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Afrique : Comment Infantino a imposé Patrice Motsepe à la présidence de la CAF

Par Alexis Billebault
6 minutes
Afrique : Comment Infantino a imposé Patrice Motsepe à la présidence de la CAF

Au départ, ils étaient cinq à viser la présidence de la Confédération africaine de football (CAF), dont l’élection aura lieu ce vendredi 12 mars. Mais Gianni Infantino, le tout-puissant patron de la FIFA, a décidé de prendre les choses en main, en imposant le milliardaire sud-africain Patrice Motsepe, lequel sera élu, pépère, à Rabat, avec un score à la nord-coréenne.

Ce sacré Gianni Infantino a réinventé, pour l’élection à la présidence de la CAF, le bon vieux système du candidat unique, qui a fait le bonheur de tant de chefs d’États africains. Le big boss du football mondial, avec cet humour teinté de cynisme qui fait son charme, niera jusqu’à son dernier souffle s’être mêlé de l’élection du président de la CAF. Il l’a encore répété, le 5 mars dernier, lors d’une conférence de presse de l’International Board. Et il le redira, à chaque fois qu’un journaliste un brin soupçonneux lui posera la question. Le Valaisan se contentera juste de rappeler qu’il n’a d’autre but que d’aider le football africain à se développer.

Le vendredi 12 mars, le milliardaire sud-africain Patrice Motsepe (59 ans) sera donc le seul candidat en lice. Le président du club de Mamelodi Sundows, qui a fait fortune dans le secteur minier, pèse 2,150 milliards d’euros, un petit pécule faisant de lui le troisième homme le plus riche de son pays. Il était, aux yeux d’Infantino, « the right man at the right place » pour succéder au Malgache Ahmad Ahmad. « Infantino souhaite, pour la CAF, un président n’ayant pas de lien avec la gouvernance précédente. Motsepe a un profil de businessman, de bon gestionnaire, capable de sortir l’instance d’une situation financière difficile, et dont l’image n’est pas bonne », estime Salif Bictogo, le président du Stella Club d’Adjamé (Ligue 1 ivoirienne).

Quand on dit conseiller spécial du président, on parle officiellement de celui de la CAF. Officiellement, car Anouma aura plus vite fait de discuter directement avec Infantino.

La grande sauterie de Rabat

Tout s’est joué à Rabat, les 27 et 28 février dernier, lors d’une réunion au sommet organisée par Fouzi Lekjaa, le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), avec le soutien de l’Égypte. Infantino avait envoyé dans la capitale du Royaume chérifien deux de ses sbires, le Congolais Véron Mosengo-Mba et le Suédois Mattias Grafström, pour soumettre aux quatre candidats – Patrice Motsepe, l’Ivoirien Jacques Anouma, le Sénégalais Augustin Senghor et le Mauritanien Ahmad Yahya – un deal aux petits oignons fignolé dans les bureaux de la FIFA à Zurich. À savoir : laisser le seul Sud-Africain maintenir sa candidature, en promettant aux trois autres quelques hochets : le poste de premier vice-président pour Senghor, celui de deuxième vice-président pour Yahya, et un rôle de conseiller spécial du président pour Anouma. « Quand on dit conseiller spécial du président, on parle officiellement de celui de la CAF. Officiellement, car Anouma aura plus vite fait de discuter directement avec Infantino », ricane un dirigeant d’une fédération ouest-africaine.

Yahya, connu pour sa proximité avec Infantino, a rapidement annoncé à son gouvernement qu’il retirait sa candidature. Senghor, presque résigné, lui a emboîté le pas quelques jours plus tard. Et Anouma, après une dernière conversation avec Alassane Ouattara, le président de la République ivoirienne, a lui aussi renoncé à aller jusqu’au bout. L’accord définitif, sur fond d’unité du football africain, a officiellement été scellé le 6 mars à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, en marge de la finale de la CAN des moins de 20 ans. Et pour célébrer l’évènement, Infantino avait effectué le déplacement pour savourer sa victoire. « Ce type est très fort. Il a effectué une tournée en Afrique, dans une dizaine de pays, où il a rencontré des chefs d’État. Sa tactique était simple : demander aux politiques de favoriser la candidature de Motsepe », grince, presque admiratif, un ancien de la FIFA, qui connaît son petit Gianni sur le bout des doigts.

La FIFA aurait-elle fait la même chose lors de l’élection du président de l’UEFA ? J’en doute. D’ailleurs, pour la CAF, ce n’est pas une élection, mais une nomination.

« Une alliance contre-nature »

Une version que confirme ce proche d’un des trois candidats francophones. « En Afrique, tout est hélas politique. À partir du moment où le chef de l’État dit à un candidat de se retirer, ce dernier n’a pas le choix. Senghor et Anouma avaient pourtant envie d’aller au bout. Car ils avaient l’expérience et la légitimité. Je peux vous assurer qu’ils n’ont pas accepté de gaieté de cœur, mais ils ne pouvaient pas faire autrement. » Tata Avlessi, l’ancien président de la Fédération togolaise de football (FTF), ne digère toujours pas le scénario imaginé sur les hauteurs de Zurich. « D’abord, la FIFA aurait-elle fait la même chose lors de l’élection du président de l’UEFA ? J’en doute. D’ailleurs, pour la CAF, ce n’est pas une élection, mais une nomination. À la place d’Anouma et de Senghor, je me serais complètement retiré du jeu ! Motsepe, je n’ai rien contre lui, mais il a été imposé par Infantino. J’entends partout qu’il faut une CAF forte, mais Motsepe est un homme d’affaires, il est très occupé, il n’a jamais dirigé la fédération ou la ligue professionnelle en Afrique du Sud, et je ne vois pas très bien comment il va pouvoir gérer l’instance au quotidien… »

Je n’ai pas entendu un seul dirigeant de fédération dire un mot sur l’attitude de la FIFA , qui a su en profiter.

L’ancien dirigeant togolais ne croit guère à la pérennité de ce qu’il qualifie « d’alliance contre nature. Surtout si Motsepe n’est pas assez présent dans la gestion de la CAF. Et puis, je ne serais pas étonné que dans deux ou trois ans, il y ait des histoires de corruption qui sortent. » Les Africains, qui ont hurlé à l’ingérence de la FIFA, allant même jusqu’à employer le terme de « néocolonialisme » , doivent aussi assumer leurs responsabilités. « Je n’ai pas entendu un seul dirigeant de fédération dire un mot sur l’attitude de la FIFA, qui a su en profiter », tacle Avlessi. Ainsi, il faut s’attendre à ce que la périodicité de la CAN, qu’Infantino aimerait voir se dérouler tous les quatre ans, soit prochainement remise sur le tapis, d’autant plus que Motsepe n’y est pas forcément hostile. Une question sensible en Afrique, où les fédérations sont très majoritairement attachées au format actuel, avec une phase finale tous les deux ans. « Ce sera un test intéressant. On verra l’attitude des fédérations à ce moment-là », promet un dirigeant nord-africain.

Infantino joue gros

Quant à Ahmad Ahmad, qui avait annoncé sa candidature à la fin du mois d’octobre dernier avant d’être suspendu pour cinq ans par la FIFA pour, notamment, abus de pouvoir et détournement de fonds, son aventure dans le football semble définitivement terminée. Même si sa suspension a été réduite à deux ans par le Tribunal arbitral du sport (TAS), le 8 mars dernier, le Malgache ne pouvait plus maintenir sa candidature, ni rester jusqu’au 12 mars à la tête de la CAF, après avoir déjà été rétabli dans ses fonctions par le TAS, le 29 janvier. Mais dans son entourage, nombreux sont ceux à assurer que l’insulaire « n’avait plus vraiment envie d’y aller ».

Il y a quatre ans, à Addis-Abeba, Ahmad avait battu le Camerounais Issa Hayatou, en poste depuis 1988, avec (déjà) l’appui d’Infantino et du Maroc, avant d’échapper totalement au contrôle de l’Italo-Suisse. En Afrique, certains sont déjà prêts à miser quelques francs CFA sur quelques moments de franche rigolade à moyen terme. Car le président de la FIFA, cordialement détesté en Europe et en Amérique du Sud, et qui aura besoin des voix africaines pour se faire réélire en 2023, ne peut pas se permettre un nouveau plantage…

Lyon, au carrefour de ses ambitions

Par Alexis Billebault

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