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Jacques Crevoisier : Entretien

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Jacques Crevoisier : Entretien

Docteur en psychologie, ancien adjoint de Gérard Houiller à Liverpool, Jacques Crevoisier a fait passer des tests psychologiques aux jeunes de Tottenham, Arsenal, ou de Lens. Actuellement consultant à Sochaux, un club en difficulté depuis le début de la saison, il insiste davantage sur les limites de l'application de la discipline en milieu footballistique que sur son apport.

En quoi un psychologue peut-il aider un joueur à développer son potentiel ? Dans la concentration, l’application, on peut donner des clés à un joueur pour qu’il s’améliore. Après, il y a plusieurs types de joueurs. Le grand joueur, il est bon partout, il n’a besoin de rien. Il a la rage, il a une bonne image de lui, et c’est un leader dès le plus jeune âge. Arsène Wenger m’a dit : « Te casse pas la tête avec tes tests, de toute façon à 20 ans, tout est plié » . Le mec qui n’a pas les caractéristiques psychologiques pour être un footballeur de haut niveau, il ne les aura jamais. On ne peut pas leur demander quelque chose qui n’est pas dans leurs capacités.

Les entraîneurs sont-ils suffisamment formés dans le domaine mental ? La formation n’est pas assez poussée. J’ai travaillé à la Fédération. Si on a intégré des syllabus de psychologie, c’est qu’on estimait qu’il était important que l’entraîneur ait des compétences psychologiques, et que c’était mieux si eux les avaient plutôt que de faire appel à des compétences extérieures. Mais les volumes horaires ne sont pas extensibles à l’infini. De plus pour donner des choses à un entraîneur, il faut avoir connu une immersion dans son métier, ses difficultés, que des types qui ont un savoir théorique qu’on leur a inculqué à l’université ne sont pas foutus de comprendre. Ça fait 35 ans que je suis dans le milieu du sport, et je garde une humilité totale, quand on voit les problèmes de confiance actuellement à Sochaux, si j’avais la solution miracle …

Les clubs n’ont donc pas d’intérêt à engager dans le staff technique des psychologues ou préparateurs mentaux ? Pour ma thèse intitulée « L’entraîneur de football professionnel et les facteurs psychologiques de la réussite sportive » , j’ai interviewé Albert Batteux et j’ai été totalement subjugué. C’était le plus grand des psychologues. Il pouvait parler deux heures sans lasser son auditoire. Il a tout compris des hommes et de la psychologie. C’est un entraîneur qui a marqué sa génération. 20 ans plus tard, pour un autre bouquin que j’ai écrit avec Gérard Houiller, même cas de figure avec Courbis. Ce mec a tout compris. La manière intuitive qu’il a de gérer les personnes met en évidence des compétences de communicateur et de meneur d’hommes hors-pair. Par sa définition de l’autorité, sa manière d’éviter les crises, les conflits avec les joueurs, il m’a passionné.

Pour entraîner, il faut des compétences communicationnelles et de gestion des joueurs. Les entraîneurs sont presque tous très bons sur le côté football, mais quand la psychologie pêche, c’est de là que le mal vient. La vertu des grands, comme Capello ou Ferguson, vient d’une sorte de maîtrise absolue par l’intermédiaire de processus complètement différents. Et si on leur parle de préparateur mental, ils vont se taper sur le ventre.

En Angleterre, et en particulier à Arsenal, vous réalisez pourtant des tests psychologiques… Un test psychologique c’est une photographie momentanée. Il donne une indication, mais il n’a de sens que si son résultat est validé par des entraîneurs, qui sont les mieux placés pour savoir comment se comporte le joueur. Si son observation corrobore les indications du texte, à ce moment-là on a une donnée fiable. Mais si vous croyez que parce que vous avez souligné que le joueur manque d’agressivité, il va en avoir six mois après, là cela s’appelle de la pensée mythique. Arsène m’a dit qu’il faisait des cycles agressivité, je lui ai répondu que cela ne servait à rien. Les meilleurs joueurs français, quand ils n’étaient pas agressifs à 12 ans, ils ne l’étaient pas à 17. L’agressivité est une donnée liée à la génétique, à notre environnement, qui va générer des formes d’adaptation à un milieu. Celui qui n’est pas agressif sera toujours un dominé.

Après, la culture locale peut générer de manière spontanée des aptitudes de compétiteur. C’est le cas en Angleterre. Quand vous arrivez dans un milieu qui a des normes très fortes, vous êtes, plus ou moins à votre insu, obligé de vous approprier les valeurs de ce milieu. Ce qui fait que vous pouviez être en France un trou du cul qui ne fait rien à l’entraînement, et devenir un modèle d’abnégation en Angleterre. On a des éléments de culture, d’environnement qui vont générer des profils indispensables. La pression, le contexte vont faire que des joueurs vont être sublimés par rapport à une exigence réelle, alors qu’en France ils vont être endormis par une exigence supposée, mais qui culturellement n’a pas le même impact.

Vous avez travaillé avec Aimé Jacquet lors de la préparation à la Coupe du Monde 1998… Oui, mais je n’ai jamais vu un joueur de l’équipe de France en 1998. J’ai travaillé six mois pour définir les profils psychologiques des jeunes de l’époque, et je lui ai donné des éléments soit théoriques, soit pratiques, par exemple sur la manière dont Carlos Alberto Parreira avait géré son groupe sur le plan psychologique en 1994, sur la relation aux médias, la protection du groupe. Il m’a dit merci, je lui ai dit bonne chance, et on s’est revus le 13 juillet. Je n’ai rien déterminé, je lui ai simplement donné des éléments pour améliorer l’approche de l’évènement.

Si je vous suis bien, les clubs ne ratent rien en se privant de psychologues… Non. On en a besoin. Par exemple dans les centres de formation. Quand j’étais à la Fédération, je me rappelle que Dominique Bijotat, alors responsable du centre de pré-formation de Châteauroux, connaissait des difficultés avec des gamins. Je lui ai dit de prendre un psychologue, qui va aider, soutenir, donner des objectifs en matière psychologique aux joueurs, ce qui va soulager l’entraîneur dont ce n’est pas la compétence fondamentale. Plus généralement, je crois à un mec qui interviendrait ponctuellement, salarié par le club, pour faire un suivi psychologique, quand les joueurs sont demandeurs et que l’entraîneur a une confiance totale envers le psychologue. Mais dans ce domaine on en est encore à des balbutiements, et il n’est pas sûr que ce soit aussi nécessaire que cela. Il faut comprendre qu’un changement de personne, une victoire, peut changer le comportement plus qu’un discours. Mais si vous me dîtes qu’il faut intégrer la dimension psychologique dans l’entraînement, ça fait 25 ans que j’essaie de faire passer le message. Avec un succès relatif. A la DTN j’ai proposé des exercices à dominante psychologique, et je n’ai pas eu un succès phénoménal, ce n’est pas encore rentré dans les mœurs.

Que pensez-vous du recours de plus en plus fréquent des joueurs à des préparateurs mentaux ? Les universités bien-pensantes ont cru bon de créer des DESS de psychologie du sport pour se donner du crédit. Dans ces filières, un grand nombre de jeunes engagés se sont trouvés en difficulté faute de débouchés. Au départ ce ne sont pas forcément des bandits, mais ils essaient de se placer dans ce métier-là. Moi j’ai la chance de vivre d’autre chose, sinon j’aurais très mal vécu. Il y a des gens extrêmement dangereux dans ces milieux-là, des margoulins. Certains font trois semaines de PNL, ou un an grand maximum, et s’intitulent préparateurs mentaux, c’est de l’escroquerie. Ces mecs alignent les banalités, les conneries. Les joueurs qui font appel à ce type de personnes sont généralement des joueurs fragiles ou fragilisés, et ce n’est pas pour autant qu’ils réussissent leur carrière, et je me demande à un moment donné si ce n’est pas l’inverse. Il faut dire aux joueurs de ne pas s’entourer ainsi.

Propos recueillis par Thomas Goubin

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