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Iran : Le footballeur, sa femme et sa maîtresse

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Une jeune femme dans un tchador noir avec du rouge à lèvres foncé qui répond en gesticulant comme si elle négociait au souk avec quelque marchand du temple. Les officiels, les juges, les témoins, les avocats, les photographes qui se pressent dans une cour d’assise trop exigüe. Trop petite pour un procès bigger than life. L’ambiance paraît comme irréelle en cet automne 2004 pour juger Shahla, la maîtresse d’un des footballeurs les plus fameux que l’Iran ait porté, Nasser Mohammad-Khani, accusée d’avoir assassinée la femme de ce dernier, le 8 octobre 2002. L’affaire embrase toute l’Iran des mollahs. Tous les ingrédients sont au rendez-vous : il y a la star déchue, la maîtresse espiègle et effrontée, la femme légitime flouée, un « mariage temporaire » (on y reviendra), de l’opium (Khani y est accroché), de la jalousie et des people. Pendant que les sobres commentateurs de la TV d’Etat se prononcent sur la tragédie avec un brio pontifiant, les tabloïds se déchaînent.

Deux ans plus tard, alors que Khadijeh Jahed (l’état civil de Shahla) doit être exécutée, Amnesty International protestera jusqu’à la Cour suprême pour que le jugement soit cassé
Le procès de 2004 avait captivé tout le pays grâce à un cocktail de confessions pleines de larmes, d’aveux et de dénis, de retournements de situation, de trahison et d’amour ambivalents. Au centre de ce drame Shakespearien se tient Shahla, femme voilée qui porte le tragique sur sa face mais qui n’a peur de rien. Habitée par son amour pour la star du foot iranien, elle harangue la foule, flirte ou tance le juge et fascine la galerie. À mi-chemin entre le Jerry Springer Show and et un opéra de Bizet, Téhéran tient son affaire O.J Simpson…

Durant le procès Nasser Mohammed Khani offre un singulier spectacle. Parfois, il se tient la tête dans les mains, à d’autres moments, il écoute impassible. Il a choisi son rôle : un homme faible qui ne résiste pas à l’appel de la chair (sa maitresse est plus jeune de dix ans) et à celui des effluves de l’opium mais qui sait redevenir un mari dévot et aimant à l’heure de la mort de sa femme. Il accompagne sa belle-mère à l’instant de grimper sur l’estrade pour exprimer, au début de l’audience, leur requête. Sans surprise, la mère de Laleh Saharkhizan affirme que sa fille « était innocente, je veux une peine juste : œil pour œil, dent pour dent. » La loi du talion, c’est le tarif syndical de la loi de la charia, la loi islamique en vigueur. Epargné par l’enquête, Khani peut également exiger une sentence. Le juge l’oblige à prononcer le nom de l’accusée, qu’il se refusait à citer, avant d’ajouter qu’il veut « une peine très dure pour celle qui a tué ma femme : la sanction suprême. » A quelques mètres, Shahla ricane et applaudit, sarcastique.

« Si vous voulez me tuer, allez-y » n’hésitait-elle pas à défier le juge qui mène des débats parfois surréalistes. Shahla est accusée d’assassinat, d’avoir dérobé des biens et de s’être procuré de l’opium. Elle explique qu’on lui a arraché des aveux dans un commissariat « où même les coqs pondraient des œufs. » Elle sera en outre « jugée à huis clos pour les charges de nature obscène (sic) » . Lire : l’adultère et la fornication tout azimut avec Nasser Khani. Le mari adultérin dormira lui bien au chaud. Au début de l’audience, Shalha explique le plus sérieusement du monde aux juges qu’elle a connu Nasser Khani « le 17 octobre 1997, on avait un ami en commun. J’aimais le football et c’était une légende, un très grand buteur ( « Mister Goal » ) en plus. Il n’était pas très beau mais sa séduction avait quelque chose d’irrésistible tout comme ses bonnes manières. Au bout d’un moment, on est devenu amants. » Ainsi naît la première footballer ‘s WAG à l’iranienne.

Shalha l’inonde de coups de fil, une quinzaine par jour. Ce que prouveront les innombrables écoutes téléphoniques d’un imposant dossier d’instruction qui retrace toute leur histoire d’amour, entre 1998 et 2002. Durant plusieurs mois, Khani fut suspecté de complicité. Il ne sera poursuivi que pour usage d’opium que Shalha achetait pour lui dans de gros sacs de riz, écrit-t-elle dans son journal intime. Il est fouetté en place publique pour ça.

Dans les années 80, Khani brille avec l’équipe nationale. Dans le film, on l’aperçoit même dans un décor incroyable d’un stade archi bondé pendant la guerre Iran-Irak au Khouzistan où la soldatesque défend l’enceinte, les spectateurs et les joueurs dans une atmosphère de fin du monde. « Le royaume du football en Iran c’est la république du Khouzistan. Nos meilleurs en sont issus, elle doit rester en Iran » conclut même un militaire. A la fin de la guerre et de sa carrière, Mohammad-Khani devient le coach de Persepolis mais la passion n’est plus la même. Il semble s’enfoncer dans une douce déprime.

Lors du procès, il semble content de jouer le rôle de la célébrité gâtée, attirant l’attention, se vantant d’achats démonstratifs (il distribue les dollars à sa femme et à sa maitresse comme des bonbons) et se débarrasse de la responsabilité du désastre qui a suivi. Veule. Il semble amer que le public ne l’aime plus guère. « J’ai souvent été désigné joueur le plus fair play de l’année, je ne recevais jamais de carton jaune ou de carte rouge » , pérore-t-il à la face d’ Mahnaz Afzali dans une interview pour le film. « Soyez à ma place, devenez Nasser Mohammed Khani et jugez-moi ensuite. » Même sa passion posthume pour sa femme sonne faux : « Vous ne pouvez pas comparer ma femme à Shahla. Elle m’a aimé avec tout son coeur, mais l’amour de Shahla était juste la soif. Rien que du sexe. » Il rajoutera plus tard qu’ils avaient « une compréhension télépathique » , mais un film super-8 de la défunte se plaint du peu de temps qu’il lui accorde.

A côté, la passion de Shalha, pour dingo qu’elle soit (elle se pointe, par exemple, chez sa rivale pendant une absence « pour sentir les vêtements de l’homme [qu’elle] aime » ) paraît bien plus saine que la lente de dérive de l’ex-footballeur. Après avoir été condamnée à la pendaison fin 2004, Shalha doit à un autre juge qui a fait appel à la Court suprême, de ne pas avoir été encore exécutée. Elle est retournée en prison où elle séjourne depuis novembre 2003. De son côté, Nasser Mohammad-Khani n’est plus le coach du Persepolis de Téhéran ; il vit retiré et vient de vendre l’appartement qu’il partageait avec sa femme, celui du drame.

Rico Rizzitelli

Le footballeur, sa femme et sa maîtresse (The Red Card), de Mahnaz Afzali,
documentaire (57’/2007) : Diffusion sur Arte le 11 février dans le cadre de la journée consacrée à l’Iran, trente ans après la révolution islamique. Rediffusion le 2 mars à 5h00. Multiples rediffusions à venir.
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Un derby, deux grands corps malades

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