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Dabadie: « Zaccheroni a décoincé le Japon »

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Dabadie: « Zaccheroni a décoincé le Japon »

Pendant quatre ans, Florent Dabadie a traduit en japonais et mimé les consignes de Philippe Troussier. Une fois le règne du sélectionneur sur l'archipel terminé, Dabadie s'est retrouvé à tchatcher foot sur Fuji TV. Son émission, Sporto, lui permet d'expliquer pourquoi Swansea City joue en Premier League et comment va Joël Bats à des spectateurs ravis de voir un « gaijin » (étranger) qui s'y connaît dans la lucarne.

Tu peux nous expliquer ton job ?

Je fais cette émission, « Sporto », depuis sept ans sur un rythme hebdomadaire, mais ça fait deux années que c’est vraiment régulier. Au début, j’ai eu le droit à un peu de live avec la Ligue 1. Mais ils ont vite perdu les droits. J’ai commenté les clubs français en Ligue des Champions, ce qui ne faisait pas beaucoup de matchs à l’année. Ici, il y a énormément de magazines footeux à la pointe. Je peux pas leur faire une Équipe du Dimanche. Je pourrais pas survivre. Alors je me suis recyclé en leur proposant des sujets un peu transversaux. Vu que le foot marche toujours aussi bien au Japon, on peut leur offrir des documentaires sur le ballon rond un peu pointus et ça les intéresse vachement. Fuji TV, c’est une des dernières chaîne du pays qui comporte un segment ‘nouvelles sportives’ dans son journal. Contrairement à la France des années 90 où le sport est cantonné à la fin des JT, dans l’archipel, c’est construit sur le même rythme ; d’abord le journal, puis un peu de publicités et enfin une vraie page de sportif. Un peu comme FR3 faisait à un moment. Bon, ici ça fait plus longtemps, mais la chaîne pour laquelle je travaille est une des rares à avoir gardé ce format-là. Tous les jours, tu peux trouver les résultats des matchs de base-ball, de sumo ou de J-League, le championnat local. Moi, je suis chargé de présenter celle du lundi et j’y ajoute un petit sujet de mon choix, généralement entre sept et dix minutes. Sur quatre semaines par mois, j’en ai deux. Ces documentaires, je les fais sur l’actualité du football étranger. Le dernier en date, c’est sur la montée de Swansea City. Je l’ai tourné début août et il est passé sur les ondes lundi dernier.

Comment tu choisis tes sujets ?

J’avais commencé l’année dernière par faire des séries sur les adversaires du Japon à la Coupe du Monde en Afrique du Sud. Sur le football au Cameroun par exemple. On était dans un groupe relevé avec les Pays-Bas et le Danemark et je m’étais rendu sur place pour donner des pistes. Puis j’ai continué avec des clubs qui m’intéressaient. Le Naples d’Aurelio De Laurentiis, le Zénith St-Pétersbourg de Gazprom et Luciano Spalletti. Après l’émission n’est pas du même acabit que Téléfoot. On ne passe pas le dimanche, mais dans une fourchette où tout le monde regarde la télé et parmi les spectateurs, on trouve aussi bien des supporters, des fans de foot que des femmes et des enfants. Donc, on essaie de faire des sujets un peu plus ouvert, moitié culture moitié foot. Swansea City c’était une manière rigolote de retracer l’histoire du Pays de Galles pour les Japonais qui ne savent pas forcément qu’à 2h30 de Londres, quand tu arrives à la gare, tu entends des annonces en Gaélique. Ce genre de petits détails. Je dois être plus fort qu’eux donc je fais des choses assez variées, comme suivre le St Pauli. Et j’ai parfois des vieux contacts qui marchent. On a fait un sujet sur la culture du gardien de but à l’OL. Joël Bats, que j’avais croisé à l’époque de Troussier, m’a bien accueilli et on a eu accès à une séance d’entraînement avec Hugo Lloris. Sinon, j’ai fait des reportages sur le football féminin aux USA. Shevchenko et l’esprit Lobanovsky au Dynamo Kiev. Je veux aller faire Eto’o au Daguestan, mais ça m’a l’air un peu d’être un coupe-gorge.

Avant ton mandat avec Troussier, tu avais déjà un pied dans les médias ?

En fait non. Quand mon aventure s’est terminée avec la sélection, un producteur s’est manifesté. Fuji c’est comme TF1, c’est une chaîne hertzienne mais privée et la plus grande du Japon quand NHK c’est France 2. Je le croisais régulièrement quand je travaillais avec Troussier. Il est venu me voir. « Maintenant que ton travail est terminé, est-ce que ça t’intéresse de venir faire une chronique dans notre émission ? » . J’ai accepté. Au début, j’ai commencé par des sujets sur la Champions. Puis je tenais une revue de presse des journaux étrangers autour de l’actualité footballistique, surtout du point de vue des joueurs japonais expatriés. Bon, ils n’étaient pas nombreux, mais c’était l’époque « Série A » . Hidetoshi Nakata, Shunsuke Nakamura qui débutait à la Reggina. Il y avait une véritable accélération avec Inamoto qui venait d’être transféré d’Arsenal à Fulham. Les Japonais voulaient avoir l’avis du Times, de la Gazzetta dello Sport et de l’Équipe sur leurs stars. Sinon, je servais l’actualité des grands championnats. Encore une fois, je précise que c’est une qualité, le public japonais est éclectique et curieux. Il aime bien être au courant de ce qui se passe à l’étranger. Plus qu’un spectateur occidental lambda, j’imagine.

Parce que la J-League n’offre pas le même spectacle ?

Le championnat japonais, c’est le prochain gros chantier. Malheureusement, il n’y a plus aucune chaîne de télévision hertzienne ou cryptée comme Canal + en France qui retransmet des matchs. Il faut aller sur le câble et assez loin pour trouver de la J-League, et de temps en temps sur la NHK. La faiblesse de l’offre se répercute sur le niveau des clubs. Freddie Ljungberg (ndlr : qui vient de signer à Shimizu S-Pulse), c’est sympa qu’il vienne mais bon ce n’est pas un transfert qui annonce un retour de mode. S’il avait trente ans à la rigueur. Mais là il vient du Celtic, à 34 piges. Quand tu cherches des stars, tu ne peux pas te contenter d’un buteur international australien même si Joshua Kennedy fait une bonne saison avec le Nagoya Grampus Eight. Quand on compare avec une Ligue de seconde zone un peu exotique, mais qui a des moyens financiers, là l’exemple probant c’est le championnat russe, tu vois la différence. L’Anji Makhachkala récupère Samuel Eto’o, Hristo Stoichkov devrait entraîner le FC Rostov, ils investissent pas mal d’argent. Le gros problème du Japon c’est que les caisses sont vides. Il n’y a pas un yen. Certains pensent encore que la J-League c’est la poule aux oeufs d’or et du coup ils sont très déçus quand personne ne répond à leur demande de contrat mirobolant. Aujourd’hui, tu es joueur de foot et tu reçois une offre plutôt sobre d’un club japonais, tu préfères aller jouer au Moyen Orient voire en Chine. Le Japon ne peut pas s’aligner sur ces tarifs-là.

On ne risque plus de trouver un Hulk…

Non, plus tellement. À Tokyo Verdy, il y avait eu Washington qui aurait pu jouer dans un club portugais avant mais Hulk, c’est du passé comme Amoroso ou Leonardo (Kashima Antlers) qui ont cartonné au Japon avant de rejoindre l’Europe. Les Brésiliens qui venaient avec plaisir dans l’archipel préfèrent maintenant rester à domicile parce que le Mondial 2014 a débloqué des fonds ou, à choisir, rejoignent d’autres clubs asiatiques. Seul le Guangzhou Evergrande peut offrir un contrat monstrueux à Dario Conca, meilleur joueur du championnat brésilien avec Fluminense. Cette concurrence est un nouveau paramètre. Même Philippe Troussier est à Shenzhen, dans la ‘banlieue’ de Hong Kong. En termes d’affluence, ce n’est pas la fête non plus. Pour que la J-League redevienne attractive, il faudrait faire comme la France au moment où toutes les stars partaient à l’étranger entre 2002 et 2006. Les clubs n’avaient plus les moyens avant que Canal + ne réinjecte de l’argent frais. Si une télé japonaise prend les choses en main, il suffit qu’elle investisse, qu’elle mette de nouvelles caméras et qu’elle rende l’ensemble plus attrayant pour relancer la machine et rattraper le temps perdu parce que le niveau technologique est là. Par exemple, il faudrait faire revenir toutes les stars parties à l’étranger, les Nakata et les Kazu (ndlr : Kazuyoshi Miura, première superstar de la J-League) et décider de les mettre consultants ou de former des tables rondes. Mais comme l’économie est dans un sale état, personne ne va risquer de financer un tel lifting tout de suite.

Donc il n’y a plus d’espoir ?

Je dirais qu’avec la crise économique et même avant le tremblement de terre, le tsunami et la centrale nucléaire, l’économie ne fonctionnait déjà plus très bien et le Japon était entrain de se refermer. J’avais lu un article dans le Herald Tribune qui disait qu’on était un des pays d’Asie avec le moins de jeunes étudiants qui partaient à l’étranger dans les Universités en Angleterre ou dans les Ivy League aux États-Unis. Ça faisait un peu peur. En plus le Japon a des problèmes avec ses voisins, surtout la Chine et la Corée donc même en Asie, ils ont des relations compliquées. Le seul domaine où ils sont restés ouverts, c’est le sport. Le moment le plus difficile qu’ils ont dû surmonter c’était peut-être en 2008 ou même juste avant le Mondial 2010, quand Nakamura est transféré du Celtic Glasgow à l’Espanyol Barcelone et que ça ne fonctionne pas pour lui. Les stars ont pris leur retraite, il n’y a plus de joueur japonais titulaire en Europe. Les observateurs se sont montrés pessimistes, sur le thème « si la sélection rate sa phase finale, le foot va en prendre un sacré coup » . Et puis finalement le Japon a fait une super Coupe du Monde. Ils sont passés au deuxième tour. Ça a relancé totalement le football au niveau local et ça a permis à des joueurs de trouver des clubs à l’étranger. D’où en partie la nouvelle vague qui explose, symbolisée par Shinji Kagawa, élu meilleur joueur de la première moitié de la Bundesliga à Dortmund. Il y a une dizaine d’expatriés dans le championnat allemand.

Qu’est-ce qui a changé par rapport aux premiers expatriés ?

Concrètement, c’est Nagatomo à l’Inter. Pour les Japonais, toute proportion gardée, c’est comme quand Marcel Desailly a signé au Milan AC. D’une certaine manière, c’était presque plus gros que les départs de Platini, Papin ou Cantona. L’exode des surdoués, ça se comprend, mais qu’un joueur plutôt « normal » , qui n’était que stoppeur ou libéro à Marseille, signe au Grand Milan c’était un peu un choc. Nagatomo c’est le même effet. Tout d’un coup l’Inter veut prendre un latéral et ça a pour effet de revaloriser l’ensemble des joueurs japonais. Parce que Nagatomo, c’est un peu un Patrick Colleter ou un Jean-Luc Sassus. Dans les autres expatriés de la nouvelle génération dorée, on trouve aussi le petit Ryo Miyaichi à Arsenal qui avait presque mis le feu en prêt à Feyenoord. Takashi Usami à Munich c’est plus compliqué, j’étais très emballé au début, mais avec toute la concurrence au Bayern et son jeune âge, il va jouer des bouts de match voire pas du tout. Après c’est assez incroyable qu’il atterrisse en Bavière alors qu’il vient directement du centre de formation de Gamba Osaka. Je sais que les équipes de J-League se plaignent parce que le championnat manque de protection et que l’absence de législation permet aux clubs étrangers de choper des jeunes sans raquer d’indemnités de transfert de formation. C’est un super bon marché, le joueur japonais tu le prends pour rien du tout et tu peux avoir de très bonne pioche comme Shinji Okazaki qui est assez bon avec Stuttgart.

Et la victoire cet été de la Nadeshiko (sélection féminine) au Mondial 2011, ça a servi de ciment national et de publicité pour le foot non ?

Oui, c’est le gros succès. C’est un des facteurs qui permet d’alimenter la bulle en ce moment. La Coupe du Monde a eu un impact incroyable parce que le contexte était propice à une symbiose nationale. En plus elles ont bien joué. Comme en France, les médias n’avaient peut-être pas beaucoup d’actualité sur le coup et ont joué les caisses de résonance parce que la couverture de l’événement a été énorme. En une semaine, le Japonais qui ne veut pas passer pour un inculte est devenu spécialiste de la Nadeshiko et connaît tous les noms des joueuses. Les femmes qui aiment déjà le foot plus que la moyenne, ont aussi pu s’identifier aux filles sur le terrain. Entre le foot féminin, la diaspora japonaise et la sélection nationale, il y a toujours un intérêt pour le ballon et les bons résultats prouvent que les infrastructures qui existent sont performantes. Les centres de formation marchent bien. Les équipes des -23 et -20 qui devraient se qualifier pour les prochains Jeux Olympiques sont très suivies, un peu sur le modèle universitaire américain.

Et l’évolution de la sélection masculine depuis ton départ ?

Troussier c’était un très bon entraîneur, mais il n’avait pas vraiment le renom ni l’expérience. Ensuite, Zico, c’était un débutant. Il avait pour lui une grande expérience de joueur mais ce n’était pas un sélectionneur de profession. Ivica Osim était à la Coupe du Monde 90 avec la Yougoslavie donc les compétitions internationales, il connaissait, mais il avait surtout coaché depuis quelques années des clubs de deuxième série genre Sturm Graz, en Serbie, en Bosnie et ça se sentait. Moi je trouve déjà qu’il y a des progrès avec Alberto Zaccheroni. Ils récupèrent un mec qui a entraîné la Juventus, l’Inter et le Milan. C’est la première fois que le Japon se retrouve avec un entraîneur de ce standing. Dès le début, il se débrouille plutôt bien en remportant la Coupe d’Asie contre l’Australie. Tactiquement son influence est palpable, je crois surtout qu’il a réussi à les décoincer. Dans le collectif, un joueur japonais ressent toujours le poids des responsabilités. Et dans une interview, Zaccheroni disait aux arrières latéraux, Nagatomo et Atsuto Uchida de Schalke, « mais montez, montez, attaquez, ne vous souciez pas de ce qu’il se passe derrière, c’est moi qui vais penser au système pour que, quand vous montiez, un milieu défensif coulisse pour couvrir vos fesses. Ce n’est pas à vous de vous faire du souci. Je prends toutes les responsabilités » . Et d’une certaine manière, c’est la preuve de sa compréhension de la mentalité japonaise. Il les a libérés d’un poids type : « Si je monte, on va se manger une contre-attaque et tout le monde va me tomber dessus » . Il les cadre avec un système tactique bien plus précis que ce qu’ils ont jamais connu.

Tu gardes un œil sur le foot français ?

Je ne suis plus vraiment l’offre cathodique en France, mais je sais que Téléfoot cherchaient des sujets bien ficelés sur l’Asie. Du coup, je ne sais pas si on leur en propose ou même s’ils les diffusent. Je pourrais leur filer un truc sur Dragan Stojkovic qui casse la baraque avec Grampus Eight. Ça pourrait être sympa. Sinon j’avais essayé de « placer » Takeshi Okada (sélectionneur du japon entre 2007 et 2010) au PSG. Mais je le vois bien encore. C’est un gros bosseur et avec l’équipe qu’il avait, pour battre le Cameroun (1-0) et le Danemark (3-1) il faut faire des analyses assez justes. C’était avant cette histoire de Qatar qui réconcilie tout le monde mais à Paris il aurait été imperméable à toutes les critiques. Ambiance « rien à perdre » et premier entraîneur japonais en Europe. Il se serait donné à fond. Bon après, ça n’a pas trop abouti.

Propos recueillis par Alexis Ferenczi

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