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Entretien avec Daniela Conti, du Progetto Ultra

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Entretien avec Daniela Conti, du Progetto Ultra

Daniela Conti est membre du Progetto Ultra, une sorte de super fédération d'ultras européens et co-organisateurs des Mondiali Antirazzisti. Entre deux conférences et trois débats, elle répond à nos questions. Où il est question de racisme, d'anti-racisme, du mouvement ultra en Europe, de l'interêt de ce type de manifestations, et de l'avenir du football. Dis Daniela, un autre football, c'est réellement possible?

Concrètement, ça sert à quelque chose ce type de manifestations ? Oui, ça sert parce que nous avons commencé il y a quinze ans à faire ces tournois avec huit équipes. Et en réalité c’étaient des organisations qui faisaient déjà des actions contre le racisme. En allant plus loin, d’autres associations, des associations d’immigrés et des groupes ultras nous ont rejoints et en plus de ces mondiaux antiracistes qu’il y a chaque année, ils ont commencé à organiser leur propre tournoi. À Hambourg, le Sankt Pauli, en France, les mecs de Metz ont eu l’idée de construire, grâce aux mondiaux, des manifestations anti-racistes. Et je crois que c’est important car c’est un moment de rencontre durant lequel naissent de nombreux projets, qui peuvent s’étendre à l’échelle européenne. Et pour nous, cela crée une culture de l’anti-racisme, outre la culture sportive différente.

Cette manifestation, c’est d’abord une manifestation anti-raciste ou une réunion d’ultras ? L’idée était de mélanger. Souvent dans la presse, les ultras sont stupides et voyous, et vont au stade sans comprendre les valeurs ; les immigrés sont ceux qui arrivent dans les pays pour voler le travail ; les membres d’associations qui mènent des activités sociales contre le racisme et pour aider les jeunes passent en fait leur journée à fumer des joints. Voilà les stéréotypes qu’on trouve très souvent dans les journaux. Nous, dans cette manifestation, on veut abolir ces préjugés et ces divisions de groupes, pour montrer qu’ensemble, ils sont capables de construire quelque chose d’autre que ce qui est présenté. Et le fait d’avoir une manifestation anti-raciste dans laquelle chacun peut présenter son travail était une manière de dire « Regardez avant de juger » . L’important, c’est le mélange, c’est pour cela qu’il n’y a pas que des groupes ultras mais bien tous ceux qui ont quelque chose de sérieux à dire contre le racisme.

Cette manifestation, durant laquelle on assiste à des débats sur la répression contre les ultras outre le sujet anti-racisme, pourrait-elle permettre, à terme, de guérir le football ? Nous, on croit que c’est possible. Et on en a déjà plusieurs exemples dans le passé. En Italie par exemple, il y avait un virage à Pérouse qui n’avait jamais eu de problèmes avec le racisme. Et en 2000, des chants racistes ont commencé à apparaître. Avec les mondiaux anti-racistes, les ultras de Pérouse avaient rencontré d’autres groupes ultras, notamment allemands. Et grâce à ces rencontres, ils ont décidé de mener une campagne quotidienne dans et autour du stade contre l’entrée de ces chants racistes. Et au final, après quatre semaines durant lesquelles ils ont incité les autres spectateurs à s’ouvrir sur d’autres cultures, à siffler les initiatives racistes, tout le monde a réagi. Très souvent dans les stades, c’est une toute petite minorité qui fait preuve d’actes racistes. Et les autres ne réagissent pas. Mais le fait d’avoir réagi a permis d’éradiquer ces chants racistes après seulement quatre semaines. Et maintenant, il n’y a plus de cris de singe à Pérouse : en quelque sorte, on peut dire que le stade est devenu un personnage à part entière, un personnage positif. La réaction est primordiale. Le racisme est un mal, et l’on ne va pas le résoudre uniquement dans le football, car le football est le reflet de ce qu’est notre société. Et nous on porte en avant l’idée qu’il faut travailler non pas sur la répression dans le football ou en dehors, mais sur l’éducation et la socialisation de base. Mais surtout, il faudrait que les gouvernements commencent à travailler sur des actions sociales, des projets plus vastes qui concerneraient plus de monde, surtout des jeunes, car le football reflète ce que sont nos villes. Il suffit d’ouvrir un journal et de lire ce que les médias disent. En Italie, souvent on lit « Un assassin albanais » . Mais si l’assassin est italien, il y aura écrit « Un assassin » . Ôtons les nationalités, car un criminel est un criminel. Il n’y a pas besoin de le connoter. Il y a toujours l’attirance de dire que les personnes « différentes » , dans tous les sens du terme, sont dangereuses. Alors qu’on ne dit jamais quand une personne « différente » fait quelque chose de positif. Dernier exemple : ce matin, je lisais le journal et à la Golden League de Rome, un athlète qui court avec des jambes de carbone est arrivé deuxième sur 400 mètres. Et de nombreux journaux ont écrit aujourd’hui qu’il était scandaleux qu’un athlète handicapé participe à une manifestation de ce type et arrive à se classer second, et qu’il fallait revoir les règles. Mais non !!! Au final, un athlète handicapé participe à une compétition avec les autres, sans distinction aucune. Mais au contraire, pour les autres, cet athlète fait peur. Au lieu de se réjouir, les gens voient ce sportif comme un monstre. Selon moi, le sport peut aider à abolir ce type de différence.

On a entendu pas mal de slogans anti-police, ou de slogans violents en général durant ces mondiaux. Pour chasser la violence qu’est le racisme, faut-il nécessairement user d’une autre forme de violence ? Non, mais les choses sont compliquées, surtout ici en Italie où il y a une répression très forte. Les images des violences du match Roma-Manchester ont été assez emblématiques. La police a attaqué de la sorte car il n’ y a aucune attention, aucune connaissance. Nous, on voudrait des médiations dans les virages. On voudrait qu’en Italie, en plus de la police, il y ait des stewards. Mais séparés. Ce seraient des sortes de médiateurs culturels. Ils pourraient aider les policiers à comprendre les gens qui sont au stade. Car souvent, les incidents qui éclatent sont dus à un manque de connaissance. S’il y avait quelqu’un pour expliquer tout cela, de très nombreux incidents seraient évités. Les chœurs contre la police, en plus de devenir une mode, sont un moyen de dire « Nous ne voulons pas de ce monde, nous voulons être compris… » Le racisme ne se bat pas contre une autre violence. Le racisme se bat contre les faits. Il se bat contre des campagnes de sensibilisation. Selon moi, les anti-racistes sont beaucoup plus nombreux. Mais beaucoup ont peur de l’être. Beaucoup ont peur des réactions. Si on arrivait à faire comprendre aux gens qu’ensemble, on est nombreux, on pourrait se battre contre des comportements racistes. Et surtout, les manifestations de ce type servent car les gens en parlent, ramènent des amis, et le bouche à oreille fonctionne. Et les gens se rendent comptent en étant là que ce ne sont pas les ultras qui sont stupides, mais bien eux avec leurs préjugés. Les enfants aussi qui viennent ici, qui jouent, qui s’amusent, auront peut-être une idée du monde différente de celle qu’ils ont chez eux.

Peut-être est-ce plus facile de se dire fasciste, si l’on se contente d’un signifié superficiel du terme ? Oui, absolument. Pour plein de fascistes ou de personnes qui se disent fascistes, Mein Kampf est le livre qui théorise la pensée. Moi, je suis de gauche et je l’ai lu. La plupart des jeunes qui se revendiquent de ces théories ne l’ont même pas lu. C’est extrêmement facile d’être fasciste, si tu considères que le fascisme c’est l’honneur, l’audace, la patrie, le courage, la famille, le travail, la famille, la gloire…

Surtout en Italie, où le symbole et la provocation sont très importants… Absolument, oui. En réalité, ils ne sont pas vraiment fascistes. Il faut juste réagir à temps.

On a vu également pas mal de t-shirts avec des symboles d’extrême gauche. Est-on obligé de chasser la logique d’extrême droite qu’est le racisme par une logique d’extrême gauche ? Le football ne devrait-il pas rester apolitique et neutre ? Cela dépend, il y a différentes postures. Pour un Italien ou un Français, il est très facile de concilier l’anti-racisme de son groupe et l’apolitisme. Car le racisme est une violence contre les droits humains. L’antiracisme militant devient donc une question de protection des droits civils et humains. Je peux donc le faire au-delà des idées politiques. Ici aux mondiaux, on sait qu’il y a des personnes qui se disent de la droite sociale, et qui donc appartiennent à des courants politiques qui ne sont ni la gauche ni l’extrême gauche. Mais ils croient que l’anti-racisme est une question de droits.

Pour les Allemands, c’est absolument impossible : il y a des groupes allemands qui nous disent que si tu es anti-raciste, tu fais de la politique. Peut-être faudrait-il un peu se comprendre et se parler. Moi je crois que l’anti-racisme est une valeur précise. Et ceux qui portent en avant cette valeur peuvent avoir des sensibilités de gauche, d’extrême gauche, peu importe, chacun peut avoir ses idées. Autre chose : l’anti-racisme doit être quelque chose qui fédère, et devrait suffire à unir des groupes. Beaucoup de gens qui vont au stade ne s’intéressent ni aux ultras, ni à la politique. On a le droit d’aller au stade sans entendre des cris de singe, les immigrés ont le droit d’aller au stade sans se sentir comme des criminels. Le sport, c’est le droit de tous. Pour nous, c’est possible d’avoir un groupe neutre, apolitique, au sens où les divers membres du groupe peuvent avoir des opinions politiques diverses. Mais je crois que c’est un discours très culturel, lié à l’histoire et à l’origine de chaque pays, et aux groupes ultras de chaque pays. Il n’en est pas moins important d’établir un rapport sain avec tout le monde. On respecte particulièrement les garçons du Sankt Pauli et leur engagement qui, chaque année, essaient d’attirer l’attention sur ce débat. Mais bon, ça dépend surtout des cultures de chaque pays. Tu vois, moi j’aime le foot et je suis une tifosa, mais je n’ai jamais partagé la vie des ultras. Mais je crois qu’il est important qu’il y ait plusieurs âmes aussi bien aux mondiaux antiracistes que dans la lutte contre le racisme. Car cela crée de la richesse, et cela est l’esprit avec lequel nous avons essayé de faire les choses. Pour guérir tout cela.

Pour tous ces gens, le racisme est-il quelque chose de concret, ou n’est-ce qu’un mal abstrait contre lequel il convient simplement de se battre ? Non, non. On a plein de gens qui sont victimes du racisme tous les jours. Et pas que les communautés d’immigrés. On a des garçons de Palerme qui viennent d’un quartier qui s’appelle Zen. C’est un des quartiers de Palerme dans lesquels la corruption, la criminalité, sont les plus fortes. Eux, quand ils vont dans le centre ville et qu’ils disent d’où ils viennent, on leur ferme les portes. Ici, ça montre qu’ils peuvent s’en sortir avec le football, le sport. Eux, ils savent ce que c’est le racisme. Le racisme reste une réalité pour une majorité des gens qui sont ici.

Au final, on a parlé avec plein de groupes. Ils nous ont tous dit respecter plus les organisateurs que les autres groupes. Le fait de dire « Moi je suis de Rome et toi tu es du sud » , ou « Il n’est pas de la même ville que moi » , ce n’est pas une forme de racisme en plein milieu de cette manifestation anti-raciste ? En partie, oui. Ça dérive de discours historiques plus ou moins sérieux. Ici en Italie, une thèse expérimentale sur les Ultras a vu le jour. Des choses vraiment surprenantes, même amusantes en sont sorties. Au Sud, à Salerne, il y a une rivalité folle avec les Palermitains. La fille qui a fait la thèse est allée dans le centre de Salerne. Les types lui ont raconté que Palerme les dégoûtait vraiment. Alors forcément, l’équipe de foot les dégoûte aussi. Ça vient également du Campanilisme, du Moyen Age. C’est assez compliqué. Selon nous, au fur et à mesure que l’on avancera dans ce sens, les gens qui ont ces positions aussi dures se rendront compte que c’est idiot. Autre exemple : Modène et Bologne ont toujours été rivales. Mais durant les mondiaux, ils se respectent. Enfin, au début, ils respectent surtout les organisateurs, comme tu dis. Mais maintenant, même en dehors des mondiaux, ils ne s’affrontent presque plus. Même au stade. Car de nombreuses personnes, en venant ici, se rendent compte que le tifoso ennemi est comme eux. Ils boivent une bière ensemble aux Mondiaux Anti-racistes. Comment ils font après pour se battre deux mois plus tard lors du match ? C’est une question de temps, il faut que les mentalités changent. Moi je vois qu’ici, plein d’ultras dits ‘rivaux’ peuvent cohabiter. Ça commence ici. Pour moi c’est un succès. Nous, on a beaucoup travaillé pour faire venir les Bordelais et les Marseillais. Ce n’est pas simple. Leur rivalité, c’est une question de foot, d’histoire…Qui travaille au Progetto Ultrà connaît bien le problème. On a travaillé jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ici, c’est un point de rencontre. Petit à petit, certains d’entres-eux ont même commencé à sortir de leur logique. Ils ont commencé à se parler, etc. Nous espérons qu’avec le temps et avec les nouvelles générations, on puisse arriver à cette logique-là : se rencontrer, se parler. Une guerre de banderoles ou d’écharpes, ce n’est quand même pas un affrontement violent. Mais bon, il faut du temps. Ça, c’est la première pierre.

Mais tu penses vraiment qu’un autre football est possible ? Un autre football est possible si le gouvernement commence sérieusement à penser à chasser les (ir)responsables. Je veux dire, en Italie le Calciopoli n’est pas fini, en réalité ils sont encore tous là. Et tant qu’ils seront encore tous là, on ne pourra pas aller de l’avant. Selon nous, il est possible de changer le football à partir du sport de base. Puis à partir de manifestations de ce genre. C’est un long travail. Peut-être même qu’on ne réussira pas à changer tout ce football business. Mais en repartant des quartiers de banlieues, des jeunes, on peut faire quelque chose.

Mais il faudrait l’aide des gouvernements, on est trop petit pour faire tout cela, non ? Il faut l’aide de tous. Et même des stades. Il faut que des lois changent, même si elles ne sont pas liées au sport. Il faut un changement culturel net. Mais petit à petit, on peut obtenir des petits changements, pour obtenir à la fin des changements plus importants.

Propos recueillis par Lucas Duvernet-Coppola et Paul Bartolucci

A venir prochainement dans So Foot version papier, un article autour de la thématique « Mondiaux anti-racistes »…

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