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Julien Pontes : « Il faut expliquer aux gens ce qu’est l’homophobie »

Propos recueillis par Clément Gavard
Julien Pontes : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il faut expliquer aux gens ce qu’est l&rsquo;homophobie<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Dans le contexte de la lutte contre l'homophobie dans les stades en France, Julien Pontes avait des choses à dire. Le porte-parole du collectif Rouge Direct, qui n'a pas été convié à la réunion entre les différentes parties à la Ligue mercredi, regrette le manque de prévention et l'immobilisme des instances dirigeantes du football français depuis plusieurs années. L'ancien président du Paris Foot Gay donne sa vision des choses, pousse des coups de gueule et s'inquiète pour l'avenir. Entretien franc du collier.

Comment vivez-vous le contexte actuel du grand débat sur l’homophobie dans les stades de foot ? On le trouve très tendu et confus. De notre côté, cela fait quand même quinze ans qu’on est dans la lutte contre l’homophobie, et on constate cette grande confusion depuis le début de saison. On peut même parler d’une crise qui s’est amplifiée à propos du traitement de l’homophobie dans les stades par la LFP. En gros, la Ligue a décidé d’arrêter les matchs en cas d’actes homophobes en conformité avec les règlements de l’UEFA et la FIFA, en conformité aussi avec les orientations données par le président le 7 juillet, ainsi que par la ministre des Sports depuis le mois de mars. Simplement, on voit bien que ça se passe très mal, car le travail de prévention, de sensibilisation et d’information n’a pas été fait auprès de supporters. Résultat : cela fait trois semaines que nous sommes dans une situation un peu inextricable.

Avez-vous été surpris par la première interruption de match fin juillet, puis par celles qui ont suivi depuis ? Oui, bien sûr.

Il faut expliquer ce qu’est l’homophobie aux gens. Là, ils ont tiré sans sommation.

Et on s’est dit que c’était bien, que cela correspondait à l’avis de la ministre, du président de la FIFA, qui a également adapté son règlement sur l’homophobie dans les stades cet été. Le problème, c’est qu’il y a un tel niveau d’impréparation que cela ne peut pas fonctionner. Il aurait fallu mettre en place des actions de prévention auprès des clubs et des supporters depuis des années. Il faut expliquer ce qu’est l’homophobie aux gens. Là, ils ont tiré sans sommation.

Comment expliquez-vous ce basculement soudain ? Il y a encore quelques mois, c’était presque la normalité d’entendre ces chants dans les stades. Et personne ne réagissait vraiment.Il faudrait le demander à la LFP. Pourquoi est-ce que Nathalie Boy de la Tour est passée du folklore en mars à la bombe atomique des arrêts de matchs en août ?

Le collectif Rouge Direct a-t-il été convié à la réunion organisée à la Ligue en début de semaine ? (Il coupe.) Non, nous n’étions pas invités.

Et savez-vous pourquoi ? Ça, il faut le demander à Mme Boy de la Tour, que voulez-vous que je vous dise ? On n’en sait rien, je ne sais pas, c’est regrettable.

Mais avez-vous déjà eu des échanges avec Nathalie Boy de la Tour ?

Nathalie Boy de la Tour n’a jamais semblé convaincue de l’urgence de lutter contre l’homophobie.

Nous avons pu nous croiser de manière informelle au Parc des Princes, on avait pu échanger rapidement. Mais elle n’a jamais semblé convaincue de l’urgence de lutter contre l’homophobie. Pour en revenir à cette réunion, je pense surtout que nous n’avons pas été conviés parce qu’on n’est peut-être pas les plus faciles, les plus commodes de la bande.

Vous laissez entendre que vous auriez donc été plus virulents que les autres. Bien sûr qu’on aurait été plus durs si on avait été présents. L’issue de la réunion confirme d’ailleurs qu’on n’avait peut-être pas notre place dans une réunion qui aboutit à un recul considérable.

En quoi est-ce un recul considérable ? Vous avez vu la conférence de presse de Mme Boy de la Tour ? Je me réfère tout simplement aux mots prononcés à l’issue de cette réunion et c’est très inquiétant.

Je pense que les représentants des supporters doivent fêter leur victoire. Ils ont gagné énormément de terrain.

On était à un tournant historique dans la lutte contre l’homophobie dans le foot… Quand on entend la présidente de la LFP dire qu’on procède à un « reset-all » (un retour à zéro, N.D.L.R.)… Quelle est la cohérence ? Je pense que les représentants des supporters doivent fêter leur victoire. Ils ont gagné énormément de terrain. Comment considérer cela autrement que comme un recul considérable ? L’accent est mis sur la prévention, c’est une bonne chose, nous sommes pour, mais peut-être que la LFP et ses partenaires LGBT auraient pu y penser avant.

Il y a aussi eu les propos de Noël Le Graët sur France Info en début de semaine. Qu’en pensez-vous ? Peut-on parler d’une maladresse de sa part ? (Il coupe.) Il n’y a aucune maladresse dans ses propos, c’est juste le révélateur d’une absence de prise en considération de l’homophobie dans le foot, qui est pourtant un fléau. Au-delà de notre indignation de militants, l’indignation a été générale dans la société, car faire un tel deux poids, deux mesures entre l’homophobie et le racisme, c’est indigne. Depuis plusieurs mois, Le Graët fait un doigt d’honneur à la ministre, puis elle s’occupe de le recadrer. On se demande quand est-ce que ce cirque va s’arrêter et quand va-t-on mettre en place un plan d’action pour lutter contre l’homophobie dans le foot sans les confusions et les imprécisions envers les supporters. Les supporters et les arbitres sont en première ligne, ils ont besoin de clarification.

Mais du coup, comprenez-vous la réaction des ultras depuis plus d’un mois ? On comprend l’incompréhension et la brutalité de ce basculement. Comme je l’ai dit, il aurait fallu des actions de prévention depuis des années.

Qu’avez-vous pensé des dernières banderoles provocatrices déployées dans les stades de Ligue 1 pour répondre aux interruptions de matchs ? Il ne faut pas perdre de vue que c’est une minorité de supporters. Il ne s’agit pas de stigmatiser. Quand on discute avec les ultras, ils expliquent qu’ils sont contre toutes les discriminations, y compris l’homophobie, mais quand on voit ces banderoles, ces jeux de mots douteux, sournois, puérils sur le thème de l’homophobie… Franchement, on ne joue pas avec ce sujet comme ils le font.

Depuis plusieurs semaines, les ultras sont au cœur du débat. Mais avez-vous des exemples concrets d’homophobie en dehors de ces chants injurieux ? Par exemple, un homosexuel rejeté par un groupe ultra pour son orientation.

Lors d’OM-Sainté, on a entendu : « Il faut les tuer ces PD de Stéphanois. » Vous mesurez un peu la violence de ces propos ?

Nous, ce qu’on constate, ce sont des chants homophobes, comme on a pu signaler ceux du RC Lens qui a récemment pris 50 000 euros d’amende. Dernièrement, lors d’OM-Sainté, on a entendu : « Il faut les tuer ces PD de Stéphanois. » Vous mesurez un peu la violence de ces propos ? Est-ce que vous pensez qu’un gay pourrait se sentir à l’aise pour intégrer un groupe de supporters quand ce genre de propos deviennent banals.

Donc, vous n’avez pas d’exemple d’un supporter homosexuel refoulé par un groupe ultra. Nous sommes en contact avec beaucoup de gens qui témoignent, beaucoup d’hétéros aussi d’ailleurs, ils nous ont toujours accompagnés dans notre combat. Nous sommes aussi en contact avec des gays qui ont renoncé à aller dans les stades parce qu’ils ne supportaient plus d’entendre ces injures.

Personnellement, allez-vous souvent au stade ? Oui, j’aime bien aller au stade. Je vais souvent au Parc, je suis supporter parisien, mais aussi à Bordeaux, car j’ai de la famille là-bas.

Et êtes-vous toujours attentif aux chants qui descendent des tribunes ? Ça vous touche encore aujourd’hui ?

On ne s’habitue jamais à ces choses-là. Ça me bouleverse encore d’entendre des chants, des injures. Je le vis très, très mal.

D’abord, je profite du spectacle, parce que j’aime le foot, j’aime l’équipe que j’encourage, j’aime applaudir les belles actions. Je ne suis pas pour l’injure. C’est vrai qu’on est toujours un peu attentifs à ce qui se dit. On ne s’habitue jamais à ces choses-là. Ça me bouleverse encore d’entendre des chants… des injures. (Il est ému.) Je le vis très, très mal. Comme un spectateur noir qui entend des cris de singe, je suppose.

On parle beaucoup des tribunes, mais l’homophobie est un problème dans le foot en général. N’avez-vous pas peur qu’on se détourne du vrai combat en se limitant aux supporters ? Quand on voit les déclarations de Le Graët, on peut être très inquiets de ce qui se passe sur les terrains de foot partout en France, c’est sûr. En 2013, il y a eu la publication d’un rapport du ministère des Sports piloté par Patrick Karam, vice-président de la région Île-de-France. Un rapport très documenté, où le tableau dressé était très alarmant, c’est une mine de renseignements. Je me souviens d’une citation de Marc Batta dans celui-ci : « Les terrains de foot en France sont devenus des défouloirs d’injures homophobes et racistes. » Ce n’est pas rien quand le directeur de l’arbitrage français dit ça. C’était en 2013, aujourd’hui, on peut dire qu’on a perdu six ans et c’est très long dans la lutte contre l’homophobie. En 2019, on voit à quel point le mal est profond, mais il aurait peut-être fallu s’en préoccuper avant.

Et il n’y avait pas eu de suite après ce rapport ? Il n’y a eu absolument rien de mis en place, notamment en direction des supporters. On a préféré fermer le couvercle sur la cocotte minute. Six ans après, cela explose, ce n’est pas une surprise.

Pensez-vous qu’il est trop tard aujourd’hui ? Ce qu’il se passe, c’est logique. Maintenant, il n’est jamais trop tard, on ne peut pas baisser les bras, mais on revient à nos inquiétudes après cette réunion du début de semaine, on n’arrête pas de reculer.

Vous avez l’air de douter qu’un plan concret de lutte contre l’homophobie soit mis en place. (Il réfléchit.) On peut douter, tant qu’on n’a pas de réponses. Il suffit d’avoir une réponse.

Vous n’avez pas de contacts avec les autres associations ? On a l’impression qu’il y a une scission entre votre collectif et d’autres associations LGBT.

En gros, ça dépend maintenant du bon vouloir des supporters. On abandonne donc la fermeté sur ces questions importantes.

C’est une histoire de plan d’action et de déclarations. Quand je lis ce qu’a dit Yoann Lemaire (le président de Foot Ensemble, N.D.L.R.) dans les médias après cette réunion… Il explique qu’ils ont proposé aux groupes de supporters d’aller les voir pour discuter, en ajoutant : « On verra bien s’ils acceptent. » En gros, ça dépend de leur bon vouloir. On abandonne donc la fermeté sur ces questions importantes. Ils peuvent sabrer le champagne.

Ce n’est pas un peu dommage de ne pas voir tout le monde travailler ensemble pour lutter contre l’homophobie ? Mais ce n’est pas vrai, nous sommes en lien avec SOS Homophobie par exemple. Ils ont une vraie expertise, on n’a aucun problème avec eux. Mais avec Foot Ensemble, ce n’est pas le cas.

Qu’est-ce que Rouge Direct préconise dans ce climat ?

En 2087, peut-être qu’on commencera à sanctionner ? Et l’injure homophobe sera toujours impunie ?

On se pose plein de questions. Quel plan d’action ? Quel temps se donne-t-on ? Quels programmes précis pour des actions de sensibilisation ? Quels indicateurs ont été choisis pour faire un bilan d’activité ? Nous voulons du concret. En 2087, peut-être qu’on commencera à sanctionner ? Et l’injure homophobe sera toujours impunie ? Pensez-vous la même chose sur les cris de singe et les jets de bananes ? À votre avis, il faut sensibiliser sur le racisme avant de convaincre un supporter que ce qu’il fait est raciste ?

Vous voulez donc des sanctions concrètes. J’ai été très précis, j’ai dit qu’il fallait un plan de prévention avec des échéances. Ça, on aurait pu le proposer à la réunion à la Ligue. Bien sûr, il faut de la prévention, mais il faut aussi un calendrier, il faut des objectifs en matière de temps et de moyens. Est-ce qu’on fait un moratoire sur les sanctions ? Cette question est floue.

Comment voyez-vous l’avenir de la lutte contre l’homophobie dans le foot ? Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, je suis déterminé. On verra déjà ce qui va se passer ce week-end dans les stades. Que vont-faire les ultras ? Mais si on n’arrête plus les matchs en cas d’actes homophobes, on aura fait un pas en arrière. Ce qui ne change rien pour nous, on continuera à engager des actions en justice avec notre avocat et nos associations partenaires. Mais cela serait vraiment dommage.

Dans cet article :
João Neves, le prince de la ville
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Propos recueillis par Clément Gavard

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