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Lira, une vie de dribbles
L'équipe d'Allemagne compte probablement l'une des meilleures joueuses actuelles en la personne de Birgit Prinz. Mais sur le banc, la Mannschaft compte un véritable joyau, à tous les sens du terme: Fatmire « Lira » Bajramaj. La belle, arrivée en tant que réfugiée du Kosovo, est aujourd'hui l'une des joueuses les plus charismatiques au monde. A seulement 23 ans.
Les biographies des sportifs font souvent jaser, surtout quand ceux-ci ne sont pas arrivés au terme de leur carrière. Que penser alors de celle de Fatmire Bajramaj, parue en 2009 (elle avait donc 21 ans à l’époque), et dont le titre est on ne peut plus pompeux: « Mein Tor ins Leben: Vom Flüchtling zur Weltmeisterin » ( « Mon but dans la vie: de réfugiée à championne du monde » )? Une gamine d’une vingtaine d’années qui veut faire croire qu’elle a tout vécu ? Et bien, oui. Née le 1er avril 1988 à Gjurakovc (actuel Kosovo), Bajramaj a certainement vécu plus de choses que la plupart des gens de son âge. Certes, des souvenirs du bled, Fatmire Bajramaj en a peu ou prou. Le soleil, les bons repas en famille, c’est tout ce qui lui reste: des sensations, volatiles. Car le reste, elle l’a laissé là-bas, avec la misère et les cris. 1993: à sept dans la voiture, la petite Fatmire, cinq ans, quitte en compagnie de sa famille son Kosovo natal, alors décimé par la guerre qui sévit dans les Balkans. Direction l’Allemagne, qui fait office d’asile politique pour pas mal de populations de l’Est, que ce soit d’Europe ou d’Asie.
C’est ici que commence la véritable histoire de celle qui est appelée « Lira » par sa mère. Après un court passage par l’asile de Remscheid (en Rhénanie du Nord-Westphalie), Bajramaj et les siens élisent domicile à Mönchengladbach la lyrique. Là, Fatmire commence à jouer au foot, en cachette d’abord, par peur de son papa. Elle emprunte des chaussettes à son frère, et, en tant que petite princesse dans une équipe de garçons, elle fait attendre tout son monde dans le jardin. Mais une fois sur le terrain, la princesse laisse tomber les chaussures de verre, et se transforme en reine du bitume. Son truc à elle, les dribbles: un jour, un de ses potes aurait déclaré savoir faire le fameux 360 à la Zidane; elle rétorqua par un dribble de Ronaldo qu’elle avait vu à la télé.
Ligne de conduite
Chez Lira, tout est question d’adaptation et d’intégration. Pour commencer, elle a réussi à s’imposer chez les garçons. Puis elle a réussi à faire accepter à son père qu’elle jouait au foot, un père qui s’est empressé de lui acheter un maillot dès qu’il a appris la nouvelle. Elle a réussi à s’imposer sur son terrain préféré, non loin de la maison, malgré la présence de jeunes fachos au crâne rasé, qui ne voulaient pas voir des étrangers jouer dans leur quartier. Un comble pour la jeune Lira, qui s’est toujours efforcée de s’intégrer dans un pays qui n’est pas le sien, dans un pays où il en faut parfois très peu pour éveiller les sentiments xénophobes d’une partie de la population. Elle-même le dit, dans une interview à 11 Freunde: « Il y a des étrangers qui ont la flemme de s’intégrer » . Fatmire n’est pas comme ça, elle a appris à adopter les valeurs de son pays d’accueil: « Des fois, je me sens même plus Allemande que les Allemands eux-mêmes. Des valeurs comme le respect et la discipline sont très importantes pour moi » .
C’est donc en suivant cette ligne de conduite que Lira Bajramaj s’incruste dans le vaste monde du football féminin allemand, un monde qui compte tout de même plus d’un million de licenciées (contre quelque 60 000 à la France). Et la jeune fille épate tellement à ses débuts qu’elle se retrouve en sélection nationale des moins de 15 ans. D’ailleurs, quelque soit la catégorie d’âge, c’est la Mannschaft qui l’aidera à conquérir ses premiers titres: championne d’Europe des moins de 19, championne du monde en 2007, le bronze en 2008 au JO de Pékin (où elle rentre en cours de match à 0-0 et claque un doublé, victoire 2-0) et l’Euro féminin en 2009. Après quoi la demoiselle décide enfin de gagner des trucs en club: coupe d’Allemagne et C1 avec le FCR Duisbourg en 2009, doublé championnat-C1 avec le Turbine Potsdam en 2010. Une performance qu’elle aurait pu rééditer cette saison, mais l’Olympique Lyonnais en a décidé autrement.
Jolie plante
Forcément, une nana qui enfile les titres comme des perles, ça attire les médias, notamment les tabloïds, comme Bild. Car Lira est une jolie plante, et, c’est bien connu, Bild est attiré par tout ce qui brille. Mais, malheureusement pour le quotidien, Bajramaj ne s’avère pas être une si bonne cliente que ça: à la ville, certes, il lui arrive parfois de s’habiller n’importe comment, mais il ne faut pas compter sur Lira pour aller de désaper pour Playboy, comme certaines de ses coéquipières de la Mannschaft ont pu le faire. On pourrait croire qu’elle se la joue bonhomme, mais Lira sait qu’elle n’est là que pour le game, et elle n’hésite pas à monter au créneau pour se faire entendre. Lira aurait pu être mannequin? Elle s’en tape, elle est là pour faire du foot, pas pour faire un défilé sur le terrain. Sepp Blatter veut faire porter des shorts plus courts aux filles, comme au beach-volley? Et bien, que Sepp Blatter continue à rêver.
De rêve, justement, il lui en reste un, à Lira: gagner le titre suprême à la maison. Même si, pour le moment, elle n’est que remplaçante (malgré sa cinquantaine de sélections), la coach Silvia Neid sait qu’elle peut compter sur sa joueuse à n’importe quel moment. Lira, elle, rêve d’une finale Allemagne-Brésil, comme il y a quatre ans. Mais cette fois-ci, elle aimerait s’imposer comme titulaire, et passer un dribble à celle qu’elle considère comme son modèle, Marta. Car chez Lira, que ce soit sur le pré ou en dehors, tout est question de technique…
Ali Farhat
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