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Cantona, le roi délire

Par Alexandre Doskov
6 minutes
Cantona, le roi délire

Ça n'a échappé à personne, Éric Cantona est en roue libre. Déchaîné dans les médias contre Deschamps et la FFF, le King ne comprend pas l'absence de Benzema et de Ben Arfa, uniquement coupables d'être maghrébins selon lui. Une polémique dont l'équipe de France se serait bien passée et un nouvel épisode dans la guerre que mène Cantona à Deschamps depuis les années 1990.

Le premier coup de lance-flamme n’avais pas suffi, alors Canto est revenu à la charge jeudi dans Libération (édition du 2 juin). Un entretien annoncé sur toute la moitié supérieure de la Une, et tant pis pour les sujets de société ou pour les inondations : « Deschamps-Benzema, Cantona s’explique. » Une deuxième rafale une semaine jour-pour-jour après avoir tiré sans sommation sur Didier Deschamps dans les colonnes du Guardian, où il s’était interrogé sur les absences en équipe de France de Karim Benzema et d’Hatem Ben Arfa. « Une chose est sûre, ce sont les deux meilleurs joueurs en France et ils ne joueront pas à l’Euro. Ce qui est certain également, c’est que leurs origines sont nord-africaines. Donc oui, le débat est ouvert. » Un débat dont personne n’avait besoin, surtout à deux semaines du début de l’Euro, et alors que l’Edf est en train de poser des cierges pour éviter toute nouvelle blessure. La suite de son intervention était ponctuée de remarques un peu moqueuses, et très provocatrices : « Deschamps a un nom qui sonne bien français. C’est peut-être le seul en France à avoir un nom aussi français. Personne ne s’est jamais mélangé avec personne dans sa famille. Comme les mormons en Amérique. » Parce que Cantona est Cantona, mais aussi parce que le King n’a jamais loupé l’occasion d’envoyer un grosse salve contre Deschamps, et ce depuis vingt ans.

La guerre des capitaines

Il faut dire que Cantona, capitaine de l’équipe de France jusqu’au milieu des années 1990, s’est rapidement fait subtiliser le brassard des Bleus par DD après avoir été blacklisté par Aimé Jacquet. Alors, dès 1996, dans la Gazzetta dello Sport, le numéro 7 de Manchester fait rugir son moteur : « Deschamps donne 100% de lui-même, mais il sera toujours un porteur d’eau. Des joueurs comme ça, on en trouve à tous les coins de rue. » L’occasion pour Deschamps de montrer qu’il a de la répartie, en balançant dans la foulée à celui qui n’a jamais gagné la C1 : « Je ne sais pas si on trouve à tous les coins de rue des joueurs qui ont gagné deux fois la Ligue des champions » . Nouveau tête-à-tête dix ans plus tard en 2007, lorsque Cantona déclare dans L’Équipe Magazine que « Deschamps et Desailly, ce ne sont pas des hommes(…)Sincèrement, est-ce que ces gens-là viendraient vous sauver si vous étiez en train de vous noyer ? » L’interview au Guardian de jeudi dernier s’inscrit dans cette lignée, et Cantona a passé les jours qui ont suivi à en faire le service-après-vente, en optant pour la politique de l’huile sur le feu. Noël Le Graët a beau s’indigner, juger le discours de Cantona « stupide, déplacé » , marteler sa confiance en Deschamps, insister sur son intégrité, ses qualités humaines, et même lui offrir deux minutes d’applaudissement des délégués de la FFF, Éric s’en fout. Le dimanche qui suit, c’est dans le JDD qu’il enchaîne, en démarrant par un présidentiel : « Dans cette période de trouble et de division, j’aurais aimé que toute la France telle que je l’aime et la rêve soit représentée dans cette équipe de France. »

Des tribunaux, des humoristes et un Raymond

La suite est une succession de cris du cœur – « Je suis et serai toujours un homme libre ! » -, d’auto-célébration – « Le football est un formidable vecteur d’intégration et doit servir à unifier et à fédérer. C’est d’ailleurs tout le propos de mon documentaire Foot et immigration » -, et de pitrerie – « Et puis, quand je parle des mormons, M. Deschamps devrait se sentir flatté : Ryan Gosling est mormon et il est le fantasme de toutes les femmes » . Une partie du litige se règlera devant les tribunaux, puisque l’avocat de Deschamps a déjà annoncé le dépôt d’une plainte. Cantona, dans son coin du ring, jure qu’il poursuivra lui aussi en justice tous ceux qui s’en prendront à lui. Le reste appartient désormais à la place publique, où chacun peut venir se poser, et apporter sa pierre bancale à ce débat qui l’est tout autant. Un coup c’est Jamel Debbouze qui se range derrière Cantona, en jugeant dans France Football que « Benzema, et par extension Ben Arfa, payent la situation sociale de la France d’aujourd’hui(…)Ces gamins représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues. N’avoir aucun de nos représentants en équipe de France… » Un jour, c’est Raymond Domenech qui met sa pièce dans le jukebox en répondant ironiquement à une question du Parisien : « Cantona ? Qui c’est ? Il a fait quoi dans le foot comme entraîneur, lui ? Ah, oui, le beach soccer… » . Mais les réactions les plus attendues était celle des deux joueurs concernés, qui ont choisi des stratégies diamétralement opposées.

Canto le lanceur d’alertes

La retenue pour Hatem, qui a livré un sobre « Éric Cantona dit que je suis un grand joueur et ça, c’est touchant, énorme. Sur le reste, je n’entre pas là-dedans » , au Parisien. Quant à Benzema, il a sauté dans la gadoue à pieds joints avec son interview dans Marca mercredi dernier. Deschamps et les dirigeants de la FFF avaient à peine le temps de digérer cette surenchère que Cantona revenait faire un coucou dans Libération. Une interview pleine de morceaux de bravoure la main sur le cœur : « Je parle comme un citoyen » , dans laquelle Canto enfile un autre de ses costumes favoris, celui de l’artiste qui dérange : « C’est la fonction de l’art et l’art me nourrit. Ça permet de susciter, de déclencher, d’apprendre aussi. » Surtout, Cantona revient sur le cœur du problème qu’il avait soulevé, en mentionnant en vrac les élections régionales, les attentats de janvier, et l’esprit de l’époque : « Le regard que l’on porte sur la communauté d’origine maghrébine a changé(…)On vit une période où on sanctionne une communauté. » La partie clash est assurée par des accusations contre la Fédération, qui tenterait de faire oublier l’affaire des quotas, avec des observations plutôt justes sur l’absence de dirigeants et d’entraîneurs d’origine africaine : « Ce sont eux qui forment les gamins ! Ils sont assez forts et compétents pour s’occuper des jeunes joueurs, et ils ne le sont plus quand ces mêmes joueurs passent professionnels ? » Les dernières cartouches sont bien entendu pour Deschamps, qui encaisse un : « Il paraît qu’il va m’attaquer en justice. C’est bien la première fois qu’il passera d’une position défensive à une position offensive, il verra si c’est si facile. » Un coup de pied sauté comme à la grande époque, col relevé. Les mouettes ont eu leurs sardines, et le chalutier Cantona trouvera sans doute très vite une nouvelle occasion de faire retentir sa sirène.

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