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Les jeunes aiment-ils encore le foot ?

Par Alexandre Aflalo et Tom Binet
Les jeunes aiment-ils encore le foot ?

Derrière cette question provocatrice qui peut faire vieux con, une réalité : selon une étude de l’Association européenne des clubs (ECA), les jeunes adultes, la génération des 16-24 ans, sont ceux qui s’intéressent le moins au football, et de loin. Plus qu'une spécificité générationnelle, c'est aussi, et surtout, le fait d'une société qui bouge, et qui a imposé au football de sérieux concurrents dans le domaine du divertissement. Mais alors, est-ce que c'est grave, docteur ? Et surtout, est-ce que ça se soigne ?

« Leur proposer d’aller à Delaune s’il y a le PSG ou l’OM, ça pourrait les intéresser. Mais un Reims-Nîmes, on peut offrir les places, elles restent sur le comptoir du club. » Lorsqu’il évoque ses U18, Thomas Henryon, coach de la catégorie du club de la Neuvillette-Jamin dans la banlieue rémoise, ne se fait guère d’illusion sur leur passion pour le club local. Même s’il est de retour en Ligue 1 et même sur la scène européenne depuis peu. L’illustration d’un constat qui a de quoi faire peur à la planète football : les jeunes ne se passionneraient plus autant que leurs aînés pour le ballon rond, sport populaire aux allures d’indétrônable sur le globe.

Selon une étude de l’Association européenne des clubs (ECA) parue cet automne et menée dans sept pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Pologne, Brésil et Inde), la catégorie d’âge des 16 à 24 ans connaîtrait en effet un recul de l’intérêt pour le sport roi. Seuls 28% des sondés se disent ainsi « fans » ou « particulièrement fans » de football, une proportion qui monte à 54% chez les 13-15 ans et ne descend jamais sous les 35% pour les adultes. Plus révélateur encore, 39% d’entre eux assurent « détester » ce sport ou a minima « ne pas s’y intéresser du tout » . Ce rapport, qui vise à étudier les habitudes de consommation des spectateurs, montre que ces jeunes sont également davantage susceptibles de suivre plusieurs clubs, loin du modèle de supportérisme traditionnel. « L’engagement émotionnel à l’égard du football diffère considérablement selon l’âge, peut-on lire. Par exemple, la part des fans qui suivent le foot pour « suivre leur équipe » passe de 49% parmi l’ensemble des fans à 37% chez les 16-24 ans, contre 54% chez les 45-64 ans. »

Ça fait déjà une bonne dizaine d’années que la passion, la ferveur pour le football est moins importante chez les jeunes.

Effet de groupe, âge de la maturité et classes moyennes

Sans être nouveau, ce désamour s’est accentué ces dernières années dans cette catégorie d’âge très particulière. Éducateur au Havre depuis 20 ans et responsable des U17 nationaux du HAC, Michael Lebaillif admet que « ça fait déjà une bonne dizaine d’années que la passion, la ferveur pour le football est moins importante chez les jeunes. » Mais il admet aussi que c’est l’âge, en lui-même, qui ne favorise pas non plus la survie de la passion pour le football. « Plus on est jeune, plus on a cette fraîcheur d’esprit : le football est une passion, on y joue avec les copains, il y a cette flamme qui existe sans doute beaucoup plus pour les générations en dessous de 16 ans. Après 16 ans, les centres d’intérêt deviennent différents. » Mehdi, lui aussi éducateur dans le club de la Neuvillette-Jamin, confirme : « Arrivés à un certain âge, ils commencent à grandir, à découvrir autre chose, à sortir. Tout cela fait qu’ils n’ont pas forcément le temps ou l’envie de regarder du foot à la télé. »

Dès lors, rien de forcément étonnant à voir cette catégorie d’âge prendre du recul par rapport au football, quitte à y revenir ensuite, comme le montre le rapport de l’ECA. « Quand on regarde la consommation des 13-15 ans, ils sont très influencés, il y a des effets de groupe très forts, avance William Gasparini, sociologue et professeur à l’université de Strasbourg. Les 16-24 sont beaucoup moins perméables. L’adolescence est une période où l’on construit sa personnalité par effet d’imitation. » Il estime par ailleurs que ce désintérêt pour le football chez les jeunes peut au moins en partie s’expliquer sociologiquement. « Plus on avance en âge et plus ce sont les classes populaires qui suivent le football, exception faite des grandes compétitions de l’équipe de France. Ceux qui sont moins fans entre 16 et 24 ans, ce sont peut-être les enfants des classes moyennes. »

C’est une dynamique qui est récente. Moi, pour avoir participé au championnat U18 il y a dix ans, il y avait le double d’équipes. On se retrouve aujourd’hui avec seulement 14 équipes au sein du District. En 2009, c’était 27 ou 28 équipes.

De moins en moins d’équipes

Moins prompts à s’intéresser assidûment au football professionnel, ces jeunes ne sont guère plus sérieux dans leur pratique. Si depuis plusieurs années, le nombre de licences se maintient, voire progresse chez les enfants, il est en baisse dans les catégories plus âgées. Un phénomène qui ne date pas de l’apparition de la Covid-19. « La catégorie U18 n’existait pas dans notre club l’année dernière,explique Thomas Henryon. L’un des problèmes, c’est de trouver des éducateurs pour prendre en charge des jeunes de 16 à 18 ans, c’est une catégorie compliquée dans sa gestion. » Un véritable problème pour faire le nombre dans les équipes, mais également pour conserver les inscrits, la faute à un nombre de matchs trop faible en raison du petit nombre d’équipes. « C’est la catégorie où l’on joue le moins, assure encore l’éducateur. En championnat, même si on avait fait la première phase en entier, c’est sept matchs plus un de coupe du 28 août au 31 décembre. » Trop peu pour que certains n’aillent pas voir ailleurs. « C’est une dynamique qui est récente. Moi, pour avoir participé au championnat U18 il y a dix ans, il y avait le double d’équipes. On se retrouve aujourd’hui avec seulement 14 équipes au sein du District. En 2009, c’était 27 ou 28 équipes », précise de son côté Mehdi.

Les jeunes veulent que le produit soit aussi flexible que possible, mais je ne crois pas que le problème soit de produire un contenu court ou que les gens n’aient pas le temps de regarder un match de 90 minutes. Un bon contenu de dix heures de long, il sera regardé.

Consommer oui, mais comment ?

Si les 16-24 ans ont toujours représenté une classe d’âge bien à part, il n’en reste pas moins que plusieurs facteurs conjoncturels peuvent expliquer cette évolution récente. À commencer par des changements sociétaux importants, avec une multiplication des choix de consommation. L’avènement des médias sociaux, l’éclatement et le développement de l’offre de football et surtout d’autres divertissements ont créé des habitudes de consommation différentes. C’est d’autant plus flagrant chez les plus jeunes, habitués à consommer selon leurs termes, leurs préférences, et aux formats qu’ils choisissent. « Le football, c’est l’un des derniers rendez-vous du divertissement : il faut être là à 20 heures pour le coup d’envoi. Les jeunes veulent que le produit soit aussi flexible que possible, mais je ne crois pas que le problème soit de produire un contenu court ou que les gens n’aient pas le temps de regarder un match de 90 minutes. Un bon contenu de dix heures de long, il sera regardé », assure Lasse Wolter, Director of Membership and Business Development à l’ECA. Aujourd’hui, le football ne représente plus qu’un choix parmi des dizaines de se divertir, et pas au format le plus accommodant pour le mode de vie de la jeunesse. La NBA, notamment, connaît une ascension fulgurante chez les jeunes en France. « Il y a dix ans, vous n’aviez pas autant de choix, estime-t-il encore. Le football était une passion naturelle par défaut, il était partout. Mais le paysage médiatique a tellement changé. »

Du foot à la télé, on en consomme sans doute dix fois plus qu’avant, ça peut aussi avoir un impact. Ça peut nous saturer.

Une impression partagée sur le terrain par Michael Lebaillif. « On a face à nous une génération consommatrice, et pas toujours avec la même passion qu’on a pu connaître auparavant. » D’autant qu’aujourd’hui, dès lors que l’on évoque la diffusion de matchs à la TV, l’overdose n’est jamais bien loin. « Du foot à la télé, on en consomme sans doute dix fois plus qu’avant, ça peut aussi avoir un impact. Ça peut nous saturer. » Des mutations qui s’observent également du côté de la pratique. Toujours selon l’éducateur havrais, « il est plus facile aujourd’hui pour un jeune d’aller faire un five avec des potes plutôt que d’aller à un entraînement avec des contraintes d’horaires… Ils veulent jouer où ils veulent, quand ils veulent, avec qui ils ont envie. L’attrait du foot tel qu’il était auparavant est en train de diminuer. »

C’est une recette qui est simple : écouter et apprendre des fans, de leur cheminement en tant que consommateur, et construire quelque chose qui leur correspond.

Correspondre à un ensemble de valeurs

Sans être nécessairement un signe annonciateur du début de la fin pour le football, cette tendance vient quand même servir de petite piqûre de rappel : rester sur le trône est un privilège qui s’entretient. Si le foot reste – de loin – le sport le plus populaire du monde, il est aujourd’hui « mis au défi dans cette position, à juste titre », estime Lasse Wolter, qui met en garde : « Comme dans le monde de l’entreprise, les leaders ont tendance à se dire qu’ils seront toujours au top, que ça ne changera jamais. Mais même des entreprises très puissantes, qui ont fait partie du Forbes 500* par exemple, ont disparu parce qu’elles n’ont pas su évoluer suffisamment tôt. » Comme toute industrie, le football a un produit qu’il doit vendre à des fans, qui le consomment. Rester d’actualité, c’est notamment comprendre la façon qu’ont ces fans de consommer, pour proposer un produit le plus adapté et le plus actuel possible. Et forcément, comprendre cette génération et lui adapter son produit, lui proposer des alternatives qui lui conviendraient sans pour autant abandonner sa recette d’origine, est un enjeu. « Je ne pense pas qu’il soit trop tard pour le football, mais il est important de rester sur ses gardes, ne pas être arrogant, estime Wolter. C’est une recette qui est simple : écouter et apprendre des fans, de leur cheminement en tant que consommateur, et construire quelque chose qui leur correspond. Qu’ils aient envie de passer leur temps à d’autres choses est normal, mais il faut qu’ils sachent que leurs intérêts ont une valeur pour nous. »

Ce n’est pas seulement un changement de la demande, c’est une énorme opportunité pour les clubs de se positionner et d’attirer en dehors de leur marché. De devenir le deuxième club préféré des gens, selon des critères différents.

Des intérêts qui, dans le cas de cette génération, semblent s’éloigner de plus en plus du football en lui-même. Aujourd’hui, on ne suivrait plus simplement un club de football juste pour suivre un club de football, ni même pour les matchs. Les données les plus importantes du rapport de l’ECA sont sans doute ici : les façons de s’engager avec les clubs sont fondamentalement différentes chez ces 16-24 de chez leurs aînés. Seulement 22% suivent un club parce qu’il est celui de leur ville, quand 36% soutiennent des clubs de pays étrangers. « Aujourd’hui, on peut suivre dix clubs qu’on aime bien de façon décontractée, sans regarder tous les matchs ni dépenser tout son argent dans ce club, car les médias nous en donnent l’opportunité, développe Wolter. Mais on leur donne de l’attention, qui est aussi une devise précieuse pour les clubs. » Cet abaissement des frontières va permettre de sélectionner les clubs non plus par défaut, parce qu’ils sont proches de chez nous, mais parce qu’ils correspondent à un ensemble de valeurs. « Ce n’est pas seulement un changement de la demande, c’est une énorme opportunité pour les clubs de se positionner et d’attirer en dehors de leur marché. De devenir le « deuxième club préféré » des gens, selon des critères différents. » On peut autant aimer le club de chez soi que suivre l’Ajax pour son centre de formation, le PSG et la Juve pour le tournant « lifestyle » pris par leur marque, ou encore le FC Sankt-Pauli pour ses engagements sociaux. Un aspect qui prend du poids : « Les nouvelles générations attendent autre chose du football, estime Wolter. Elles veulent que leur club se positionne, ait un impact. »

Je pense qu’aujourd’hui le football est devenu un sport individuel au sein-même d’un collectif. On est beaucoup plus sur des stats que sur un esprit d’équipe.

Les 16-24 d’aujourd’hui sont les adultes de demain

Ces nouvelles façons de s’engager, d’apprécier le football, les éducateurs les remarquent chez les jeunes qu’ils encadrent. « Ils vont suivre de grandes équipes, peut-être un joueur en particulier, observe Thomas Henryon. Ce n’est plus l’époque de notre jeunesse, où on était capables de sortir les onze types des équipes de Ligue 1. ». « Je pense qu’aujourd’hui le football est devenu un sport individuel au sein-même d’un collectif, abonde son collègue Mehdi. On est beaucoup plus sur des stats que sur un esprit d’équipe. » Et de la même façon que les grands clubs, les plus médiatisés, sont attendus sur autre chose que le football, il en va de même aux plus petits échelons : pour maintenir un attrait chez ces générations volages, il faut se réinventer sans cesse. « Je pense que ça fonctionne pour nous parce qu’on n’a pas proposé qu’un projet football, estime Thomas. On a réussi à créer une cohésion qui amène après au football. Il faut être bon sur le foot, le contenu, mais c’est 15 ou 20%. Les 80% c’est quel projet on a et quelle capacité on a de fédérer et fidéliser des joueurs. »

Au Havre, Michael Lebaillif abonde : « Les clubs qui ont tout compris sont ceux qui se diversifient, qui sont capables de proposer différentes activités au sein de leur structure : futsal, beach soccer, foot loisir, foot à effectif réduit… Plus vous allez varier l’activité football, plus vous allez garder un attrait. » À la télévision comme sur le terrain, le futur appartient à un football prêt à étirer au maximum ses propres frontières. Le prix à payer non seulement pour garder sa place de numéro 1, mais surtout pour ne pas perdre les adultes de demain.

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* Le "Forbes 500" est un classement d'entreprises américaines établi chaque année par le magazine Forbes.

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