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Pour une larme de Rome

Par Maxime Brigand
Pour une larme de Rome

Il y a eu les larmes de 1990. Et il y a eu les larmes de 92, au stade olympique de Rome. En l'espace de deux ans, Paul Gascoigne était devenu Gazza. Une icône européenne, un personnage qui le détruira par la suite, mais qui fera de lui une légende à la Lazio. Chronique d'une aventure fracturée. Car avec Gascoigne aussi, l'amour ne dure que trois ans.

« Viens là, bâtard de Geordie. Tu ne peux pas aller comme ça prendre ton putain de verre. » Sous sa couette, Paul Gascoigne étouffe de rire. Le tableau est simple : Chris Waddle allongé sur son lit, à gauche, une chambre d’hôtel à Cagliari et la touffe grisâtre de Bobby Robson qui gueule. C’est la Coupe du monde 90. Quelques heures plus tôt, dans la nuit du Stadio Sant’Elia, l’Angleterre et les Pays-Bas se sont arrachés sur un nul logique (0-0). Au cours de la rencontre, Gazza, pour ne rien changer, s’est amusé : en demandant à Marco van Basten combien il gagne d’abord, puis en se marrant avec les dreads de Ruud Gullit. Gullit : « C’est sympa, non ? – Ouais, charmant, mec. » Paul Gascoigne est alors le visage d’une génération qui devait marcher sur son temps. Comme souvent avec l’Angleterre. La photo de classe a de la gueule : Peter Shilton, Stuart Pearce, Des Walker, Terry Butcher, Paul Parker, Mark Wright, John Barnes, David Platt, Chris Waddle, Gary Lineker, Gazza. Des soiffards oui, mais des soiffards prêts à se déchirer pour leur pays. Hier, le jeune Gascoigne nettoyait les pompes de Waddle à Newcastle. Aujourd’hui, c’est le joueur avec qui il partage sa chambre. L’Angleterre attend de sourire depuis maintenant vingt-quatre longues années. « On était un groupe de potes, comme des gamins. On s’éclatait à jouer tous les jours, on n’avait peur de personne, et il n’y avait pas de gonzesses autour. Le pied. C’était une période géniale, durant nos jours de repos, on jouait au tennis, on allait à la piscine… Six semaines de bonheur » , expliquera celui qui court alors pour le Tottenham de Terry Venables en 2009 à So Foot.

Le cinglé romantique

Cette nuit-là, à Cagliari, après le nul contre les Pays-Bas, la troupe de Robson fait la fête. Elle est heureuse de son match, veut profiter du moment. « Alors, on a décidé d’aller boire un coup, ce qui, bien sûr, n’était pas autorisé » , détaille Gascoigne dans son autobiographie, Gazza : My Story (2004). « Waddle, Chris Woods, Steve Bull, John Barnes, Terry Butcher, Steve McMahon et moi, on est partis dans un pub où on a passé la soirée à faire des bras de fer avec des supporters italiens.(…)Tout à coup, on a entendu une sirène de police. Bobby Robson avait envoyé les flics pour venir nous chercher. » D’où la colère de Robson dans la chambre de son génial numéro 19. Génial, car il y aura un avant et un après Italie 90. Paul Gascoigne ne peut pas laisser indifférent. Pour résumer, Gascoigne ira dans les profondeurs de sa propre personne lors de l’une de ses multiples cures de désintoxication en Arizona : « Je vivais une vie d’imbécile, en étant une personne imbécile, où j’étais devenu Gazza au lieu d’être Paul Gascoigne. » Un personnage paradoxal, insaisissable et aussi, parfois, incontrôlable. Mais, avant tout, un putain d’homme attachant. C’est le détail d’une vie multiple qui change beaucoup. En quelque sorte et à travers ses tourments, Gascoigne raconte beaucoup de l’Angleterre des années 90. Un Royaume qui s’identifia à lui lors du Mondial italien. Plus que jamais. Ses larmes contre la RFA en demi-finale sont éternelles. Elles ont dessiné une large partie du personnage Gazza et de l’hystérie qui accompagnera l’après-compétition du gamin de Newcastle. C’est comme ça que Paul Gascoigne a rencontré l’Italie. Dans le dernier carré d’une Coupe du monde, à Turin, le 4 juillet 1990. Un soir où le poumon offensif sécha Thomas Berthold, reçu un jaune le privant d’une éventuelle finale et termina la rencontre dans les larmes. Quelques minutes plus tard, il se fera descendre à son tour par le poète Brehme. Au sol, Gascoigne se relève, on s’attend à une mandale, mais non. Lui préfère serrer la main de son assassin de l’instant. Car Paulo est aussi comme ça, il préfère se pourrir lui-même que de détruire le collectif qui l’entoure.

Mais, ce soir-là, c’est sûrement l’Europe qui tombe définitivement sous le charme du cinglé romantique. Alors, le 7 juillet, après une petite finale perdue contre l’Italie (1-2), un homme vient rencontrer Paul Gascoigne dans le vestiaire anglais. Il sort la serviette autour de la taille, reçoit son interlocuteur en lui tapant sur l’épaule et lâche quelques plaisanteries. Il faut savoir déconner avec Gascoigne. Face à lui, Gianni Agnelli, l’Avvocato, le monsieur Fiat, mais surtout le monsieur Juventus. Il raconte : « Je l’ai regardé et j’ai pensé :« Ce mec possède une Ferrari ! »Je ne pensais pas à jouer à Turin, mais plutôt à la putain de Ferrari ! Mais le type voulait d’abord que je signe à la Roma pendant un an pour apprendre la langue et la culture et que je rejoigne la Juve après. Je ne voulais pas créer de malentendus avec les fans. Je suis donc revenu à Tottenham et j’ai passé l’une des meilleures saisons de ma carrière. » Paulo n’a jamais avancé pour la gloire. Au fond, il ne demandait pas grand-chose : se marrer en jouant au foot et recevoir de la considération. C’est, aussi pour ça qu’il refusa un jour Manchester United. Trop de lumière. Il cherche simplement à balancer son poids, s’offrir quelques contacts musclés et gratter de l’amour. Le reste n’est que Gazza. De la merveille qui embrasse la folie. Un coup franc qui fracasse Arsenal en demi-finales de FA Cup par exemple. En 1991, pour s’offrir une finale contre Nottingham Forest où tous les yeux sont tournés vers ses pieds. L’Angleterre, en pleine Gazzamania, va alors assister à un double déchirement. Gascoigne vient de ficeler son départ pour Rome et la Lazio, mais aussi, lors de la finale, de s’arracher les ligaments du genou, ce qui retardera son départ en Italie d’un an. Car oui, Gazza a aggravé sa blessure en défendant son beau-frère en boîte.

De l’art d’avoir des couilles

La finale a eu lieu le 18 mai 1991. Tottenham s’est imposé 2-1, mais Gascoigne n’a pas vu la fin de la rencontre. Son anniversaire est neuf jours plus tard. Il est à l’hôpital. C’est là que Maurizio Manzini, figure de la Lazio, viendra lui rendre visite, lui offrira un maillot des Biancocelesti et une montre gravée par un mot du président Gianmarco Calleri. Une montre que le père de Paul, John, prendra pendant l’opération du fils et ne rendra jamais. Mais la nouvelle est certaine désormais : Paulo va quitter son pays, ses potes, et la chronique de son départ alimente davantage le papier que la crise économique en cours. Rome attend Gascoigne : le 27 septembre 92 contre le Genoa. L’arrivée de l’international anglais dans la capitale italienne est un événement assez rare pour être souligné. Les rues de Rome sont placardées de posters avec la gueule de Gazza. Son nom est partout, c’est la légende qui débarque, qui s’exporte. Il sera présenté au stade olympique, provoquera l’hystérie, car Rome a longtemps attendu. Pour la suite que l’on connaît. Car, du côté de la Lazio, il restera longtemps comme l’ombre du Spur qu’il était. Il égalisera contre la Roma à la dernière minute, numéro 10 sur son maillot ciel, mais restera l’ombre de lui-même. Au total, Gascoigne passera trois années à la Lazio, jouera 43 matchs de Serie A pour six petits buts. La Curva Nord fera tout de même de lui son symbole, fera flotter son visage dans le ciel romain à chacune de ses apparitions. Un jour, les supporters de l’Atalanta lui rendront même hommage. Paul Gascoigne était un effronté parmi les romantiques. Son premier entraîneur à la Lazio, Dino Zoff, parle de lui comme d’ « un artiste, un génie. Le problème, c’est qu’il mangeait une glace au petit-déjeuner, buvait une bière au déjeuner et éclatait comme une baleine lorsqu’il était blessé. » Rome aime les artistes et les mecs qui ont des couilles. Gazza, lui, en avait beaucoup, comme ce jour où il débarqua à un rassemblement complètement nu devant Zoff avec cette phrase : « Mister, vous m’avez fait dire que vous me vouliez, eh bien je suis venu tout de suite, je n’ai même pas eu le temps de m’habiller. » De ce passage, Gascoigne se déclare tout simplement « intouchable » . Et il l’était.

Car, à Rome, Gazza va laisser des images gravées : le slalom contre Pescara, le chewing-gum de M. Bettin contre la Sampdoria, le masque de protection contre Ancône… Parfois, aussi, il lâchera des larmes. C’est une constante. Gascoigne est une fracture ouverte. Et quand il se range, son corps refuse. Comme en avril 94, lorsqu’un gamin de 18 ans, un certain Alessandro Nesta, lui brisera la jambe involontairement à Formello. Gascoigne quittera les pelouses une longue année avant de se tirer aux Rangers, laissant derrière lui un héros iconique. Un mec qui ira claquer la bise au pape Jean-Paul II après un appel du Vatican, retournera la cité romaine et tabassera les sentiments. On l’aimait pour cette folie, cette douceur et cette franchise naturelle. Gazza marchait à l’instinct, toujours. Sa perte fut terrible pour le Tottenham de Venables, qui lâchera cette phrase au moment du départ de Paul : « J’étais content pour lui, mais la sensation était similaire à voir ta belle-mère tomber d’une falaise avec ta nouvelle voiture. » Gascoigne était le symbole du renouveau de la Lazio. Il sera vice-champion d’Italie en 1995 sans avoir vraiment trop jouer, mais son retour à Rome, en 2012, pour un hommage tracera définitivement l’image qu’il a laissée. Celui d’un éternel. Une gueule à dessiner sur un drapeau. À tout jamais. Bukowski avait raison : « Certains ne deviennent jamais fous… Leur vie doit être bien ennuyeuse. »

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