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Getafe, la cerise sur le ghetto de Torres

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Getafe, la cerise sur le ghetto de Torres

La saison dernière, le Bayern Munich déboule dans la banlieue de Madrid après le match nul concédé à l'Arena, contre Getafe. Les Allemands sont sûrs de leur coup, et Beckenbauer pronostique même un 5-0 pour les siens à la mi-temps. A la fin du plus beau match de la saison (3-3 a.p), les comédiens du FC Hollywood se qualifient pour les demies de l'UEFA dans la douleur, et face à d'incroyables 'Azulones'. Le match aura servi de cure de modestie au Kaiser : «{Après Getafe, tout est possible, dans la vie comme dans le foot}». Sans le savoir, la légende du foot allemand a résumé la vie de la vraie star de l'équipe madrilène : son président Angel Torres.

Depuis le début du mercato, Getafe a fait signer ou prolonger cinq joueurs : Adrián González, Rafa López, Polanski, Ibrahim Kas et Guerrón. Des quasi-inconnus qui devraient toutefois rapidement intéresser les meilleurs clubs européens.

Comme d’habitude depuis son accession à l’élite, Getafe mise sur des joueurs en devenir, conscient qu’il faudra l’année suivante les remplacer par d’autres éléments. Avec le FC Séville, le club madrilène s’est ainsi taillé une réputation de découvreur de talents dans une Liga où les clubs n’hésitent pas à dépenser des millions pour des joueurs confirmés, voire cramés.

Pour le propriétaire du club Angel Torres, l’idée de se faire piller chaque été n’est plus vraiment un problème : « Getafe est un tremplin, on attire les joueurs en leur promettant du temps de jeu, alors les voir partir pour des grands clubs, c’est la satisfaction du travail bien fait » .

Le président des Azulones ne peut effectivement rien offrir d’autre que des projecteurs à ses pupilles assoiffés de grandeur. Dans une ville qui abrite la plus importante caserne militaire d’Espagne et ou 80 % de la population est ouvrière, on ne rigole pas tous les jours. D’ailleurs, on ne reste pas à Getafe, on y passe, comme dans toutes les villes dortoirs du monde. Mais pas Angel Torres, l’enfant du pays.

Self Made Man

Arrivé dans la banlieue de la capitale espagnole à 14 ans en provenance de Toledo, Angel Torres découvre les joies du travail manuel en devenant apprenti-mécanicien dans un garage de la ville. Son père vient de mourir dans un accident de voiture et sa mère, femme de ménage, arrive difficilement à s’en sortir. A vrai dire, le nom d’Angel Torres n’aurait jamais dû sortir de la rubrique des faits divers. Son ancien employeur ne dit d’ailleurs pas autre chose aujourd’hui : « Quand il est arrivé, il n’était rien, il en avait après tout le monde, il était vraiment mal dans sa peau. Pour aider sa mère, il volait des autoradios qu’il revendait à mes clients. Je ne lui ai jamais fait de reproches à ce propos, c’était assez dur comme ça » .

Après avoir refourgué des milliers de poste K7 autoreverse, Angel Torres rejoint le fabricant d’électroménager “Kelvinator” pour monter des moteurs dans des réfrigérateurs. C’est là qu’il découvre le syndicalisme et fait du bleu sa couleur fétiche à jamais. Celle des bleus des travailleurs, celle qui colle si bien à son club : « Pour tout le monde, le bleu est la couleur de la royauté, mais pour moi c’est celle des petites mains, des gens qui se lèvent tôt et qui luttent anonymement pour une vie meilleure. Le bleu, c’est la couleur des ouvriers, des valeurs dont Getafe doit s’inspirer continuellement » .

C’est dans l’usine de montage que Torres s’éprend aussi d’une nouvelle idéologie : le marxisme. La direction ne veut pas de lutte des classes et finit par le virer, le lendemain de la mort de mère : « J’ai découvert que le monde du travail était implacable, froid, et sans considération pour la condition humaine » . Après s’être fait renvoyer une nouvelle fois d’une usine textile pour avoir soutenu un compagnon menacé de licenciement, Angel Torres prend un véritable tournant en créant avec ses voisins la coopérative immobilière Nuevo Hogar (nouveau foyer).

Le maire de Getafe, accessoirement ancien associé de Torres, Pedro Castro se rappelle : « On nous appelait les maçons marxistes, car nous étions membres du Parti Communiste. On améliorait les conditions de vie des gens pour peu d’argent, mais comme il y avait beaucoup de pauvres, notre entreprise a réussi » . Et Angel Torres est devenu le “Self made Man” que l’on connaît aujourd’hui. Un mec propre sur lui, dont le costard a parfois du mal à cacher la vraie nature : « Une personne qui ne doit rien à personne et qui n’a aucune éducation mis à part celle de la rue » , souligne Castro.

Si Torres est à la base du premier grand chantier urbanistique de la banlieue madrilène, il est aussi celui qui a réincarné le renouveau d’un club moribond, Getafe. Gouailleur, acerbe, polémique et socio du Real Madrid, Torres prend pourtant en 2000 les rênes d’un club en crise.

Getafe pour gagner

C’est le camarade Castro qui lui revend les parts du club appartenant alors à la mairie, avec le succès que l’on connaît aujourd’hui : « Si j’avais pris ce club plus tôt, nous aurions aujourd’hui 15 ans d’avance, se lamente Torres avant de continuer. Mais tous mes prédécesseurs ont pillé les caisses pour équiper leurs maisons de piscines. Ils ont eu tort » .

Pour investir dans le Getafe FC, l’entrepreneur revend l’établissement de Bingo, mais conserve son pub, le Lovely Club, qui attire pas mal de footballeurs et d’agents. Forcément les contacts, quels qu’ils soient, ça aide. La rumeur voudrait même que Bernd Schuster lui ait donné son accord pour entraîner les Azulones dans ce local…

Pour le mercato, Torres compte sur son « bon feeling » avec ses homologues pour se voir prêter ou vendre à bas prix des joueurs tels que Casquero, Contra, Abbondanzieri, De La Red (retourné au Real), Cortes ou le très prometteur Granero.

Les débuts ne sont pourtant pas faciles pour le petit barbu, puisqu’il dégage l’idole du club Gica Craioveanu. Le Roumain, dont la mairie de Castro a fait commander une statue à son effigie pour les abords du stade, trahit les deux communistes en déclarant qu’il souhaite faire une carrière politique au sein de la droite espagnole, le Partido Popular.

Torres, qui n’apprécie guère les caprices de sa diva, et encore moins les compères d’Aznar, va en profiter pour jouer avec les sentiments de ses socios : « Quelqu’un qui crache dans la soupe et qui met un couteau dans le dos à ses plus fervents admirateurs ne mérite qu’une chose : la porte » .

Son ex-directeur sportif, Santiago Llorente, avoue même qu’il était parfois dépassé par les décisions de son supérieur : « Dans le un contre un, il était très fort, quand il vous prend quelqu’un entre quatre yeux c’est difficile de lui dire non. Moi-même je n’y arrivais pas, tout simplement parce qu’il fonctionne avec le cœur. Les contrats écrits sont moins importants pour lui qu’une bonne poignée de mains » .

A Getafe, le patron, c’est donc lui et personne d’autre. Et après tout, rien d’étonnant pour quelqu’un qui a inauguré son propre buste en bronze à l’entrée du stade : « Tant que je serai président, personne ne me donnera des ordres. Les seuls que j’écoute sont mes entraîneurs et ma secrétaire. Et encore, elle me fatigue tellement que je lui ai demandé de ne venir que le matin. Mais attention, je la paye comme si elle était à temps plein ! »

Depuis ses débuts, le club aujourd’hui entraîné par Victor Munoz a connu les joies de deux finales de Coupe du Roi, une épopée européenne en UEFA, a été affublé du titre honorifique de “Matagigantes” (tueur de géants) et a également donné le premier international de Getafe en Seleccion, le désormais merengue Ruben De La Red (il a néanmoins été formé au Real Madrid).

Getafe ne gagnera certainement jamais un titre majeur, mais Torres s’en contrefout, la seule chose qui compte, c’est de donner une bonne image de sa ville : « Aujourd’hui tout le monde sait situer Getafe sur une carte » . N’est-ce pas Franz ?

Par Javier Prieto Santos

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