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Dans les jupons de Sommer

Par Émilien Hofman
7 minutes
Dans les jupons de Sommer

Certains sont fans de Xherdan Shaqiri, d’autres de Paul Pogba. Moitié belge moitié suisse, Mathieu est quant à lui fada de Yann Sommer. À chaque match, il l’attend pour échanger quelques mots avec lui ou récupérer gants et maillot… que personne n’a intérêt à mettre à la machine à laver !

La vidéo est courte, 14 secondes exactement. Ça ne suffit pas pour capter le sujet de la conversation, mais le « Merci beaucoup, ’voir » asséné par Yann Sommer fait comprendre que le gardien suisse n’est pas venu au pied des tribunes pour rien. Alors, son vis-à-vis Mathieu en profite : il claque l’accolade avec le portier qui repart ensuite avec un drapeau à son effigie en mains, laissant le supporter ému comme un gamin. La scène de cette fin d’amical Suisse-USA de mars 2015 peut paraître inédite, elle ne l’est pas.

Les deux hommes partagent ainsi une relation de respect et de considération depuis de nombreux mois. « Autant j’ai toujours eu des clubs favoris, autant il y a beaucoup de choses sur lesquelles j’ai toujours eu du mal à faire un choix. Citer mon joueur préféré en a fait partie pendant longtemps… » Né à Bâle d’un père suisse et d’une mère belge, Mathieu Rütimann, 35 ans ce dimanche, va néanmoins voir sa vision du foot sensiblement évoluer à partir de 2006.

Suisse-Togo en déclic

Enfant, Mathieu passe en quelques années de la ville de Bâle au minuscule village belge de Mont-Gauthier, réputé pour son équipe de balle-pelote (un jeu de paume, ndlr) qui évolue en division 1 nationale. Bien qu’il teste sa main nue sur la balle en plastique, Mathieu préfère taper le cuir et avec son pied. À l’époque, il supporte la Belgique « par défaut » . La Suisse, il en entend parler via son père, mais la génération d’alors pense les Helvètes uniquement capables « de faire du fromage et du ski ! » Malgré son éloignement relatif de son pays de naissance, Rüti s’intéresse à ses origines, à l’histoire et à la culture de son pays… mais il n’est pas encore un aficionado du stade.

C’est en 2006 que tout va changer.

Je n’ai raté qu’un seul match de la Suisse à domicile depuis 2009.

« Ma mère est décédée le 12 juin, et le 19, j’étais à Suisse-Togo au Mondial. Psychologiquement, c’était une période très spéciale de ma vie, j’en ai donc peut-être profité pour m’attacher à cette équipe. » Mathieu laisse ensuite cette passion naissante mûrir dans son esprit jusqu’en 2009 où, tout à coup, alors qu’il reste deux matchs de qualif pour le Mondial 2010, il saute sur l’occasion pour retourner voir la Nati. « Depuis, je n’ai raté qu’un match des qualifications à domicile et j’ai assisté à pas mal de rencontres amicales et en déplacement. »

Rencontre au sous-sol

Au départ, le Belgo-Suisse se rend au stade avec un esprit totalement neutre (bah tiens). Mais comme les enceintes suisses ne sont pas très grandes, il rentre facilement en contact avec un joueur ou l’autre de qui il récupère le maillot.

Je croise Sommer dans le souterrain en dessous du stade de Bâle. Je lui explique qui on est, il était tout mal de ne pas avoir de stylo pour nous signer un autographe !

« Les Suisses ont cette réelle faculté de donner des objets aux supporters que je ne retrouve pas du tout chez les Belges, par exemple. » Et là, folie : Mathieu se prend d’affection pour le gardien, Yann Sommer. Mais comment un mec qui a évolué toute sa carrière d’amateur sur le front de l’attaque peut-il soudainement tomber fan d’un gardien ? Explications de l’intéressé : « Une de mes connaissances suisses connaissait très bien Sommer. Un jour, alors qu’il est encore troisième gardien de la Suisse, je le croise dans le souterrain en dessous du stade de Bâle. Je lui explique qui on est, il était tout mal de ne pas avoir de stylo pour nous signer un autographe. Mais un mois plus tard, on est revenus pour un match contre la Norvège et il m’a donné son maillot ! »

L’histoire d’amour peut commencer. Alors qu’il retourne de plus en plus au stade, Mathieu demande aux joueurs suisses qu’ils croisent à la fin des matchs de donner ses drapeaux et calicots à Sommer. Sur ceux-ci, des jeux de mots ou des messages « qui attirent plus le regard que ceux des gamines de 15 ans ou des petites vieilles qui mettent des cœurs en rouge et vert sur les réseaux sociaux ! »

« On ne devient pas amoureux, mais on s’accroche »

Petit à petit, Sommer se rend compte qu’il n’est pas face à un plaisantin et il commence à rendre la pareille à son fan à qui il offre différents accessoires sans toutefois réellement comprendre d’où vient cet accent si particulier. « Mon père est suisse-allemand, donc je parlais déjà le dialecte du coin en maternelle, témoigne le graphiste de profession.Mais quand je cause en allemand, les gens ne comprennent plus rien à la situation : en Allemagne, on dit que j’ai un accent suisse, mais quand je vais en Suisse, c’est un accent francophone qu’on m’attribue… »

Tout se situe entre la collection et l’obsessionnel, mais c’est aussi l’occasion pour moi de récupérer chaque fois un peu de Suisse, aussi.

Visiblement, Mathieu est parvenu à se faire comprendre puisqu’il possède désormais toute une collection d’objets appartenant ou liés au gardien de Gladbach : des équipements portés à l’entraînement, six paires de gants, des dizaines de portraits et de photos avec son idole et neuf maillots dont sept reçus en mains propres et qu’il ne lavera pas : question de principe. « Tout se situe entre la collection et l’obsessionnel, mais c’est aussi l’occasion pour moi de récupérer chaque fois un peu de Suisse, aussi. On ne devient pas amoureux, mais on s’accroche, on en veut plus, on est comme un gosse ! » Un gosse qui concède parfois faire quelques coups de folie… « Pour obtenir un cadre avec sa photo, j’ai déjà enchéri comme un con à une semaine de la fin d’une enchère pour être sûr d’être premier. Mais c’est un peu mon cadeau de Noël. »

Federer, Buffon et Djourou

Reste que la relation Yann-Mathieu est assez particulière.

Je compare un peu Sommer et Federer : ce sont des grands travailleurs, des grands sportifs talentueux, mais ils restent tellement humbles !

Ce n’est pas une amitié – « on n’est malheureusement pas amis sur Facebook et on n’a pas nos numéros de portable » –, ce n’est pas de l’amour – Mathieu est solidement en couple –, c’est plutôt une certaine admiration. « Je compare un peu Sommer et Federer : ce sont des grands travailleurs, des grands sportifs talentueux, mais ils restent tellement humbles ! Et puis Sommer connaît la joie que procure la réception d’un accessoire d’une idole : il a connu cela avec Buffon dont il est fan. Donc quand il donne quelque chose, on sait qu’il ne le fait pas à contrecœur. » Derrière cette admiration se cache peut-être aussi une petite projection : comme Mathieu, Yann a pas mal voyagé (en Suisse) et est un fervent amateur de la culture de son pays dont il pratique presque toutes les langues.

À la fin du match contre l’Albanie, il était avec Djourou quand il m’a vu. Il a enlevé ses gants, a enjambé les panneaux publicitaires et est venu spécialement près de moi !

Ce dimanche, face à la France, Mathieu fera comme à son habitude. Il arrivera avant l’échauffement, placera son drapeau en l’honneur de Sommer – « J’espère que les Lillois ne feront pas comme les Parisiens qui m’ont refusé mon drapeau Sommer en Panini » –, il attendra le signe de Yann. Après quelques « Hop Suisse ! » – « Les supporters de la Nati sont posés, tranquilles, sans débordement » –, il tentera de se déplacer discrètement de son siège jusqu’à la tribune au dos des cages du portier. Et là, il attendra. Sagement. « Albanie-Suisse était son tout premier match en compétition internationale, apprend Mathieu. Mais il a préféré me faire plaisir plutôt que de le garder – même si j’imagine qu’il s’en foutait de l’échanger avec un Albanais. Il était avec Djourou quand il m’a vu. Il a enlevé ses gants, a enjambé les panneaux publicitaires, a dépassé les journalistes et est venu spécialement près de moi ! » Le bisou de Mathieu à Sommer.

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