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Pogba-Évra, la dolce vita à deux

Par Romain Duchâteau
8 minutes
Pogba-Évra, la dolce vita à deux

L'un est l'une des personnalités les plus controversées du football français et écrit les dernières pages de sa carrière. L'autre jouit d'une belle cote de popularité auprès du public tricolore et est déjà l'un des meilleurs joueurs de sa génération. Deux profils dissemblables et, pourtant, Paul Pogba et Patrice Évra sont partenaires à la Juventus Turin, mais aussi amis dans la vie. Avec Tonton Pat' dans le rôle du grand frère et La Pioche comme nouvelle star montante avide de bons conseils.

À la croisée des chemins, le destin les a une nouvelle fois réunis. Et, pour eux, c’est un concours de circonstances duquel il s’accommode avec un plaisir non dissimulé. Chaque semaine, à les observer sur les pelouses de Serie A, Patrice Évra et Paul Pogba diffusent l’impression de se connaître depuis toujours. Comme si leur rencontre était une évidence. Une histoire qui devait inéluctablement s’écrire. Deux parcours à l’inclinaison différente en forme de passage de témoin. D’un côté, le défenseur expérimenté, au vécu tumultueux et au crépuscule proche. De l’autre, la plus grande promesse du football français avec un présent déjà doré et une ascension qui prête aux fantasmes les plus démesurés. Entre les deux joueurs de la Juventus Turin, c’est plus qu’une simple relation professionnelle. C’est bien au-delà de tout ça. Leur célébration commune et dansante sur le but de l’homme à la crête contre le Hellas Vérone (4-0, 18 janvier) l’a encore prouvée. Ils nouent une véritable amitié et ne s’en cachent nullement.

C’est donc presque logiquement que la bromance s’est officialisée en France. Depuis le début de l’Euro, les supporters qui ont longtemps reproché aux Bleus leur froideur se délectent des vidéos de Tonton Pat et de son neveu la Pioche, décontractés mais toujours concentrés. Tantôt sur l’Instagram d’Évra, tantôt devant les caméras de la FFF, mais surtout quand personne ne les regarde, ou encore au micro d’un journaliste italien, Paul et Patrice profitent et s’en donnent à cœur joie. Ils sont ensemble, ils s’aiment et ils comptent bien en profiter jusqu’au bout, à savoir dimanche, au bout de la nuit, avec une coupe dans les bras.

Manchester United, le rendez-vous manqué

L’esquisse de leur relation prend sa source à Manchester United. À l’âge de seulement seize ans, en 2009, Paul Pogba débarque chez les Red Devils en provenance du Havre. Dès son arrivée, le gosse de Lagny-sur-Marne jouit d’une belle considération. Crédit qu’il va conforter au sein de l’académie de United, avant de se voir ouvrir les portes de l’équipe première deux ans plus tard. Là, il fait connaissance avec son compatriote Évra ou « Tonton Pat’ » , comme il l’appellera affectueusement par la suite. Amoureux du club anglais depuis tout petit, La Pioche impressionne à l’entraînement. Naturellement, tout le monde s’accorde à dire qu’une place de titulaire n’est plus qu’une question de temps, surtout depuis que le rouquin Paul Scholes a décidé de ranger au placard ses délicieuses transversales en mai 2011. Mais le talent manifeste de l’ancien Havrais va se heurter à l’intransigeance – ou plutôt, cette fois, le manque de clairvoyance – de Sir Alex Ferguson. Évra le reconnaîtra d’ailleurs à demi-mot, en octobre 2013 : « Au début, peut-être que Manchester a un peu sous-estimé« La Pioche » » . La fracture entre les deux hommes intervient le 31 décembre 2011. À Old Trafford, United reçoit Blackburn en Premier League. Avec Carrick relégué en défense centrale et Fletcher blessé, l’entrejeu est décimé. Et l’occasion idéale pour le jeune milieu de terrain de se distinguer. Mais non. Fergie choisit d’aligner Rafael à sa place, pourtant latéral droit. L’affront de trop pour le Français qui, en fin de contrat au terme de la saison, n’envisage plus son avenir dans le jardin mancunien. L’été qui suit, Patoche fait pourtant tout pour convaincre la pépite de rester au bercail, allant même jusqu’à discuter avec sa famille. « Je suis allé chez lui, j’ai parlé deux heures avec ses parents et ses frères de son avenir, même si je ne suis qu’un joueur, expliquait-il. Je lui ai dit : « La Pioche, ici tu deviendras une légende, sois patient. » J’ai essayé de l’attacher, j’ai essayé de lui mettre des cadenas et tout, mais non… Il avait déjà fait son choix. (rires) » Un choix audacieux qui se porte vers la Juventus Turin où le discours d’Antonio Conte finit de séduire un gamin aux ambitions affirmées. Au final, Évra et Pogba ne sont apparus ensemble qu’à quatre reprises toutes compétitions confondues sous le maillot mancunien (58 minutes au total). Bien trop famélique. Surtout un gâchis monumental pour le latéral gauche : « Son talent sur le terrain, son agressivité, sa présence, ce sont des qualités rares, regrettera-t-il quelques mois plus tard après son départ. Il a obtenu très tôt le respect de joueurs comme Ryan Giggs et Paul Scholes. C’était vraiment une perte énorme quand il a quitté le club. »

« C’est le talent qui va faire la différence, je veux te voir faire la différence ! »

Rien ne prédestinait donc à revoir les deux hommes sous la même tunique en club. Mais l’arrivée de David Moyes en tant que nouveau manager a infléchi le cours de la romance de Patrice Évra avec Manchester. Au terme d’un exercice 2013/2014 cataclysmique pour le club britannique qui provoquera le licenciement du successeur de Fergie, l’ex-Monégasque fait lui aussi le choix d’embarquer dans le wagon de départ des vieilles gloires (Giggs, Vidić, Ferdinand). Parce qu’il est éprouvé au bout de huit années florissantes, conscient que son déclin est amorcé et, surtout, trop fier pour qu’on lui indique un jour la sortie. Alors le défenseur a accueilli avec joie l’intérêt de la Vieille Dame, l’été dernier, qui lui a offert un dernier challenge à la hauteur de son orgueil. En Italie, il a aussi retrouvé Paul Pogba, lequel est depuis entré dans une tout autre dimension. Depuis son départ de l’Angleterre, La Pioche est passé de simple promesse à l’un des meilleurs joueurs du championnat transalpin.

Vidéo

À vingt et un ans, il a déjà été l’un des grands artisans des deux derniers Scudetti remportés et s’élève peut-être comme ce qui se fait de mieux dans sa génération en Europe. Une aisance naturelle qu’il a toutefois toujours été nécessaire d’encadrer. Car l’excès constitue souvent le péril des plus grands talents. En poste à la Juve, Antonio Conte n’a jamais caché son exigence à l’égard du Francese. Le Mister parti depuis, c’est Évra, trente-trois piges au compteur, qui a repris ce rôle de paternel au regard bienveillant. « La Pioche, il est comme un fils pour moi » , confiait-il d’ailleurs en octobre dernier. De la sollicitude certes, mais également de la rigueur. Comme en témoigne cette image saisissante lors du match de Champions League face à l’Olympiakos (3-2, 4 novembre 2014). Rentré aux vestiaires après une première période sans relief, Pogba est sermonné juste avant le second acte par son aîné qui, malgré une lésion musculaire à la cuisse gauche, était venu encourager son équipe. « C’est le talent qui va faire la différence, je veux te voir faire la différence ! » , lui martèle l’ancien Captain de United dans les couloirs du Juventus Stadium devant les caméras de beIN Sports. Galvanisé par ces propos, le Bianconero hausse sensiblement son niveau de jeu à la reprise et claque le troisième but salvateur, offrant ainsi un succès quasiment inespéré. Signé Patrice le grand frère.

Symboles de l’unité retrouvée chez les Bleus

Si la proximité des deux lascars est ostensible, elle se ressent également dans leur relation technique naturelle sur les terrains. Sur les 13 matchs qu’ils ont débutés ensemble en tant que titulaires toutes compétitions confondues, ils ont échangé en moyenne 10 ballons par rencontre (statistique Opta), soit l’un des circuits préférentiels les plus prolifiques de la Juve. Évra et Pogba se cherchent constamment, combinent et n’hésitent pas à se créer mutuellement des décalages. Et cela, quel que soit le système adopté par Massimiliano Allegri (3-5-2 ou 4-4-2 en diamant). Une relation privilégiée dont devrait également bénéficier l’équipe de France. Justement, chez les Bleus, celui qui compte 64 sélections garde la même attention envers son jeune coéquipier. Le même souci du détail, les mêmes conseils prodigués, la même, voire une plus grande implication à fournir, lorsqu’on revêt le coq brodé. Pogba a ainsi appris à ses dépens que la sélection nationale requiert une opiniâtreté de tous les instants. Quand il livre quarante-cinq premières minutes insipides contre la Biélorussie en match éliminatoire du Mondial 2014 (4-2, 10 septembre 2013), c’est encore une fois son aîné qui vient lui remettre la tête à l’endroit.

« Je lui ai dit : « Mais qu’est-ce que t’es en train de me faire ? Un grand gaillard comme ça, tu te fais bouger », racontait-il un mois après la rencontre. Je lui suis vraiment rentré dedans, je lui ai dit :« Mais tu te crois où ? Les joueurs de la Biélorussie sont en train de te mettre des coups d’épaule, tu tombes, tu réclames des fautes. Mais réveille-toi, tu n’es pas à la Juve ici ! » » Bousculé, touché dans son estime, le milieu de terrain renverse la tendance lors du second acte et marque son premier but sous la tunique tricolore. « Il m’a touché. Pat’ qui me parle comme ça… Je préfère qu’il me dise des bonnes choses » , reconnaîtra-t-il, presque honteux. D’aucuns s’offusquent sans doute de l’influence d’Évra sur son compatriote et sur le groupe français. Mais Didier Deschamps s’en moque et a compris combien le latéral pouvait apporter son indéniable expérience. Parce qu’un homme qui s’est forgé dans les bas-fonds du football italien, qui a raflé une C1 et 5 Premier League, qui a côtoyé longtemps Scholes, Giggs ou encore Ronaldo, puis qui a été capitaine en sélection et en club a forcément quelque chose à apprendre aux plus jeunes. N’en déplaisent aux donneurs de leçons. « Tu sens tout de suite cette confiance de dire : « Ouais, je ne vais pas te dire que je vais être un grand joueur. Mais t’inquiète pas, je vais le devenir. » Il n’est jamais satisfait, il veut toujours plus. Que veux-tu demander de plus à un joueur ? C’est ça la base d’un champion. Je n’ai pas peur de dire que ce sera le futur capitaine de l’équipe de France » , n’hésitait pas à encenser le meilleur punchliner du football français. En attendant, même si sa progression se veut toujours plus ébouriffante, plus fulgurante, Pogba continue son apprentissage : « De temps en temps, j’ai besoin de me faire piquer. C’est une mauvaise chose, ce n’est pas bien. Je devrais avoir ça directement, c’est un truc que je dois changer. » Qu’il se rassure, Tonton Pat’ n’est pour le moment jamais très loin. Et veille, encore et toujours, à ce que rien ne vienne contrarier son irrésistible ascension.

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Par Romain Duchâteau

Propos de Patrice Évra extraits de l'émission Intérieur Sport (octobre 2013), de TF1 et de La Repubblica et ceux de Paul Pogba issus aussi d'Intérieur Sport

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