Costa Rica : un sacré Français
Que connaît-on du Costa Rica ? Les plus anciens se souviennent de ce pays d'Amérique Centrale en 8es de finale du Mondial 90 en Italie. Les Lyonnais se rappellent d'Aulas s'étrangler de rage après la blessure d'Eric Abidal avec les Bleus, en affrontant le Costa Rica en Martinique (3-2) en 2005. Enfin les férus de Premier League ont certainement aperçu le buteur Paulo César Wanchope fouler les pelouses anglaises. Mais qui sait que Liberia Mia, tout frais champion en titre, est entraîné par un Français ?! Alain Gay-Hardy nous raconte.
Juin 2009. Le club de Liberia Mia fait chuter le prestigieux Club Sport Herediano en finale du championnat. Jusque-là, on s’en tape un peu. Sauf que le technicien, encensé par la presse nationale, qualifié même de “génie de Liberia”, était il y a un an proviseur du Collège Daudet de Carpentras. Comment cet ancien modeste joueur pro, passé par Quevilly ou Amiens, a-t-il atterri dans cette contrée lointaine ? « Le directeur sportif du club, Nicolas Philibert, est un ami. En juin dernier, il me propose à brûle pourpoint le poste d’entraîneur. Moi, j’avais déjà coaché en D3 avec Avignon et en Division d’Honneur avec Carpentras. J’ai mis une semaine à me décider et j’ai dit oui. C’était une belle opportunité pour moi d’entraîner à haut niveau » .
Première surprise au pays des Ticos (surnom donné au peuple costaricien pour son obsession à coller “tico ” à chaque mot qu’il prononce) : « Les nuits égales aux jours ! Le soleil se couche à 18h et à 18h01 il fait nuit ! » Bon, l’espagnol, Alain Gay-Hardy le parle couramment. Il a donc pu comprendre toutes les vannes qu’on faisait sur son club, considéré comme le bouseux du pays : « Quasiment tous les clubs du championnat se concentrent autour de la capitale San José. Liberia est dans une province du nord (ndlr : Guanacaste, entourée par le Nicaragua au nord et le Pacifique à l’ouest). On est dans la pampa et on nous appelle les pamperos. Pour les gens de San José, on est une province reculée donc mineure » . Mais le club a été tiré de sa léthargie par Mario Sotela, richissime homme d’affaires. Le mec a encore plus de casquettes que Sammy Traoré : production de films, industrie du tourisme et, son dernier dada, une réserve naturelle avec des animaux africains. En plus, il est francophile : il a fait ses études en Suisse, va bosser au Festival de Cannes et passe des week-ends dans son appartement parisien. « Il a renforcé l’équipe avec des joueurs de San José. Comme il est profane, il pensait qu’acheter de bons joueurs et les mettre sur un terrain, ça suffisait » .
Et Alain Gay-Hardy a vite compris qu’il avait du boulot. D’abord, se faire accepter par son effectif : « Il y avait de la suspicion. J’étais le premier entraîneur européen du club, ils étaient davantage habitués aux Colombiens ou aux Argentins. Au début, ça a été dur. J’ai amené le savoir-faire français, avec des entraînements construits qui donnent à réfléchir sur le plan tactique avec des mises en situation » . Pas facile pour le technicien d’imposer son 3-4-3, de demander à ses hommes de couloir « de se situer en zone basse défensive et d’apporter du soutien quand on perd le ballon. Et de miser sur la vitesse en jouant les contre-attaques à fond » . Le coach de 59 ans doit en plus composer avec la peace and love attitude des Costariciens. Impossible de pousser un coup de gueule. « Ici, on ne dit pas bonjour mais « pura vida ». En gros, ça veut dire qu’ils ne génèrent pas de conflit, qu’ils sont cool. Ils n’ont pas l’habitude de travailler fort, il faut leur faire prendre conscience de leurs possibilités car ils se contentent de peu » .
En début de saison, il flottait comme une pointe d’accent provençal au stade Edgardo Baltodano. Plusieurs joueurs français sont en effet venus tenter leur chance outre-Atlantique. Et tous sont passés par Cassis-Carnoux. Décryptage de la mafia cassidenne : Bruno Savry n’est resté qu’un mois avant de venir sur les bords de Méditerranée. Michel Gafour (5 matchs en pro avec l’OM en 2002) a reçu du Papa Noël une opération du ménisque et a quitté le club en décembre, après être arrivé à l’été 2008. Jacques Rémy a, lui, joué un an et demi à Liberia mais a été invité à faire ses bagages en janvier dernier. « Nicolas Philibert les avait contactés et ensuite, c’est par relation qu’ils sont venus. Mais Nicolas a quitté brutalement le navire en septembre pour des raisons d’incompatibilité d’humeur avec Mario. Il a mal pris les nominations d’un directeur administratif et d’un conseiller sportif. Il sentait que ses prérogatives étaient rognées. Moi, ça m’a ennuyé, parce que deux mois après mon arrivée, je me sentais livré à moi-même » . Comme quoi, il n’y a pas qu’à l’OM que ça foire en coulisses…
Mais Alain Gay-Hardy veut réussir. Le groupe comprend (enfin) les consignes, les internationaux, dont Harold Wallace, se motivent tandis que l’on essaye de se motiver pour comprendre l’organisation du championnat. Concentration : il y a le championnat d’hiver et celui d’été. Douze équipes sont réparties en deux poules de six. Chaque équipe rencontre en aller-retour les formations dans sa poule et joue une seule fois les équipes de l’autre groupe ! Les premiers sont directement qualifiés pour les demi-finales quand les deuxièmes et troisièmes s’affrontent dans des quarts de finale. Ouf… Au tournoi d’été, Liberia enchaîne huit matches sans défaite et réalise même l’exploit de… gagner à l’extérieur : « Là-bas, quand on joue à l’extérieur, c’est quasiment perdu d’avance ! Psychologiquement, les joueurs n’y arrivent pas. Moi, j’ai changé leur mentalité. On a affronté l’ogre incontesté du pays, le Deportivo Saprissa, l’OL du Costa Rica. On les a battus sur leur terrain au match retour. Ce fut un exploit retentissant ! » Valenciennes ne ferait pas tache dans le paysage…*
Le titre de champion a propulsé le club dans une autre dimension. Une dimension divine. « Je suis considéré, toutes proportions gardées, comme un demi-dieu. Quand je me promène dans Liberia, les gens viennent me toucher la main, me la baiser ! Une autre anecdote : le lendemain du sacre, toute la population nous attendait en ville. Le soir, une messe d’action de grâce a été organisée pour rendre hommage à la victoire. Et à mon entrée dans l’église, tous les paroissiens se sont levés pour m’applaudir » . Les Costariciens sont passionnés de football et peuvent suivre tous les matches à la télévision. Deux chaînes se disputent même le marché des droits mais l’histoire ne dit pas si le Thiriez local est aussi gourmand que la version originale. Les joueurs, dont les plus riches émargent à 15 000 dollars par mois, n’ont qu’un seul désir : rejoindre l’Europe.
Une envie qui taraude aussi Alain Gay-Hardy. La France commence sérieusement à lui manquer. Attention, il avoue sans problème se sentir bien dans son club -où il devrait signer un an de plus-, qui disputera la Coupe des Champions CONCACAF. Mais certaines mœurs culinaires locales sont pesantes : « Je suis gourmet et gastronome. Et les Costariciens, ils mangent la même chose à tous les repas : le « gallo pinto », mélange de riz, bananes plantains flambées, haricots rouges et poisson ou poulet. Au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner. Quand on va à l’hôtel, le matin, je prends deux tartines de confiture et du café alors qu’eux, c’est une grosse assiette de « gallo pinto » ! » Mais AGH ne fait pas d’indigestion pour autant : « Cette expérience m’a redonné beaucoup d’appétit. J’aimerais bien me faire plus connaître et je veux rebondir en Europe. Même si je sais que nul n’est prophète en son pays » . Mais rien n’est impossible pour un demi-dieu…
*0 victoire en 19 matches cette saison à l’extérieur…
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