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« L’Espagne vivait des moments bien pires avant l’Euro 2008 »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
10 minutes
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Au cœur de sa maison dans la communauté de Valence, fraîchement retraité des New York Cosmos, Marcos Senna profite et nous parle de sa sélection d'adoption, dont il était un des piliers en 2008 : l'Espagne.

Qu’est-ce que tu fais de ta vie maintenant ?Je travaille au sein de Villarreal. Je suis chargé des relations institutionnelles et de l’image sur le plan international. Cela arrive que je me rende aux tirages au sort, aux cérémonies officielles par exemple… Je suis un peu sur tous les fronts de la promotion du club, en fait.

Parlons de ton arrivée avec la sélection espagnole. Comment Aragonés t’a convaincu de jouer pour l’Espagne ?Je possède aujourd’hui les deux nationalités. Aragonés m’a vu jouer avec Villarreal, et vu que je n’avais pas joué avec la sélection brésilienne, il s’est décidé à me convoquer. Il n’y avait pas de discours avec lui au départ, simplement qu’il souhaitait choisir les meilleurs. À ce moment-là, j’étais en train de jouer un rôle important à Villarreal. Il est venu et m’a dit : « Tu aimerais jouer pour l’Espagne ? » J’ai répondu oui, et c’était acté. J’avais très envie de jouer pour l’équipe du Brésil bien sûr, mais je n’avais pas d’opportunités. On ne m’avait jamais appelé. On me proposait de jouer un Mondial avec l’Espagne, j’y suis allé. Et c’était très bien comme ça.

Au Mondial 2006 et avant l’Euro 2008, Aragonés était très critiqué… Comment avez-vous vécu cela ?Nous avions confiance en nous, nous étions conscients de nos capacités. Les critiques, elles arrivent toujours quand tu ne gagnes pas. Si tu gagnes en revanche, là il n’y a plus de critiques.

Et après la France en 2006, il y a eu des critiques…Ce match avait connu une issue tout à fait normale, car la France était simplement meilleure. Je pense qu’il nous a manqué de constance dans ce match. Notre intensité en première période n’était pas la même qu’en seconde.

En fait, tout commence avec cette élimination contre la France. Après, vous n’avez plus perdu aucun match en compétition officielle. Comment on passe du statut de loser à celui de winner ? Je crois qu’il fallait apprendre de nos erreurs. Au-delà des erreurs même, Luis Aragonés s’est décidé à nous faire changer de tactique entre les deux tournois, cela s’est avéré payant. Le changement devait passer par le placement des joueurs sur le terrain, et non par des changements de joueurs. Ce n’est pas parce que Raúl n’était pas dans le groupe que nous sommes arrivés à gagner l’Euro.

Sergio Busquets serait le joueur qui se rapproche aujourd’hui le plus de moi, même si je le vois moins proche de la surface, moins frapper de loin. Mais, en réalité, nous avons le même rôle avec la Roja.

Raúl, avec qui tu as partagé le vestiaire du Cosmos, a été le grand sacrifié. On a l’impression que son absence a libéré tout le monde… Tu en as parlé avec lui à New-York ? On ne l’a jamais évoqué ensemble, non.

Pourquoi ? Déjà, je ne souhaitais pas parler de cela avec lui, je ne voulais pas aborder le sujet. Quand j’étais avec lui à New-York, je l’ai connu comme quelqu’un de très, très professionnel. Je ne voyais pas de rancœur liée à cela. Pour Luis Aragonés, c’était une simple décision technique, il pensait juste que d’autres joueurs pouvaient être meilleurs. Aragonés s’est contenté de s’expliquer devant la presse, et nous n’avons pas parlé de cela ensuite entre nous. C’est la seule chose que je peux dire. Je ne peux pas raconter ce que je n’ai pas vu.

À l’Euro 2008, tu es l’un des joueurs les plus importants de la Roja, car ton abattage permet de sublimer Xavi et Iniesta. Aujourd’hui, qui occupe cette fonction selon toi ? Sergio Busquets, même si nos comportements sur le terrain sont assez différents. Je le vois moins proche de la surface, moins frapper de loin. Même si en sélection, je gardais aussi cette rigueur défensive. En réalité, nous avons le même rôle avec la Roja.

Quels souvenirs gardes-tu de l’Euro 2008 ?Ce sont des souvenirs de joie et de partage entre coéquipiers. Nous avons fait un Euro spectaculaire, et tous les joueurs qui ont participé à ce tournoi auront un souvenir inoubliable de cette compétition. Je garde en mémoire ce match contre l’Italie en quarts de finale : c’était un match compliqué pour les deux équipes, on avait dû aller jusqu’aux tirs au but, une épreuve où il faut être fort. On sortait d’une belle phase de poules, avec de beaux matchs, mais cette rencontre était différente. L’Espagne tombait toujours sur un os en quarts de finale, mais cette fois-ci l’Italie n’allait pas nous arrêter. Les Italiens jouaient un jeu assez fermé et nous devions vaincre cette barrière psychologique de notre côté. On s’est sorti une bonne épine du pied ce soir-là.

En 2006, les Français étaient psychologiquement mieux préparés que nous. Certains des Bleus avaient un certain vécu déjà : Vieira, Zidane et d’autres… Ces erreurs font apprendre.

Aragonés a toujours eu les idées claires. Aujourd’hui, on dirait que la Roja vit dans l’incertitude. Comment tu l’expliques ? Ce championnat d’Europe doit leur permettre de prouver qu’il s’agit de l’Espagne que nous connaissons. Avant l’Euro 2008, l’Espagne vivait des moments bien pires… On sent que l’incertitude peut s’en aller avec ce tournoi et tout peut se résoudre. L’Espagne doit être prête pour remporter cette compétition.

Tu finis meilleur joueur du tournoi à l’Euro 2008, tu as donné de la confiance à l’équipe… Tu es conscient que sans toi, l’Espagne ne serait peut-être pas championne du monde ?Oh non, je n’en suis pas sûr… Je suis surtout très chanceux d’avoir fait partie de cette génération de footballeurs. Je remercie les gens de dire que mon tournoi est excellent, que je fasse partie des meilleurs d’Europe. Mais je crois que l’Espagne avait tout de même la capacité pour l’emporter. C’était le moment pour l’Espagne d’être sacrée, de récompenser les efforts.

Ta présence physique devait quand même bien rassurer tes partenaires…Si les choses ont fonctionné, c’est parce que tout marchait bien. J’étais une pièce importante au sein de l’équipe, c’est vrai. Mais la concentration et la préparation de chaque joueur avant et pendant le tournoi restent fondamentales si tu veux changer l’histoire. La façon de jouer, c’est avant tout le collectif qui la maîtrise.

Avant ton arrivée, où est-ce que tu situais le blocage de la sélection ?Je crois que l’Espagne avait besoin d’acquérir de l’expérience dans les grandes compétitions. Pour revenir à la France en 2006, je crois qu’ils étaient psychologiquement mieux préparés que nous. Il y avait des joueurs de l’équipe de France avec un certain vécu : Vieira, Zidane et d’autres… Ces erreurs font apprendre.

Je crois que le sentiment patriotique n’est pas une chose nécessaire quand tu joues pour une sélection.

Tu es l’un des seuls naturalisés à avoir apporté quelque chose à la Roja. Comment tu expliques que tu te sois fondu aussi bien dans ce collectif ? La sélection ne te donne pas beaucoup de temps pour t’adapter, il faut être bon quand ta chance arrive. En ce qui me concerne, j’ai su rapidement m’intégrer, trouver ma place. C’est cela qui m’a permis de faire partie de l’équipe pour les compétitions internationales.

Quand tu vois Thiago Alcántara manquer de temps de jeu en sélection, qu’est-ce que cela t’inspire ?Thiago Alcántara a eu l’option de choisir entre le Brésil et l’Espagne. Il a fait son choix. Maintenant, mon cas reste différent. C’était une autre époque pour l’Espagne, un autre statut. Pour moi, tout s’était bien goupillé. Si on prend l’exemple de Diego Costa, qui n’est certes pas à l’Euro, je pense qu’il ne pouvait pas développer le même football entre l’Atlético de Madrid, Chelsea ensuite, et l’équipe nationale. Je crois qu’il y a aussi un très haut niveau dans la sélection nationale, même si depuis toujours, le niveau a été haut.

En France, on reproche aux joueurs de ne pas chanter l’hymne. Toi, qu’est-ce que tu ressentais au moment de l’hymne espagnol ?J’avais totalement intégré le fait d’être espagnol, même si je n’étais pas né dans ce pays. Cela me convenait très bien. Je crois que le sentiment patriotique, ce n’est pas une chose nécessaire quand tu joues pour une sélection. C’est pour cela même que j’ai joué avec l’Espagne (rires)… Tu peux choisir les endroits où tu décides d’aller et de jouer, chacun est libre de choisir ce qu’il souhaite. En vérité, nous sommes tous citoyens du monde.

Est-ce que le fait que le Barça s’appuie sur la MSN, et non sur des joueurs comme pouvaient l’être Xavi, Busquets, Iniesta, Puyol ou Piqué avant, fragilise la sélection ?Très sincèrement, je pense que l’Espagne possède toujours une très bonne sélection. Aujourd’hui, nous voyons que l’équipe se diversifie de plus en plus, avec des joueurs issus d’autres clubs que le Real Madrid ou Barcelone, et c’est tant mieux. Je pense qu’il faut prendre les meilleurs, indépendamment de l’équipe pour laquelle ils jouent. Le Real et le Barça possèdent toujours un pouvoir d’attraction plus fort que les autres clubs d’Espagne, mais les autres clubs grandissent eux aussi. Quand je vois des joueurs à Villarreal ou Séville par exemple…

J’ai une préférence pour l’équipe d’Espagne de 2008.

Comment tu vois la différence entre Luis Aragonés et Vicente del Bosque ? Au niveau des caractères je pense, de leur façon d’être. Chacun possède le sien et c’est impossible d’avoir la même mentalité avec deux hommes différents. Mais du point de vue tactique, je les vois assez similaires. Luis a remporté un Euro, Del Bosque un Euro et un Mondial. Et depuis l’Euro 2008, le style de jeu est resté le même.

Pourtant, beaucoup de personnes tendent à penser que l’Espagne de 2008 était la plus belle à voir jouer… Oui, j’ai aussi une préférence pour cette équipe. Je pense que l’Espagne peut aussi bien jouer durant cet Euro. Mais on ne reverra pas l’Espagne de 2008, parce que les équipes changent. Les époques sont uniques, les tournois sont uniques, les joueurs sont uniques. Tu ne peux pas revoir la même chose. Seulement meilleur ou pire…

Quelles sont les chances de l’Espagne dans cet Euro ?L’Espagne est favorite, parce qu’elle est championne d’Europe en titre. Nous avons assisté à un changement de cycle, de nouveaux joueurs sont arrivés. Mais je vois cette nouvelle génération avec un futur intéressant. Ces joueurs peuvent eux aussi devenir grands. L’Espagne est en France pour remporter un nouvel Euro, même si rien ne sera simple, comme lors de la phase de groupes.

Il y a un débat sur le gardien titulaire. Qui devrait être gardien numéro un d’après toi, Casillas ou De Gea ? Ohlala, question difficile (rires) ! De Gea, je sais que c’est un bon gardien, mais je ne le connais pas vraiment. Casillas, je le connais… Mais je pense que les deux peuvent faire l’affaire, l’Espagne possède ce privilège. Ce serait très injuste d’en élire un seul.

Oui, mais il faut bien en choisir un…Pfff… Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Je veux voir celui dans la meilleure forme du moment, voilà. Je veux voir l’Espagne gagner, c’est le principal. Le reste, ce n’est pas important.

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