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« Chez les agents de joueurs, il y a des gens très dangereux »

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean
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De passage à Paris à l'occasion du lancement de sa nouvelle série IRS Team, l'auteur de bande dessinée Stephen Desberg a accepté d'évoquer Football Connection, premier volet de la saga. Argent, sexe, corruption, dopage, agents, mafia et matchs truqués : le Belge n'élude aucune dérive du foot-business. Dans un récit aussi cynique que réaliste, l'auteur dresse un constat terrible de la planète foot. Paroles de passionné.

Comment vous est venue l’idée de créer IRS Team ? Je suis passionné de foot depuis bien longtemps, depuis les années 1960 pour ne pas trop me vieillir. Mon premier grand souvenir est la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions 1966 au Heysel entre le Real Madrid et le Partizan Belgrade. Cela a toujours été une envie pour moi de joindre la BD et le football. J’avais eu il y a quelques années le projet de faire quelque chose autour de l’argent dans le football, selon le principe d’une série télé avec une galerie de personnages qu’on suivrait sur plusieurs épisodes. Et puis je me suis rendu compte que cela n’aurait tenu la route que si l’on pouvait vraiment citer le nom des équipes et des acteurs concernés. À partir du moment où on allait parler d’argent sale, de matchs arrangés, de dopage, fatalement ça n’allait pas plaire à certains, donc on n’aurait jamais pu avoir les droits. On a un peu laissé tomber le projet, et c’est là que j’ai eu l’idée de faire ça dans le cadre d’IRS, une série sur les fraudes financières qui possède déjà sa propre notoriété. Au sein d’IRS, si on parle du football sans citer les équipes ou les organismes existants, ce n’est pas très grave. Les lecteurs verront très bien de quoi on veut parler.

Officiellement, ils ne sont pas présents dans l’histoire, mais des gens très puissants comme Sepp Blatter ou Jorge Mendes peuvent clairement se reconnaître dans certains de vos personnages…Bien sûr, oui. Je me suis inspiré de trajectoires et de carrières assez connues. Étant belge, je suis plus au courant de ce qu’il se passe en Belgique, mais je pense que la problématique est grosso modo la même partout. Parmi les agents de joueurs, il y en a un qui est très célèbre en Belgique, qui est parti de rien et qui d’un coup est devenu l’agent de Zidane et autres, c’est Lucien D’Onofrio. Son cas m’intéressait beaucoup, car c’était un obscur joueur de troisième division en Belgique qui, à mon avis, avait du mal à joindre les deux bouts. Il a mis fin à sa carrière de joueur et on l’a retrouvé tout à coup manager à Porto, agent de Zidane et d’autres grands joueurs. Je connais bien le personnage parce qu’il a repris le Standard de Liège pendant plusieurs années et beaucoup de choses étranges se sont passées ! La réflexion était donc de se demander « Qu’est-ce qu’il y a derrière tout ça ? » sans forcément faire un cas précis sur lui. Dans mon histoire, je dramatise un peu les choses, même si je n’ai pas l’impression d’extrapoler beaucoup…

Le premier tome, Football Connection, évoque toutes les dérives du foot-business : argent, sexe, dopage, corruption, paris truqués… Est-ce que vous pensez avoir une vision pessimiste ou réaliste du football d’aujourd’hui ? Je pense que c’est une vision réaliste, malheureusement. Par exemple, on sait que c’est très difficile de contacter tous les membres d’une équipe dans le secret si on veut truquer un match. Donc passer par les agents, qui ont souvent plusieurs joueurs influents dans l’équipe via leurs écuries, est sans doute plus pratique. Je pense qu’il n’est plus possible aujourd’hui de construire quelque chose de solide dans le football, à moins d’être tout à fait au sommet comme des clubs tels que le Bayern ou Barcelone, qui sont encore relativement maîtres de leur destin. Mais quand on regarde en Belgique ou en France, il y a toujours une course à l’armement : on essaye de faire des coups financiers, de se tirer dans les pattes. À peine a-t-on signé un joueur et qu’il fait trois bons matchs, qu’il est déjà cité pour aller jouer ailleurs… Ce sont des éléments réalistes d’après moi, même si c’est assez noir, c’est sûr.

Est-ce qu’en 2013 on peut encore croire en la glorieuse incertitude du sport ?Je suis un peu romantique, donc je vais dire que oui. Je suis supporter d’Anderlecht, abonné au stade, et quand on est champions, je ne cherche pas à savoir si c’est truqué ou pas. Je vis ça à fond, au jour le jour, et je prends encore énormément de plaisir. Ce qu’il me paraît plus difficile à vivre, ce sont les intrusions : on a d’abord eu les oligarques russes, maintenant ce sont les Qataris. Alors on nous parle d’un fair-play financier, mais qu’est-ce qu’il y aura comme garde-fous ? Cette mesure va entrer en action maintenant, et on voit encore des clubs complètement endettés se lancer dans des transferts mirobolants. Est-ce qu’on osera exclure les clubs qui ne respectent pas les règles ? Je n’en suis pas sûr.

Aujourd’hui, les Brésiliens dénoncent la corruption, l’affaire Zahia refait surface et des enquêtes sont en cours contre des transferts frauduleux et des matchs truqués. Votre BD est en plein dans l’actualité, en fait…J’en ai bien peur, oui ! Mais c’est comme dans tout scandale financier ! Quand on tombe sur quelque chose, quand les journalistes sont absolument déterminés, ils arrivent à bousculer les puissants et aller jusqu’au bout. Mais est-ce que ça entraîne une remise en question du système ? Pas du tout. On suppose que la pomme pourrie qu’on a découverte est l’exception qui confirme la règle et que le reste est sain. Mais c’est de toute façon très compliqué. Si on prend la profession d’agent de joueurs par exemple, il faut savoir qu’il y a des gens très dangereux dans ce milieu. C’est évoqué dans la BD, mais je suis peut-être même en deçà de la réalité. Quand on voit les mafias serbes, albanaises ou bosniaques en action… Pour s’attaquer à ces gens-là, il faut une volonté mondiale.

Le foot est devenu incontrôlable dans nos sociétés ?Il faut comprendre que le foot est comme le basket aux États-Unis. C’est un ascenseur social, l’un des seuls qui marchent encore. Le système tire la jeunesse vers ces excès-là. Beaucoup de gens pour qui la vie n’est pas facile, qui viennent de pays défavorisés ou qui sont en guerre, sont prêts à des sacrifices incroyables pour vivre tout ça. Le football est vraiment le sport en Europe et en Amérique du Sud qui ouvre le plus de possibilités pour des jeunes. Pour répondre à votre question, bien sûr que je pense qu’on est allés trop loin, mais je crois que c’est un reflet de la société. Je ne vois pas très bien comment on pourrait, dans une société qui cherche désespérément à créer des vedettes à partir de rien pour faire rêver les gens, revenir en arrière et moraliser tout ça.

Vous savez que Sepp Blatter parle français. Vous allez lui envoyer un exemplaire d’IRS Team ? (Rires) Pourquoi pas, après tout ? Un personnage fascinant. Je le suis depuis longtemps, à l’époque il était le secrétaire de João Havelange. Je l’avais repéré, je me disais : « Tiens, ce gars-là est toujours là pour les tirages au sort, dans l’ombre d’Havelange. » Un gars qui se donnait un air tout gentil avec son sourire photogénique, mais dont on voyait déjà qu’il avait les dents très longues. Il faisait partie de ce qu’on pourrait appeler le milieu des « comitards » à un niveau très élevé. Des gens qui font carrière dans le football sans être du métier et qui sont très ambitieux. Ça, c’est pour la FIFA, mais je pense que dans toutes les fédérations nationales, pas mal de dirigeants sont comme ça.

Si vous l’aviez devant vous, qu’est-ce que vous lui diriez ?Même s’il faudrait plutôt poser la question à Platini, je lui demanderais comment il compte faire pour appliquer le fair-play financier, qui est probablement déjà une mesure insuffisante. Est-ce qu’on va se donner les moyens ? Est-ce qu’on peut espérer ? Je me souviens que dans les années 1970-80, les clubs belges faisaient peur à tout le monde en Europe. Un obscur petit club belge avait même éliminé le PSG une fois (ndlr : le KRC Genk, en quart de finale de la Coupe des coupes 1982-1983), et Anderlecht a gagné trois coupes d’Europe. Ce sont des choses totalement impensables aujourd’hui, on aurait peine à y croire. Or c’est ça qui faisait la beauté du football, tout était toujours possible. Quand les grandes équipes européennes ont réalisé leur coup de force en demandant de créer la Champions League parce qu’elles ne pouvaient plus se permettre de rester deux ou trois ans sans jouer la Coupe d’Europe, elles se sont renforcées et ont limité la possibilité d’avoir de telles surprises. Et je parle de coup de force parce qu’à l’époque déjà elles menaçaient de créer leur propre ligue. Donc je conçois bien qu’il doit y avoir d’énormes pressions de tous les côtés vis-à-vis de cette nouvelle règle.

Vous laissez le lecteur sur sa faim avec ce premier tome. La suite, c’est pour quand ?Tout est déjà fini, bouclé. Le tome 2 est prévu pour la rentrée, et le troisième sortira courant février 2014. Pour le dernier, on va le lancer juste avant la Coupe du monde au Brésil.

IRS Team, éditions Le Lombard

Tome 1 : Football Connection (déjà paru) Tome 2 : WAGS (septembre 2013) Tome 3 : Goal business (février 2014) Tome 4 : Le dernier tir (mai-juin 2014)

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean

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