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Des Mondiaux en noir et blanc

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Des Mondiaux en noir et blanc

Du 11 au 15 juillet derniers s'est déroulée en Italie la onzième édition des Mondiaux antiracistes. Une réunion peu médiatisée qui rassemble pêle-mêle des groupes ultras de toute l'Europe, des associations, des centres sociaux, des communautés d'immigrés italiens et un journaliste de So Foot pour le dernier week-end. Ambiance.

C’est une petite ville, à 10 kilomètres de Bologne. Une petite ville italienne, écrasée par le soleil de juillet. Ses volets sont baissés, ses habitants méfiants. Une de ces villes pasoliniennes où le terrain vague alterne savamment avec le parking municipal, avant de s’effacer au profit d’une voie de chemin de fer. Casalecchio di Reno est une de ces villes résidentielles de 35 000 habitants où il n’y a jamais rien à faire, mais où l’on ne s’ennuie probablement jamais. Une de ces villes qu’on rejoint par un train de banlieue dans lequel la climatisation s’en va, puis revient, de manière presque artistique, avant de s’en aller définitivement, enfin. Ces trains magiques, 35° ou peu s’en faut, desquels le contrôleur est systématiquement absent et qui peuvent avoir des retards de 2h35 minutes. Casalecchio di Reno est le genre de ville à accueillir des Mondiaux antiracistes.

Fraîchement débarqués à la gare, on se dit que le centre sportif Salvador Allende sera facile à trouver, tant ces Mondiaux paraissent une aubaine pour cette petite ville connue uniquement pour son stade de basket. Il convient donc de demander le chemin à l’habitant, dont le style vestimentaire ne laisse aucunement à désirer : le marcel-lunettes-de-soleil-noires-chaine-en-or-gourmette-montre-en-argent fait la loi. Rien à dire. Pourtant, personne ne semble être au courant de la manifestation, malgré les nombreuses affiches et le message de bienvenue du maire qui se réjouit d’accueillir l’évènement. C’est un groupe d’ultras hambourgeois qui nous indiquera le chemin : 10 minutes à pied, le long d’une nationale, toujours tout droit. Et le centre sportif Salvador Allende d’apparaître au milieu de nulle part, après 25 bonnes minutes de marche rapide, entre des graffitis couleur locale typés « Maurizio ti amo » et ceux fraîchement posés à la mode « Ultras Liberi » .

Les Mondiaux antiracistes, ce sont d’abord des Mondiaux : des petits tournois de football, de basket ou encore de volley, des exhibitions de cricket… L’inscription est gratuite et ouverte à tous, de même que le logement : il suffit de ramener sa tente et de trouver un espace. L’auto-organisation fera le reste. Les participants à la manifestation sont en effet priés de s’autogérer : pour le ménage, le ramassage d’ordures, etc.

Au programme de ces Mondiaux, 4 jours de sport, donc. Mais pas seulement. Des débats, des projections de films, des concerts, des expositions, des conférences. En chiffres, ça donne 5 000 personnes, 204 équipes, 27 pays représentés mais 50 nationalités : l’équipe de Budapest comprend par exemple des ressortissants soudanais, égyptiens, outre les joueurs hongrois… En majorité, les équipes sont européennes. Mais il y a également des Américains venus du Texas (une association qui se bat pour le droit des immigrés à la frontière mexicaine). Les équipes du Congo et de l’Ukraine ne sont pas parvenues à obtenir le précieux visa. Au final, cela donne un beau mélange. Ou un gros bordel, c’est selon.

Car l’ambiance qu’on retrouve à Casalecchio a des allures de fête de l’Huma, de forum social, de manifestation anti-G8, de rave party, de festival et de match de football, enfin. Tout ça en même temps. Skins, ultras au style vestimentaire plus ou moins agressif, familles (enfants en bas âge compris), associations italiennes d’immigrés, écrivains, sociologues et jeunes plus ou moins révolutionnaires se côtoient pêle-mêle. L’antiracisme sera le seul lien qui permettra de fédérer tout ce petit monde, et suffira à justifier la venue de tous. Avec bien sûr le respect que chacun a pour l’autre, ou plutôt le respect que chacun s’efforce d’avoir pour l’autre le temps de la manifestation. « On dort à côté des Grenoblois et des Nîmois. S’ils veulent, on se met sur la gueule ce soir. Mais on reste tranquilles le temps des Mondiaux. On respecte leur engagement et leurs groupes…Enfin, on respecte plus les organisateurs que leurs groupes, c’est pour ça qu’on reste calmes. Après, quand la saison recommencera… » , confie ainsi un membre des Ultras Marseille. Mais qu’importe, autogestion et respect sont les deux mots clés. Les différents tournois de sport se déroulent d’ailleurs sans arbitre, chacun devant admettre ses fautes. Seul un responsable est chargé de surveiller le chronomètre. Pour le reste…

Alors, bien sûr, l’ambiance est des plus déroutantes. À tel point qu’il est difficile de s’y retrouver et de comprendre le pourquoi du comment de la participation des différents groupes. « Nous, on participe chaque année pour se retrouver avec des gens qui sont supporters de football, mais aussi avec des centres sociaux, des associations d’immigrés, y’a pas que des supporters de foot, c’est vraiment un rassemblement contre le racisme, pour le rassemblement des peuples. Le tournoi de foot, franchement, nous on a fait 3 matchs et c’est pas ça qui nous a pris la tête. Le sport, c’est juste un prétexte pour fédérer. Ici, c’est plus pour faire la fête. Le vrai travail, c’est toute l’année qu’il faut le faire » expliquent ainsi des Ultramarines de Bordeaux. Franco Giubilei, journaliste et écrivain italien « mais avant tout tifoso du Milan » , poursuit : « L’antiracisme devrait être une des caractéristiques du football » . Fred de la Horda Frénétik de Metz ne dit pas le contraire : « Le foot, c’est la rencontre de plusieurs cultures, de personnes de tous horizons. C’est sa richesse. Donc à partir de là, je vois pas comment on peut aimer le football et en même temps être raciste » . Et les Ultras Marseille d’ajouter : « Pour nous, être ultra va avec être antiraciste » .

Où le sport en général devient le vecteur pour rassembler des gens de cultures et d’horizons différents contre le racisme. Du sérieux, donc. Pourtant, le caractère festif de la manifestation pointe son nez derrière l’engagement footballistique et politique. Pis, il semblerait presque prédominant. À tel point que plusieurs groupes de supporters, dont les Ultras de Sankt Pauli, refusent désormais de faire le déplacement, jugeant les Mondiaux antiracistes pas assez sérieux. Pour eux, nous explique une supportrice de ce club hambourgeois, « cette manifestation n’est qu’une farandole permettant uniquement à chaque groupe de se faire voir » . Car entre chaque match, deux conférences et trois débats, la fête bat son plein. Des ultras paradent même vêtus de tee-shirts “alcolisti antirazzisti” (“alcooliques antiracistes”). Malgré le sérieux du message officiel, l’ambiguïté subsiste. Mais chacun y trouve son compte, du simple amateur de bière au militant solidement engagé. Les deux allant souvent de mèche.

Le premier débat auquel on assiste a pour thème l’interdiction de stade et les peines d’emprisonnement. Il est vrai que le Progetto Ultra est co-organisateur du Mondial. Nous nous approchons, intrigués. Côté public, une vingtaine de robustes gaillards, la trentaine, tout de noir vêtus, « Ultras Liberi » inscrit en grosses lettres blanches. Côté organisateurs, des anciens ultras et une avocate qui répond à toutes les questions. Il y aurait deux objectifs à atteindre : dans un premier temps, rencontrer la ministre des sports, afin qu’elle autorise de nouveau les banderoles, interdites dans beaucoup de stades suite à la mort d’un policier à Catane en février dernier ; puis ce serait le tour du ministre de l’intérieur. Un ragazzo intervient : « Leur objectif, c’est un processus d’élimination du tifo organisé. Il faut qu’on s’unisse » . Et ses collègues d’acquiescer sans mot dire, concentrés et sérieux. Le temps de cette séance questions-réponses, l’antiracisme disparaît.

Nous continuons nos déambulations au milieu de cette mini-ville. Ce soir, nous dit-on, il y aura un débat avec des Partisans, ces militants qui se sont engagés dans la lutte contre le fascisme. « Pour ne pas oublier combien il est important de se souvenir » nous glisse un ultra de Lecce un brin éméché, mais pas trop. Nous voilà parmi les stands. Chaque groupe ultra, chaque association est libre de monter son petit commerce. Outre les vêtements siglés aux couleurs des groupes respectifs, un profil clairement anti-mondialisto-capitaliste se dégage. Au-delà des différences, chacun semble éprouver le besoin d’être ensemble. Lesdites différences n’en restent pas moins considérables : le stand des ultras romanistes propose ainsi des produits “Hardcore Hooligans” quand, juste à côté, un groupe allemand vend des écharpes “Anti-Hooligans”. Ce qui n’empêche aucunement tous ces groupes de cohabiter sainement…du moins pour quatre jours.

Au fur et à mesure de notre promenade apéritive, on reçoit des autocollants, divers et variés, par dizaines, on est invités à signer de multiples pétitions. Les poches pleines mais le ventre vide, nous nous dirigeons vers l’immense tente qui fait office de restaurant. Le choix est assez conséquent : cuisine du monde entier. Le repas aussi est propice à la découverte de nouveaux horizons. Ça mange, ça boit, ça chante. Ça fume aussi, un peu. Les chants sont des classiques : tout le monde doit pouvoir y trouver son compte. Entre “Bella Ciao”, “Libertà per gli Ultras” et pas mal de slogans anti-police surgit un retentissant : « Nous respectons seulement les pompiers » . Dans cette tente, un millier de personnes. Des drapeaux, des fumigènes, des chants. Mais encore des familles, dont les enfants « auront peut-être une vision du monde différente de celle qu’ils ont dans leur quartier ou dans les médias » , avance Daniela Conti, une des responsables du Progetto Ultra. Les tee-shirts sont bien plus que de simples vêtements. Ils racontent tous une histoire : « Anarchist Soccer, Texas » ; « Vous ne nous aurez jamais comme vous le voulez » ; « Je hais le football moderne » ; « Stalingrad 43 » ; « Supportons la Révolte » .

Parallèlement se déroule un concert sur la scène principale. Un groupe argentin. Une première. Devant ce savant mélange de reggae-ska-punk-oï-rock, ça danse, ça boit, ça chante. Ça fume aussi, un peu. « Respect à tous les tifosi » lance le chanteur. Il est deux heures déjà révolues. La fête bat son plein, les drapeaux virevoltent. Difficile de fermer l’œil pour les fatigués. La bâche du Progetto Ultra « Réapproprions nous le football » n’a pas bougé d’un pouce. Elle est accrochée, fière, au mur du “restaurant”, au milieu d’un sain vacarme. Il est 3h30 du matin. Dans une ambiance somme toute plutôt bon enfant, la fête bat son plein. Encore et toujours.

Le lendemain matin, 10h00. Le tournoi de football a repris ses droits. Les équipes encore en lice jouent un football laborieux. Quatre jours de fête à gérer. Pas facile, mais qu’importe : ça joue au foot, ça boit, ça chante. Ça fume encore, un peu, seulement. On s’active pour ranger ses affaires. Les matchs sont très serrés et se déroulent sous un soleil de plomb. La mini-ville a une immense gueule de bois généralisée. Dans l’après-midi, la coupe la plus importante, celle des Mondiaux antiracistes, est remise à l’organisation espagnole Cepa Andalucia, par le maire en personne. Les Horda Frenetik de Metz reçoivent la Coupe Fair play « car depuis 4 ans, ils viennent aux Mondiaux sans jamais gagner un match et malgré tout, ils font la fête comme s’ils avaient gagné » expliquent les organisateurs. La Coupe de la fidélité revient aux Ultras Marseille, « disponibles depuis 6 ans pour aider les organisateurs, nettoyer le secteur des restaurants chaque matin, même après une nuit de fête » . Et la Coupe Invisible d’aller « à tous ceux qui ont été bloqués aux frontières pour des problèmes bureaucratiques et qui n’ont pas pu obtenir de visa » . Message de remerciements. Au revoir, à bientôt, à l’année prochaine. Fin de la paix sacrée : la saison reprend déjà ses droits. Et les rivalités aussi.

Par Lucas Duvernet-Coppola, à Casalecchio di Reno, accompagné de Paul Bartolucci.

Tous propos recueillis par LDC, avec PB

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