Albiceleste – Avec Dieu à leur côté
Incapable d'écrire une nouvelle histoire après l'épopée Maradona, l'Argentine a rappelé l'icône à son chevet. Un coup de maître à tous les niveaux.
A Hampden Park, le 19 novembre dernier, les spectateurs du match amical Écosse-Argentine n’ont peut-être pas fait gaffe. Alors que la sélection albiceleste s’échauffe, un ballon roule vers Diego Maradona. C’est sûr, l’éternel enfant de la balle va gratifier l’assistance de quelques jongles, de son toucher magique qu’aucun Cristiano Ronaldo de la terre n’arrivera jamais à seulement approcher. Mais non. El Pibe renvoie la sphère d’un simple plat du pied. Anecdotique en apparence, le geste dit beaucoup de la nouvelle posture du bonhomme. Maradona n’a pas pris les commandes de la sélection pour amuser la galerie. Il est là pour remettre l’Argentine tout en haut.
« Bande de fils de pute ! »
Évidemment, personne ne croira que le champion du monde 1986 va se fondre dans les habits d’un sélectionneur comme les autres. D’ailleurs, les vestiaires d’Hampden résonnent encore de sa causerie toute en testostérone. « Je ferais n’importe quoi pour jouer cette rencontre. Je serais même prêt à jouer gardien… Vous ne savez pas à quel point je vous envie, bande de fils de putes ! » . La vérité est évidente : Maradona est resté joueur. Dans le car, il a conservé sa place habituelle, au premier rang à gauche. Lui devant, les autres derrière, à l’ancienne. De loin, son rôle paraît borné à une chose : motiver les troupes. La tactique, la stratégie, ce sera pour Carlos Bilardo, le chef orchestre du succès mondial de 86.
Et à écouter Maradona lui-même en 1995 dans un entretien accordé à France Football à l’occasion de son Ballon d’Or d’honneur, il faut arrêter de se la raconter avec les entraîneurs. « Tout a été inventé en football, on connaît les différents systèmes, il s’agit juste d’adapter le meilleur à la situation. Mais qu’on ne me parle pas de trouvaille. Quand j’entends dire que Sacchi ou Cruyff sont des génies, pfff… Ils ont gagné avant tout parce qu’ils avaient de superbes équipes. Sacchi aurait-il pu faire gagner Parme comme son Milan ? Bien sûr que non. Mais d’autres, avec des effectifs comparables, ont échoué. C’est pour ça que ce sont tout de même des bons. Mais de là à parler d’école… » Selon Maradona, il ne faut donc pas se branler des heures. L’affaire paraît donc entendue : à Diego les tripes, au « Narigon » le tableau noir.
Un génie décérébré, vraiment ?
Sauf que ce n’est pas si simple. Il court une espèce de légende urbaine selon laquelle Maradona ne serait qu’un joueur d’instinct qui laissait son génie commander en pilote automatique sans jamais faire appel aux neurones. Pourtant, Bilardo rappelle qu’en 86, il avait intronisé son leader capitaine en lui expliquant son positionnement (à droite) afin d’échapper à l’entonnoir de l’axe. Un ajustement tactique parfaitement récité par Maradona. Et pour quiconque se souvient du Mondiale 90, l’artiste s’était pleinement investi dans le repli défensif des siens au sein d’une équipe très fragile.
D’ailleurs, n’y avait-il pas imposé la présence de Claudio Caniggia dont le sens de l’appel en profondeur allait se révéler déterminant pour une formation évoluant très bas. De son côté, le président de Naples Corrado Ferlaino n’hésitait pas à rappeler non plus que le capitaine du Napoli était bel et bien partie prenante des choix de l’entraîneur. « Parfois, c’est même lui qui faisait l’équipe » . En clair, tactiquement, Maradona était loin d’être une cruche ou le génie décérébré trop souvent décrit.
Tout bénef’ pour Maradona
Reste la question majeure : comment trouver la bonne chimie entre l’écrasante personnalité de “Pelusa” et l’effectif argentin pas dépourvu en gros calibres ? Didier Deschamps, vigie en forme de garde-fou, y allait de son regard dans “Les Spécialistes”. « Le plus gros danger, c’est que l’image de Maradona prévale sur ce qu’accomplit son équipe. C’est le genre de déséquilibre nocif pour la bonne marche d’une équipe » . L’autre piège, c’est que les joueurs veuillent en faire trop sous les yeux du maître, comme le reconnaissait involontaire Gabriel Heinze : « Il ne faut pas décevoir l’idole » . Une hypothèse que balaie un éditorialiste de Clarin. « Il fallait voir à Glasgow les joueurs remontés à bloc à l’entrée du terrain comme à la sortie quand Maradona leur a tapé dans la main à chacun »
Et puis, il y a Lionel Messi. Le joyau devrait être au centre de tous les regards, un poids bien plus lourd à porter sous la tunique albiceleste qu’avec le maillot du Barça. En ce sens, Maradona est le paratonnerre idéal pour laisser Messi dans une certaine tranquillité. En attendant, c’est un drôle d’assemblage que réussit l’Argentine : le joueur le plus dangereux du moment sous la baguette du plus grand footballeur de tous les temps.
Quid de la rivalité entre les deux Argentins ? Les deux ont à y gagner. Le petit Leo se voit offrir un confort inestimable pour emmener les siens au sommet. Quant à Diego, c’est carrément tout bénef’ : que l’Argentine perde et Messi restera loin derrière lui ; que l’Argentine triomphe et ce succès sera avant tout le sien. Plus que jamais, Maradona est le patron.
Par Dave Appadoo
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