- CAN 2011
- Algérie-Maroc (1-0)
Il était une fois 1979
Dimanche soir, l'Algérie ne s'est pas seulement relancée dans sa campagne de qualification pour la CAN, les Fennecs ont aussi pris l'avantage dans un historique alors parfaitement égalitaire (6 victoires chacun). Un historique marqué par une détonante victoire sur le sol marocain, le 5 décembre 1979, avec les dunes du Sahara occidental en arrière-fond.
Ce n’était qu’un match qualificatif pour les JO de Moscou. Il devint pourtant une obsession nationale. Mis en échec par le Front Polisario dans sa lutte pour la souveraineté sur le Sahara occidental, le Maroc veut soumettre l’Algérie, soutien officieux de son ennemi, sur le terrain. La presse s’emballe, 90 000 personnes bondent le stade d’honneur de Casablanca, et le défenseur marocain, Ahmed Limane, y va de sa petite déclaration de guerre à la veille de la rencontre : « Nos soldats combattent au front du Sud, nous allons combattre sur le champ de jeu ! » .
Vainqueur de la CAN 1976, avec dans ses rangs le Ballon d’or africain Ahmed Faras, lauréat en 1975, le Maroc compte bien faire mordre le sable aux Fennecs. La mobilisation générale est décrétée, et pressé par le pouvoir, Guy Cluseau, l’entraîneur français de la sélection, est sommé de rappeler la vieille garde, celle qui a fait des Lions de l’Atlas la puissance maghrébine de la décennie. Au total, 60 joueurs sont convoqués, les 30 jeunes de Cluzeau, et 30 Lions plus expérimentés. Le Maroc se regarde le nombril, et du haut de ses certitudes, ignore qu’une génération dorée émerge à l’est de sa frontière. Le match du 5 décembre 1979, disputé à Casablanca, sera tout simplement l’acte de naissance de l’Algérie des Fergani, Belloumi, Madjer, et autres Assad. Celle qui dominera l’Allemagne trois ans plus tard lors du Mundial espagnol.
Il suffira de seize minutes aux Fennecs pour mettre les Lions à genou. La vitesse d’exécution des Algériens surprend la vielle garde marocaine, et l’inconnu Tedj Bensaoula signe un doublé express (14e, 16e). Asphyxié par la pression politique et par son talentueux adversaire, le Maroc ne livre pas pour autant une copie indigne, mais sa volonté de l’emporter à tout prix le conduit à laisser des espaces bien trop grands à la classe des attaquants algériens. Les Lions ont beau réduire le score (Limane, sur pénalty), ils cèdent à trois nouvelles reprises (Bensouala, Guemri, Assad) en seconde période (score final, 1-5). La victoire de substitution tant désirée tourne à l’humiliation. « A la sortie du stade, les supporters ont organisé une sorte de procession funéraire, se rappelle le journaliste, Najib Slami. Ils ont improvisé un cercueil, mis un linceul, et l’ont décoré d’une inscription : ci-gît le football. »
Dans les pages internationales du journal Le Monde
Les deux pouvoirs avaient voulu faire du rectangle vert un champ de bataille, mais leurs peuples ont refusé d’entrer dans ce jeu martial. Quand les Fennecs s’en vont faire du shopping à la médina le lendemain de leur triomphe, les commerçants chérifiens régalent leurs hôtes qui n’auront pas à débourser un seul dinar. « Les autorités nous avaient motivés à bloc, se souvient l’Algérien, Lakhdar Belloumi. Le président Chadli Bendjedid nous avait reçus, nous avait dit qu’on jouait pour le pays. Mais au fond, on ne se sentait pas vraiment concernés par cette histoire, comme tout le peuple algérien. Pour nous, les Marocains restaient des frères. »
La dimension géopolitique donnée par Alger et Rabat à cette rencontre conduit cependant le journal Le Monde à placer le compte-rendu de ce derby dans ses pages internationales. Le quotidien du soir titre : « Quand le Maroc perd sur le terrain » , avec comme surtitre « Sahara – Football » . Excédé par la défaite des Lions, le pouvoir marocain décide de renouveler la quasi-totalité de l’équipe tombée au champ du déshonneur pour le match retour à Alger. Les Fennecs s’imposeront encore (3-0, ndlr) et valideront leur billet pour les Jeux Olympiques de Moscou. Ce nouveau revers constituera cependant l’acte de naissance d’une autre génération dorée maghrébine, celle des Timoumi, Zaki et Bouderbala. En 1986, si les Lions de l’Atlas deviennent la première sélection africaine à jouer un huitième de finale, c’est en partie à l’onde de choc de ce 5 à 1 qu’ils le doivent.
Par Thomas Goubin
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