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Hongrie-France 1927 : La raclée du siècle

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Hongrie-France 1927 : La raclée du siècle

Il fut un temps ou les Bleus pouvaient se faire massacrer comme une banale sélection d'Océanie sans que personne ne s'en émeuve. Nous sommes le 12 juin 1927, il y a 94 ans. Le football n'est pas encore professionnel, et l'idée d'une Coupe du monde commence à peine à faire son petit bout de chemin. Cette année-là, notre sélection nationale hexagonale va vivre sa plus grosse humiliation en match officiel : un sanglant treize à un. Dans l'indifférence générale, bien que l'événement laissera quelques traces dans l'histoire du foot et de nombreuses victimes collatérales sur le bord du terrain.

Hugo Lloris peut sans doute se consoler en songeant à l’un de ses prédécesseurs dans les cages tricolores. Il s’appelait Maurice Cottenet, le portier de l’Olympique de Paris. Il succédait à Pierre Chayriguès, le goal mythique du Red Star, une légende d’alors, à l’échelle du foot français évidemment. En ce beau dimanche du 12 juin 1927, à Budapest, devant 28 000 spectateurs, il va vivre un long cauchemar de 90 minutes. Les locaux vont le crucifier à treize reprises (bien avant leur célèbre 10-1 contre le Salvador lors du Mondial de 1982, ils étaient finalement spécialistes des scores à deux chiffres depuis longtemps). Cet ancien des patros catholiques a dû puiser dans sa foi pour tenir jusqu’à la fin du temps réglementaire. Il en tirera les conséquences qui s’imposaient. « Je crois que je ferais bien de prendre ma retraite. Il faut savoir partir en beauté. » Il raccrochera les gants avec cette dernière cape. Heureusement, la presse tut l’épisode pudiquement et, par la suite, personne ne vint lui rappeler cette conclusion amère d’une pourtant honorable carrière.

Certes, il ne s’agissait que d’un match amical. Toutefois, à l’époque, il n’existait pas vraiment de compétitions internationales pour permettre aux adeptes du ballon rond à travers le monde, et dans ce cas sur le Vieux Continent, de se confronter et de se jauger. Le tournoi olympique pouvait y contribuer. Cependant, les règles très strictes de l’amateurisme éloignaient de nombreux joueurs exerçant dans les championnats déjà passés au professionnalisme. De fait, il faut alors souvent se contenter de croiser le fer et les crampons avec les pays limitrophes ou voisins (ce qui n’est pas souvent simple, un déplacement au Portugal en février 1927 fut reporté à la suite d’une tentative de renversement de la dictature militaire). En 1927, les Bleus disputent donc cinq rencontres, qui se soldent par quatre défaites et un nul. Un bilan qui révèle bien leur niveau. La France reste encore une toute petite nation du foot et il faudra attendre la révolution Raymond Kopa, avec la troisième place en 1958, pour changer de statut et commencer à prétendre à la table des « grands » .

Magyars de rue

Pour en revenir à notre tragédie, le onze tricolore qui débarque en Hongrie est encore marqué par la jeunesse du football français, et le tropisme très fort de l’amateurisme. Une sélection affaiblie par le boycott d’un Red Star en conflit ouvert avec la Fédération au sujet du transfert d’un joueur du SC Nîmes. Autres temps, autres mœurs. En face, nos amis magyars se forgent de plus en plus une réputation d’ogres. Ils se sont fait un peu les dents après la Première Guerre mondiale durant les Jeux olympiques, malgré quelques mésaventures comme une élimination par l’Égypte en 1924. Ils ont surtout la chance de bénéficier d’une certaine stabilité sous la houlette de leur entraîneur, Gyula Kiss. Ils peuvent aussi, cette même année, participer à l’édition initiale de la Coupe internationale européenne qui verra s’opposer les meilleures équipes d’Europe centrale (avec également l’Italie et la Suisse). Le pedigree des joueurs reste malgré tout encore modeste : Weinhardt Ferenc était à l’origine un mécanicien automobile, et Pesovnik László étudiait le droit. En défense, deux frères assurent les arrières (il ne seront guère sollicités ce jour-là), Károly et József Fogl, surnommé « Fogl-gát », pilier d’Újpest, tiennent la boutique.

Néanmoins, comment expliquer une pareille déroute ? Si le score dissimule une lente agonie, il donne également l’impression d’assister à un tour préliminaire d’un challenge de printemps. Même le capitaine tricolore, Jules Devaquez, un vétéran qui avait décroché la première Coupe de France en 1918 avec l’Olympique de Pantin, marque contre son camp d’une passe trop appuyée au gardien. Les joueurs ne cessent de permuter, de changer de place et de côté pour essayer d’endiguer l’hémorragie. Las. Rien ne sauvera leur soirée, même pas le but pour l’honneur d’un malheureux capitaine corrigeant sa faute originelle.

Nourriture et boisson en abondance

La seule explication avancée par la suite fut d’imputer ce fiasco aux agapes auxquelles se seraient livrés les joueurs français la veille, lors de leur réception officielle à l’ambassade qui leur aurait servi nourriture et surtout boisson en abondance. D’où les jambes lourdes par exemple d’Urbain Wallet, « le balayeur de l’équipe de France », un héros de l’Amiens AC où il évolua jusqu’en 1932. Sûrement aussi de quoi alimenter les regrets éternels d’Aimé Durbec, défenseur marseillais, qui venait de remporter la Coupe de France, dont la prestation à l’ombre de la Perle du Danube demeura sa seule et unique cape, à jamais entachée par ce naufrage. À l’instar aussi de Jean Fidon, entré à la 28e minute, respectable amateur du CA Paris, qui ne connut qu’une petite heure en bleu. Deux innocents qui tombèrent sur le mauvais match à la mauvaise époque.

Toutefois, cette petit leçon d’humilité eut un effet positif. Désormais, le foot hongrois est dans le radar français. L’OM recrute même dans la foulée György Orth, du MTK Budapest, qui y finira sa vie de footballeur. Willy Kohut, lui, débarquera cinq ans plus tard dans la cité phocéenne. Son pied gauche magique et foudroyant y nettoiera les lucarnes jusqu’au déclenchement du conflit slovaquo-hongrois. En 1938, il joue même « à domicile » la Coupe du monde avec sa sélection nationale, la Hongrie s’inclinant en bout de course contre les Italiens. La France patientera encore soixante ans pour connaître sa première finale, mais saura la gagner, elle.

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Par Nicolas Kssis-Martov

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