le mot Balkans.

Tapis vert comme sanction ?

L’UEFA dira qu’elle n’est responsable ni du drone ni de l’envahissement de terrain. C’est juste, mais c’est incomplet car elle n’a pas tout fait pour que ce match se déroule du mieux possible. La commission de discipline ne s’occupera pas du dossier, le comité exécutif de l’UEFA, lui-même, réuni en urgence, si. Comme quand on n’est plus convoqué par le prof principal, mais par le proviseur, direct. En général, ça pue. Et il faut dire que le dossier serbe commence à dégager des effluves de plus en plus insoutenables. Pour la deuxième fois en quatre ans, après Italie-Serbie, un match où la responsabilité de la Serbie est engagée – ses hooligans et/ou sa sécurité – ne va pas à son terme, sans parler du match Espoirs contre l’Angleterre, terminé en bagarre générale sur fond de racisme. Si l’on ajoute à cela la banderole antisémite des Grobari contre Tottenham et les quelques gentillesses déclamées mardi soir, on va pas se mentir, les Serbes vont prendre cher. Cher c’est quoi ? Match perdu sur tapis vert, très probablement. Un huis clos au mieux, le reste de la compétition à domicile à huis clos peut-être, voire l’exclusion pure et simple pendant que les Albanais risquent une amende. Il faut se rappeler Dejan Stanković à Gênes il y a quatre ans, suppliant, les larmes aux yeux, Bogdanov et ses potes d’arrêter leurs conneries et de les laisser jouer, en vain. Au fond, mardi comme il y a vingt ans, seuls les cons ont gagné. Et le foot a perdu.

Par Loïc Tregoures

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