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Cubillas: « En 1970, le Pérou a regardé le Brésil dans les yeux »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
6 minutes
Cubillas: «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>En 1970, le Pérou a regardé le Brésil dans les yeux<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Avec ses 5 buts à 21 ans, Teo Cubillas est la révélation de la Coupe du monde 1970. Adoubé par Pelé, qui en fait son successeur à l'époque, le joueur de l’Alianza Lima est le chef d’orchestre d’une brillante sélection péruvienne qui émerveille le Mexique pendant le tournoi. Un demi-siècle après, « El Nene » refait le match.

Aujourd’hui encore, la Coupe du monde 1970 est mythique. Beaucoup la considèrent comme la plus belle de l’histoire. Pourquoi ?Je pense que ce mondial est l’un des plus beaux de l’histoire parce que c’est celui où l’on a joué le meilleur football, le football le plus offensif. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cela : d’abord, il y avait pour de nombreuses équipes une génération de joueurs extraordinaires. C’est le cas du Brésil, mais aussi de la Tchécoslovaquie, l’Uruguay, l’Allemagne, l’Italie. Et le Pérou évidemment aussi, on avait un groupe de joueurs incroyables. C’est sans doute le dernier mondial où l’aspect technique domine l’aspect physique, où la qualité prime sur la force, sur la puissance. Les équipes pouvaient encore jouer avec 3 ou 4 attaquants fixes. Le Brésil s’est offert le luxe d’aligner 4 numéros 10 ensemble, et ces 4 numéros 10 ont montré pourquoi on leur faisait confiance. C’était superbe.

L’essence du jeu péruvien, c’est un peu ça : un mélange entre l’école du jeu brésilien et la malice de la rue.

Le Pérou aussi était une équipe offensive.Oui, quand je commence le football, au Pérou, on jouait avec 3 défenseurs, 2 milieux et 5 attaquants. C’était le système préférentiel. Quand Didi arrive, il préfère jouer en 4-2-4 qui devient un 4-3-3 quand on défend. Moi, j’étais le 10 de la sélection. J’avais 21 ans, il me dit : « Physiquement, tu es frais, tu vas pouvoir faire des allers-retours. » J’avais la fonction de faire la transition entre les deux systèmes. Didi me demande d’être le quatrième attaquant et le troisième milieu. Mais quand je dis milieu, mes coéquipiers Chale, Mifflin et moi étions avant tout des joueurs offensifs. Nous étions souvent proches du but adverse, nos fonctions étaient offensives. Aujourd’hui, quand tu dis que tu joues en 4-3-3, les milieux sont défensifs. Il n’y a plus que des milieux défensifs d’ailleurs. C’est la grande différence.

Didi, déjà double champion du monde avec le Brésil, était votre sélectionneur. Quelle était son importance ?Didi était un type incroyable, je l’adorais, c’était presque un second père, une très grande personne. Il a d’abord réussi à nous unir. Il y avait des groupes, des rivalités entre les joueurs de l’Alianza, Universitario et de Cristal (les 3 grands clubs de Lima). Chacun appartenait au groupe de son club et prêchait pour sa paroisse. Mais Didi a réussi à tous nous unir, nous avons quasiment passé deux ans ensemble. Cela a permis de nous connaître par cœur, de nous faire une totale confiance quand on jouait parce qu’on passait tout notre temps ensemble. On s’entraînait comme un club. Je savais instinctivement que si untel partait vers l’avant, il fallait que je me place à tel endroit, ou que je lui mette le ballon à tel endroit. Avec Hugo Sotil, c’était encore plus facile. On a commencé à jouer ensemble en 1964-1965 à l’Alianza Lima en jeunes, il y avait dix équipes dans le championnat. On a gagné tous les matchs aller et retour, on a mis des volées à tout le monde. Avec mon pote Sotil, on était fatigué de mettre tant de buts. Chale, Chumpitaz, El Cabezon Mifflin, ce sont des frères pour moi.

Qu’avez-vous appris personnellement avec Didi ?Didi était un extraordinaire tireur de coup franc, il frappait la balle d’une manière unique, que l’on appelait la folha seca, la feuille morte. Il faisait retomber la balle avec sa frappe. Elle montait et redescendait. Il frappait du cou-de-pied, mais avec trois orteils, c’est ce qui lui permettait de frapper ainsi, il avait une sorte de malformation des orteils du pied droit. Nous avons tous essayé de l’imiter, nous n’y arrivions jamais, certains se sont même blessés. À la fin de chaque entraînement, nous restions 30 minutes pour frapper des coups francs. Nous n’avons jamais réussi à totalement l’imiter. J’ai réussi une seule fois, 8 ans plus tard contre l’Écosse.


Il a apporté une touche brésilienne au jeu péruvien ?D’une certaine manière, nous avons toujours imité le football brésilien. De 1950 aux années 1970, les équipes brésiliennes faisaient leur pré-saison au Pérou. Santos, Palmeiras ou Botafogo venaient à Lima jouer contre les équipes péruviennes. Nous les voyions jouer et ça a été déterminant, on essayait de copier leur jeu. Et le Pérou a eu de nombreux entraîneurs brésiliens qui venaient avec les références de cette école. L’essence du jeu péruvien, c’est un peu ça : un mélange entre l’école du jeu brésilien et la malice de la rue.

En quarts, vous perdez contre le Brésil, après ce qui est considéré comme l’un des plus beaux matchs de l’histoire. Des regrets ?Il n’y avait aucun regret, les gens étaient contents. Nous avions perdu contre le champion du monde. Nous étions les seuls à leur avoir mis deux buts (en réalité, la Roumanie aussi en phase de groupes avait mis deux buts au Brésil, N.D.L.R.), à les regarder dans les yeux. Mais ils étaient trop forts.

Didi frappait du cou-de-pied, mais avec trois orteils !

Que vous a-t-il manqué ? Un peu plus de rigueur en défense, de vice ?Mais notre manière de jouer n’était pas défensive ! Par exemple, nous étions une équipe qui ne mettait jamais de coups. Chumpitaz, c’était un lion, mais surtout un défenseur très élégant. Il était un patron sans mettre de coups, il était très classe. On jouait uniquement avec le ballon dans les pieds. D’ailleurs dans ces années-là, la défense n’était pas si importante. La partie défensive, c’était d’abord de la qualité. Imagine Carlos Alberto : quelle classe, quelle élégance ! Mais il n’était pas un joueur qui te harcelait pour te prendre la balle, il ne faisait pas de fautes, il n’en avait pas besoin. Même l’Allemagne, tu voyais Beckenbauer, il n’a jamais mis de coup, il montait jusqu’à la surface adverse. Les défenseurs à l’époque étaient excellents techniquement, ils avaient les qualités techniques pour jouer devant. C’est plus la manière de jouer au football qui a changé que nous qui n’étions pas assez bons en défense.

C’était la plus grande équipe péruvienne de l’histoire ?Je n’aime pas les comparaisons, je ne peux pas te dire si c’était la meilleure sélection péruvienne de l’histoire. Maintenant, c’est vrai qu’avec le confinement, il y a un vrai retour de mode de cette sélection, avec les matchs diffusés sur la chaîne principale. Parce que tout le monde en avait entendu parler, mais très peu de gens avaient vu ces matchs. Ils avaient vu les buts peut-être, en avaient parlé avec leurs parents, leurs grands-parents. Là, ils ont vu le football que nous pratiquions. C’était une sélection brillante.

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Propos recueillis par Arthur Jeanne

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